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Abnormal Report
28 août 2017

Le général Nezzar est un terroriste du Mossad et de l'OAS il perpétue leur politique en Algérie !

 

 

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   Nezzar est issu d'un grand père malgache par conséquent il n'est en rien un algérien sa mère était française de métropole et son père un harki, un malgache qui a islamisé son nom pour mieux espionner la population indigène au profit de ses maitres blancs!

 

 Dans le constantinois le Mossad commandait l'armée française et supervisait les massacres de civils et les attentats terroristes à la bombe contre la population musulmane il enlevait torturait et assassinait les intellectuels musulmans grâce au groupe OAS un groupe terroriste crée par le mossad et le père de Enrico Macias Raymond et le préfet Papon! Bien entendu les commerçants musulmans à Constantine subissaient un racket financier de la part du Mossad et de l'OAS et des milices de Papon et des gens comme les Nezzar récoltaient cet argent par la menace en faisant croire que lui et son père  travaillaient pour le FLN !

 

 Nezzar continue de poser des bombes de tuer des intellectuels musulmans de les enlever et de les assassiner car il le faisait déjà à Constantine avant 1962, lui et son père  avec Raymond et Enrico Macias et Bigeard !

 

  Plus tard Nezzar passera beaucoup de nuits chez Bigeard dans la banlieu parisienne!

Abed Charef, écrivain et journaliste de renom, aborde ici la question douloureuse de la guerre d’Algérie et rappelle qu’à Constantine par exemple, des milices avaient été constituées sous la houlette de Maurice Papon, alors préfet de cette ville. Au sein de cette milice, il cite Enrico Macias qui en faisait partie et il en veut pour preuve les nombreux témoignages de personnages encore vivants, des Constantinois l’ayant connu et vu portant l’uniforme et l’arme.

 Découvertes de 17 squelettes dans la maison du père de Enrico macias à Constantine avant sa démolition pour faire place à une tour ou un quartier d'affaires en 2008! Après la visite de Sarkozy à Constantine !

Il est probable que les victimes ont été empoisonnés torturées puis étouffées après avoir été invités à boire un café chez Raymond ! Enrico et son père ont été des terroristes de l'OAS et du mossad et des militant sionistes redoutables ! Le mossad et la CIA ont commis des attentats anti-juifs à Constantine pour obliger les juifs à partir en Palestine !

 

Le Mossad a été réellement impliqué durant la guerre d’indépendance, contre le FLN. C’est ce que révèle le quotidien israélien «Maariv», à l’occasion du rassemblement mondial des juifs originaires de Constantine qui se tiendra à Jérusalem, cette semaine.

A 78 ans, l’agent Avraham Barzilai a décidé de parler de son passé d’agent du Mossad, en Algérie. Précisément à Constantine ou, à 29 ans, il avait été envoyé par les services secrets israéliens, en compagnie de sa femme, afin de monter des cellules opérationnelles pour faire la guerre à l’ALN, sous la couverture d’un modeste enseignant d’hébreu. L’histoire est rapportée par le quotidien «Maariv», reprise par le site «Proche-Orient Infos» et a été publiée à l’occasion du plus grand rassemblement, jamais organisé en Israël, des juifs sépharades de Constantine, emmené par le chanteur Enrico Macias.

Ce que racontent l’agent Barzilai et son responsable direct, Shlomo Havilio, en poste en 1956 à Paris, sont les détails d’une opération des services du Mossad qui ont entraîné et armé des cellules composées de jeunes juifs de Constantine pour faire la guerre à l’ALN. Les deux agents, qui avaient déjà servi dans l’unité 131 des services de renseignements de l’armée israélienne en Egypte, avaient déjà monté des cellules similaires pour déstabiliser le gouvernement de Nasser en armant des juifs égyptiens, lors d’une opération ratée, connue sous le nom de code de «la sale affaire».

Ces agents, plus connus dans le jargon du Mossad comme étant des «Metsada» (chargé des opérations spéciales), faisaient partie, comme les agents israéliens actuels de «la division de la Recherche», responsable de l’interprétation des renseignements. Selon le découpage du Mossad en 15 zones géographiques, le Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie), occupe une place prédominante surtout depuis qu’Israël s’est mis dans l’idée de relancer la normalisation avec Rabat et Tunis.

Ainsi, le journal «Maariv» rapporte le récit de cet agent en revenant sur un épisode qui s’est déroulé le 12 mai 1956: «Barzilaï a le pressentiment que le FLN va commettre un attentat. Il donne donc l’ordre aux membres de sa cellule de s’armer de pistolets et de patrouiller, rue de France, l’artère principale du quartier juif de Constantine. À midi, une très forte explosion secoue la rue: un Arabe a jeté une grenade à l’intérieur d’un café. Les jeunes de la cellule de Barzilaï arrivent sur place très rapidement. Des femmes juives crient. L’une d’elle désigne du doigt la ruelle vers laquelle le terroriste s’est enfui». «Les jeunes juifs de ma cellule l’ont rattrapé et l’ont abattu». Les aveux de cet agent du Mossad se poursuivent, intacts et cyniques: «Nous craignions que les Arabes ne viennent se venger contre le quartier juif. Nous avons alors déployé quatre autres cellules sur des points stratégiques, à l’entrée du quartier juif. Certains juifs portaient des armes, avec l’autorisation des autorités françaises. Très rapidement les coups de feu ont commencé à fuser de toutes parts. Et les juifs armés, furieux après l’attentat, ont commencé à se diriger vers le quartier musulman. J’ai donné l’ordre à nos hommes de prendre le contrôle de la situation et d’éviter tout débordement aux conséquences dramatiques», raconte Barzilai.

Pour ces espions, la traque des militants du FLN était permanente. Elle se substituait dans les quartiers juifs à celle de l’armée française. Cet agent du Mossad confie d’ailleurs que des soldats français étaient «dirigés» par ces cellules du Mossad. Il écrira, après cette affaire dans un message codé envoyé au quartier général du Mossad en Europe: «Nos hommes ont pénétré dans des cafés arabes voisins et leur ont causé des pertes sérieuses».

Le reste de ce récit sera divulgué lors de cette semaine à l’occasion du rassemblement de Jérusalem auquel prendra part Enrico Macias qui doit donner un concert de Malouf et la ministre du gouvernement Raffarin, Mme Nicole Guedj, secrétaire d’Etat aux droits des victimes, originaire également de Constantine. Durant ce séminaire, plusieurs personnalités juives algériennes interviendront dont le professeur Benjamin Stora qui animera une conférence sur «la résistance et l’exode des juifs» de Constantine ou le professeur Marc Zerbib, connu pour être un des organisateurs des réseaux des juifs algériens établis en Israël et estimé à 50.000 membres par différentes sources.

Ce rassemblement auquel les juifs de Constantine accordent une importance particulière, avec avion spécial depuis Paris et même la présence du Président israélien, Moshe Katzav aux travaux, permettra, certainement, de faire la part des choses sur le traitement accordé aux juifs constantinois par les Algériens surtout sous le règne vichyste.

Reste à savoir si les aveux lourds de sens des agents du Mossad sont le premier mea culpa à l’adresse des Algériens.

Ses tirades sur le pays du soleil et de la haine, de la joie de vivre et de la passion, ce pays perdu dont on ne se console jamais, ont arraché des larmes à de nombreuses générations de pieds- noirs. Mais Gaston Ghenaïssia, le vrai nom de Macias- n’a jamais abordé le volet le plus sombre de son histoire algérienne. Il n’a jamais dit comment il a lui-même contribué à mettre le feu à ce pays bien aimé. Il a, en fait, réussi à maintenir un voile pudique sur son militantisme de cette époque, un militantisme qui l’a mis dans la même tranchée que Maurice Papon !

Enrico Macias évoque régulièrement sa volonté de revoir son « pays natal », et comment il en est empêché. Sa visite devait se faire en 2007, en compagnie de Nicolas Sarkozy. Auparavant, il avait affirmé que le président Abdelaziz Bouteflika lui-même l’avait invité, mais que des méchants, héritiers de la tendance obscurantiste du FLN, s’étaient opposés à son retour. Qu’en est-il au juste ?

A Alger, on affirme officiellement qu’Enrico Macias peut se rendre en Algérie quand il veut, mais qu’il est hors de question d’en faire un évènement politique. Certains fonctionnaires montrent un certain embarras devant le tapage médiatique provoqué par Enrico Macias lui-même. « Il n’a pas envie de revenir, il ne viendra pas, et il le sait parfaitement », a déclaré, sûr de lui, un ancien haut responsable. « Et ce n’est pas seulement à cause de son soutien public à Israël », ajoute-t-il, estimant que le thème Algérie ne constitue pour Enrico qu’un « fond de commerce ».

Pour cet homme, qui avoue avoir apprécié la musique de Enrico dans sa jeunesse, Enrico Macias ne reviendra pas en Algérie parce qu’il y a commis des crimes pendant la guerre de libération. Selon lui, Enrico faisait partie d’une milice locale, les « unités territoriales », composées de partisans de l’Algérie française, qui formaient des milices de supplétifs de l’armée coloniale. L’unité à laquelle appartenait Enrico Macias a commis de nombreuses exactions, et a participé à des ratonnades, affirme cet ancien haut fonctionnaire.

A cette époque, Enrico Macias est un jeune artiste prometteur, qui joue dans la troupe du « Cheikh Raymond », le plus célèbre artiste juif de Constantine. Raymond Leyris est alors au faîte de sa gloire : notable de la communauté juive, ami des « arabes » de la ville, il est riche et célèbre. Sa musique est si appréciée qu’une jeune recrue FLN, en pleine guerre d’Algérie, rejoint le maquis ALN en wilaya II avec des disques de « Cheikh Raymond », nous raconte un ancien moudjahid qui a passé toute la guerre dans le Nord Constantinois !

Raymond Leyris n’avait pas d’enfants. Il en a adopté deux, dont Enrico Macias. Celui-ci est donc à la fois l’enfant adoptif, le disciple et l’héritier de CheiKh Raymond. A-t-il été l’héritier en tout ? Seul Macias pourra le dire. En tous les cas, les réseaux FLN avaient alors une conviction. Pour eux, Raymond Leyris avait été contacté par les services spéciaux israéliens. Il organisait des collectes, montait des réseaux, et travaillait en sous-main avec les services spéciaux israéliens, qui avaient alors un objectif : organiser le transfert massif des juifs des pays arabes vers Israël. En Algérie, leur première cible était Constantine, avec ses 25.000 à 30.000 juifs : il y avait presque autant de juifs à Constantine que dans les grandes villes israéliennes.

En mai 2005, le journal israélien Maariv citait un ancien officier du Mossad chargé de piloter l’opération. Cet officier affirme avoir recruté deux agents, Avraham Barzilaï et Shlomo Havilio, qui arrivent dans la région de Constantine début 1956, sous la couverture de modestes enseignants. Quatre mois plus tard, une grenade explose dans un café fréquenté par les Juifs de Constantine, rue de France. S’ensuit une opération de vendetta organisée par les cellules mises en place par le Mossad, selon l’officier en question. Les ratonnades font de nombreux morts. L’historien Gilbert Meynier, qui l’évoque dans une de ses études, et parle de « pogrom », est contraint à une longue mise au point. (http://etudescoloniales.canalblog.c...).

Quel est le rôle exact de Raymond Leyris ? Difficile à dire. Mais l’homme surfe déjà sur une vague de célébrité et de respectabilité. Artiste adulé, il a atteint une renommée qui va au-delà des communautés. Il est le notable juif par excellence. Il garde le contact avec les arabes qui veulent préserver la communauté juive ; il reste l’interlocuteur des autorités coloniales au sein de la communauté juive ; il poursuit une activité clandestine avec le Mossad. Mais peu à peu, les réseaux FLN acquièrent la certitude que Cheikh Raymond n’est plus un artiste aussi innocent. Il est partie prenante dans l’action de réseaux que le FLN n’arrive pas encore à identifier. Des témoins avaient vu des armes transportées à partir de chez lui, en pleine nuit.

Au FLN, la prudence reste de mise. Des consignes strictes sont données pour tenter de conserver de bonnes relations avec la communauté juive. Des contacts réguliers sont établis. Début 1961, le FLN envoie de nouveau un émissaire auprès des notables de cette communauté. L’émissaire envoie un message à Raymond Leyris, et prend rendez-vous. L’organisation fonctionne alors selon un cloisonnement très strict.

L’émissaire du FLN est tué alors qu’il gagnait le lieu du rendez-vous. Ce fait, troublant, intervient après d’autres évènements suspects. L’organisation du FLN en tire une conclusion : seul Raymond Leyris pouvait avoir organisé la fuite pour permettre aux autorités coloniales d’éliminer le responsable du FLN.

Les anciens moudjahidine de la Wilaya II, qui étaient opérationnels à ce moment là, sont toutefois formels : aucune instance du FLN n’a prononcé un verdict clair contre Raymond Leyris. Aucun responsable n’a, formellement, ordonné une exécution. Mais le doute planait, et dans le Constantine de l’époque, ce n’est qu’une question de temps. Le 22 juin 1961, neuf mois avant le cessez-le-feu, Raymond Leyris croise Amar Benachour, dit M’Djaker, membre d’une cellule locale de fidayine, qui l’abat en plein marché, devant des dizaines de témoins. La personnalité de Amar Benachour, l’homme qui a abattu Raymond Leyris, posera aussi problème. Il s’agit en effet d’un personnage qui répond peu au profil traditionnel du moudjahid. Benachour est plutôt un marginal, plus branché sur le « milieu » que sur les réseaux nationalistes. Ce qui a d’ailleurs jeté une ombre sur l’affaire : Benachour a vécu jusqu’au début du nouveau siècle, mais l’opération qu’il a menée a toujours été entourée de suspicion, certains n’hésitant pas à parler de provocation ou de manipulation. Plusieurs moudjahidine qui étaient dans la région au moment des faits continuent d’ailleurs à soutenir l’idée d’une manipulation.

La mort de Raymond Leyris accélère le départ massif des juifs de Constantine, un exode largement engagé auparavant par les catégories les plus aisées. Mais la mort de Raymond Leyris sonne également le début d’une opération de vengeance meurtrière, à laquelle Enrco Macias participe, selon des moudjahidine de la Wilaya II. Il est impossible d’établir exactement le bilan exact des expéditions punitives. En 1956, après l’attentat de la rue de Constantine, Gilbert Meynier n’écarte pas le chiffre de cent trente morts. En mai 1961, la même folie furieuse se déchaîne mais, curieusement, affirme un constantinois qui a vécu les évènements, les Juifs de Constantine étaient plus préoccupés par l’idée de départ que par la vengeance. A l’exception d’Enrico, qui garde un silence pudique sur cet période, se contenant d’évoquer la mémoire de Raymond Leyris, un homme innocent doublé d’un artiste qui aimait la vie, mais qui a été assassiné par le FLN, selon lui.

Selon cette image, très médiatique, Enrico lui-même n’était qu’un jeune homme amoureux de la vie et des filles, un modeste instituteur de campagne, devenu un immense artiste grâce à son talent. A Chelghoum Laïd, où il a enseigné, son nom est connu mais il est presque impossible de trouver des gens qui l’ont côtoyé. A Constantine, par contre, un spécialiste de la musique affirme que de nombreux « ouled el bled » lui rendent visite régulièrement en France. Par ailleurs, le discours de Enrico Macias a longtemps bénéficié d’une cacophonie chez les responsables algériens, qui n’ont jamais adopté une position claire sur le personnage. En fait, côté algérien, plusieurs points de vue se côtoyaient : ceux qui faisaient l’éloge de l’artiste, ceux qui prônaient la réconciliation, ceux qui dénonçaient son soutien à Israël, et ceux qui étaient d’abord soucieux d’établir les faits historiques.

Un ancien haut fonctionnaire af-firme toutefois que Enrico n’avait aucune chance de revenir en Algérie. Les anciens pieds noirs étaient classés en plusieurs catégories, explique ce fonctionnaire. Enrico Macias fait partie d’une sorte de liste rouge officieuse, qui comporte les noms de militaires, colons et ultras ayant commis des exactions. Ceux-là ne peuvent pas entrer en Algérie, dit-il. Autre détail troublant dans l’his toire d’Enrico : quand il sévissait au sein des « unités territoriales », il collaborait avec un personnage célèbre, Maurice Papon ! Celui-ci a en effet exercé comme préfet à Constantine, où il a contribué à organiser de redoutables escadrons de la mort. Milices, unités paramilitaires, escadrons de la mort, tout ce monde collaborait joyeusement quand il s’agissait de réprimer. Des témoins sont encore vivants.

Autre curiosité dans l’histoire de Enrico Macias en Algérie : les Ghenaïssia, sa famille, sont des Algériens pure souche, installés en Algérie depuis plusieurs siècles, affirme un historien. Ils se sont francisés à la faveur du décret Crémieux, qui offrait la citoyenneté française aux Juifs d’Algérie, en 1871. A partir de là, les Juifs se sont rapprochés de l’administration coloniale, accédant à l’école et à la citoyenneté. Mais une frange des Ghenaïssia a gardé son ancienne filiation, prenant le chemin inverse de celui de Enrico Macias.

Ainsi, Pierre Ghenaïssia, né à Cherchell, a rejoint les maquis du FLN en mai 1956 dans la région du Dhahra, entre Ténès et Cherchell. Il est mort au maquis un an plus tard dans la région de Chréa, près de Blida, comme combattant de l’ALN. A l’indépendance de l’Algérie, une rue de Ténès, sur la côte ouest, a été baptisée à son nom. Quelques années plus tard, elle a été rebaptisée rue de Palestine !

En septembre 1995, Omar Belhouchet, directeur du quotidien El-Watan, déclarait aux chaînes de télévision française, TF1 et Canal +, qu’il s’interrogeait sérieusement sur les assassinats d’intellectuels et de journalistes algériens, n’excluant aucune possibilité, y compris celle d’une responsabilité au sein du Pouvoir. Ce qu’on appelle communément la maffia politioco-financière, As-Solta, les Décideurs, les Janviéristes, le Cabinet Noir, ceux qui ont la science du KGB, de la CIA et de la Stasi réunis, ceux avec qui le FFS a toujours voulu négocier, ceux que Hicham Aboud a qualifié de Club des 11 Généraux, ceux qui passent leur temps à définir les moyens qui leur permettent de se maintenir au pouvoir, d’augmenter leurs fortunes et d’éviter le Tribunal Pénal International, ceux qui contrôlent les walis, les députés, et dictent leur conduite aux ministres, ceux que le lieutenant-colonel Mohammed Samraoui accuse d’avoir créé le GIA, ceux qui ne sont pas loin de disputer à Dieu le pouvoir en ce monde, du moins en Algérie, sont donc responsables de la disparition tragique d’un bon nombre d’intellectuels Algériens.

Cette déclaration donc du directeur d’El-Watan nous amène à nous poser un certain nombre de questions. Des questions qui, paradoxalement, nous tourmentent encore mais qui confortent des doutes sur les assassinats, entre autre, du dramaturge Abdelkader Alloula, l’écrivain Tahar Jaout et de l’universitaire Bakhti Benaouda. Des assassinats qui ressemblent en tout point aux méthodes de l’OAS lors de la liquidation de Mouloud Feraoun et de ses compagnons de l’Ecole Normale. Sauf que ces assassinats surviennent 32 ans après l’indépendance. Et 42 ans après, rien, absolument rien n’a changé. Les Algériens continuent de mourir, et en masse.

C’est dans ce contexte chaotique que deux romans, que nous jugeons représentatifs et descriptifs, ont vu le jour. Il s’agit en l’occurrence de l’oeuvre d’Assia Djebar « Vaste est la prison » (Albin Michel 1995) et du roman de Malika Mokeddem « Des rêves et des assassins » (Grasset 1995). Dans ces deux romans, qui ont été publiés la même année, en pleine guerre civile, s’entremêlent véritablement tragédies, passions et mutations de femmes. Allégoriquement, c’est aussi l’Algérie qui connaît un grand cataclysme.

« Vaste est la prison » et « Des rêves et des assassins,» sont deux romans qui explorent, par la triple approche autobiographique, historique et politique, l’Algérie profonde dans sa vie tumultueuse et meurtrie. Ces deux romans analysent les moeurs implacables, les régressions dangereuses et les violences qui endeuillent l’Algérie. Le récit de Malika Mokeddem s’ouvre sur les premières années de l’indépendance. Le début du roman est ainsi aussi le début de l’illusion et du désenchantement politique :

« La plupart des filles, nées comme moi à l’indépendance, furent prénommées Houria : Liberté ; Nacéra : Victoire ; Djamila : la Belle, référence aux Djamila héroïnes de la guerre. (...) Moi, on m’appela Kenza : Trésor. Quelle ironie ! Des trésors de la vie, je n’en avais aucun. Pas même l’affection due à l’enfance. Ce prénom me sied aussi peu que ceux appliqués aux libertés entravées, aux victoires asservies, et aux héroïnes bafouées. (…) Et à chaque rentrée des classes, je découvrais que des pères avaient retiré des Houria, des Nacéra et des Djamila de l’école pour les marier, de force. J’aurai du me méfier ! Je n’aurai jamais du croire que cet immense rêve collectif de liberté, qui embrasait tout le monde, allait contribuer à forger des hommes différents. Il portait déjà en lui ses discriminations. Des pères qui brisent l’avenir de leurs propres filles sont capables d’enchaîner toutes les libertés.
Quelque chose était déjà détraquée dans le pays dès l’indépendance. Mais ça je ne le savais pas encore. » (Mokeddem, 28-30).

Ce constat est aussi partagé par Assia Djebar. Elle affirme qu’elle ne « pouvait s’empêcher de sentir approcher les nuages, s’annoncer les tempêtes. Le pays, me semblait-il, devenait un cargo ayant déjà amorcé le début d’une dérive en mer inconnue. » (Djebar, 59) Eh bien oui ! Tout a commencé dès l’indépendance. Et depuis l’indépendance, c’est bévue sur bévue. Et la situation socio-politique ne cesse de se dégrader. 42 ans de dérives incroyables. Où en sommes-nous? Quels chemins avons-nous parcourus ? A quels résultats sommes-nous parvenus ? Pour répondre à ces angoissantes questions, il est nécessaire de jeter un coup d’œil au rétroviseur de l’histoire même si le rappel des événements est triste à évoquer.

On a commencé par censurer l’histoire. Du temps de Boumediene, de Chadli, de Boudiaf, de Kafi, de Zerouel, et maintenant de Bouteflika, l’histoire a toujours été raconté d’une manière différente. On proscrit des noms et on se remémore d’autres, en fonction des desseins du moment et surtout de la conception conjoncturelle des choses et des hommes. On a eu droit à 42 ans « de mensonge sur notre identité. [42] ans de falsification de notre histoire et de mutilation de nos langues ont assassiné nos rêves. Font de nous des exilés dans notre propre pays. » (Mokeddem, 113) Le fait est qu'à présent on méconnaît notre histoire! On ne sait plus actuellement si c’est le 19 mars ou le 5 juillet qui correspond au jour de l’indépendance, on ne sait pas non plus si c’est le peuple qui choisit ses dirigeants ou si ce sont ces derniers qui choisissent leur peuple!

Chose est sûre, dèsl’indépendance on a établi la république des snipers. Cela a débuté, à l’instar du Maroc et de la Tunisie, par l’élimination physique des opposants politiques. Bourguiba assassine Salah Benyoucef en Allemagne en 1964 et Hassan II élimine Mehdi Ben Barka à Paris en 1965. Ainsi le sort de Mohamed Khider avait été scellé par ses assassins à Madrid en 1967. Tout comme en 1970, à Francfort, un commando Algérien avait pendu Krim Belkacem dans sa chambre d’hôtel. L’autoritarisme de Boumediene, et de ses épigones, n’a jamais eu à s’expliquer véritablement et ouvertement sur ces crimes politiques. La Camorra ne fait pas de déclaration à la presse!

La liquidation physique des opposant sur des terres d’asile en Europe n’effrayait point les potentats de la rive sud de la Méditerranée. Le régime Algérien est le dernier des régimes maghrébins à renoncer à la politique des assassinats des opposants en leur terre d’asile. Et ce fut le cas en Avril 1987 avec l'assassinat à Paris d'Ali Mecili. À présent le régime Algérien est dépassé par les grands nombres et ne peut se consacrer que très sporadiquement aux individus, comme dans le cas de Kasdi Merbah (assassiné en 1993) ou de Abdelkader Hachani (assassiné en 1999). Il faudra bien un jour faire toute la lumière sur ces meurtres politiques pour raison d’Etat. Mais, comme le note pertinemment C. de St-Evremond, «La raison d’Etat est une raison mystérieuse inventée par la politique pour autoriser ce qui se fait sans raison». Et cela au fond n’a pas changé en Algérie.

   

Tewfik et la « machine de mort »

Le général « Tewfik » Médiène a été le principal organisateur de cette stratégie de guerre contre-insurrectionnelle, qui a fait des dizaines de milliers de morts et de disparitions forcées de 1992 à 2000 (une stratégie directement inspirée de la « doctrine de guerre révolutionnaire », ou « DGR », théorisée et mise en œuvre par l’armée française contre le peuple algérien à partir de 1954, lors de la guerre de libération engagée par les nationalistes du FLN6). Autant de crimes contre l’humanité, selon la définition donnée par les statuts de la Cour pénale internationale (CPI). Des centaines d’officiers supérieurs des forces spéciales de l’ANP et du DRS en ont alors été les acteurs ou les complices, tandis que des milliers de soldats du rang n’avaient d’autre choix que de faire le « sale boulot » (comme avant eux les soldats français mobilisés en Algérie pour « casser le bougnoule »). Depuis 1997, Algeria-Watch s’efforce de documenter leurs exactions, dans la perspective d’actions judiciaires qui permettront à leurs victimes de faire reconnaître leurs droits.

Après une carrière parfois chaotique après l’indépendance au sein de la Sécurité militaire, la police politique du régime, Tewfik a été promu à sa tête en 1990 (quand elle est devenue « DRS »), à l’initiative du général Larbi Belkheir qui était alors l’« homme fort » du régime. Déjà considérables, les pouvoirs du DRS et de son chef vont s’étendre encore à partir du coup d’État militaire du 11 janvier 1992, dont les promoteurs déposent le président Chadli Bendjedid et annulent le second tour des élections législatives qui allaient être remportées par le Front islamique du salut (FIS). Avec son adjoint Smaïl Lamari, dit « Smaïn » (1941-2007)7, Tewfik sera ensuite le principal concepteur et organisateur d’une véritable « machine de mort » clandestine visant à « éradiquer » toute opposition – islamiste ou non –, par tous les moyens : torture généralisée, disparitions forcées et exécutions extrajudiciaires par milliers, manipulations des groupes armés se réclamant de l’islam, déplacements forcés de population, élimination systématique des officiers en désaccord avec cette politique… Une entreprise conduite par ces deux hommes en étroite concertation avec les autres généraux « janviéristes » – le putsch a eu lieu en janvier 1992 – à la tête du gouvernement, de l’Armée nationale populaire (ANP) ou du DRS : Larbi Belkheir, Khaled Nezzar, Abdelmalek Guenaïzia, Mohammed Lamari, Mohammed Touati (ainsi que de leurs complices civils). La principale motivation de ces hommes n’était aucunement idéologique ou « républicaine » : il s’agissait pour eux de préserver à tout prix les circuits de corruption et d’enrichissement qu’ils avaient construits à leur profit depuis le début des années 1980, en éliminant ou en retournant tous ceux qui auraient pu les mettre en cause – les islamistes au premier chef – et leurs partisans, par un véritable « terrorisme d’État » – une politique globalement avalisée par les gouvernements français successifs (voire activement soutenue par certains d’entre eux).

Depuis plus de quinze ans, les modes d’action de ce terrorisme d’État, le détail de ses exactions et les noms de leurs responsables ont été largement et rigoureusement documentés par les enquêtes d’ONG nationales et internationales de défense des droits humains, les témoignages d’officiers dissidents et de familles des victimes, ainsi que par des enquêtes de journalistes indépendants8. Ces publications ont attesté que la « guerre contre les civils » des années 1990 en Algérie s’inscrit bien dans le sinistre cortège des tueries d’État industrialisées recensées depuis la Seconde Guerre mondiale : celles où, en dehors des guerres coloniales et des guerres interétatiques, les victimes nationales se comptent à chaque fois en centaines de milliers (Indonésie, Chine, Cambodge, Guatemala, Colombie, Soudan, Congo-Kinshasa, Sri Lanka, Rwanda, Tchétchénie, pour ne citer que les principales).

Certains des crimes contre l’humanité commis alors à l’initiative de Tewfik Médiène et de ses collègues ont notamment été révélés en 2001 par le lieutenant dissident Habib Souaïdia, dans son livre La Sale Guerre, où il relatait les atrocités dont il avait été le témoin9. Puis par un autre officier dissident en 2003, le colonel Mohammed Samraoui, qui a détaillé dans sa Chronique des années de sang les modalités de l’instrumentalisation de la violence « islamiste » par les chefs du DRS et de l’ANP10. En octobre 2003, Algeria-Watch et le militant algérien Salah-Eddine Sidhoum ont publié le rapport Algérie, la machine de mort, qui établissait en détail, témoignages à l’appui, le fonctionnement de l’appareil répressif largement clandestin mis en œuvre par ces derniers11. En 2004, dans un livre de référence, Françalgérie. Crimes et mensonges d’États, les journalistes Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire ont très précisément synthétisé et mis en perspective l’ensemble des informations alors disponibles permettant de comprendre la mise en place de cette « machine de mort », ainsi que la complicité des autorités françaises dans ce processus12. Un travail complété et détaillé, la même année, par le Comité justice pour l’Algérie, organisateur à Paris de la 32e session du Tribunal permanent des peuples consacré aux « Violations des droits de l’homme en Algérie, 1992-200413 ». Et depuis lors, Algeria-Watch n’a cessé de documenter, par de multiples études et communiqués, le rôle du DRS et de son chef Tewfik dans ce terrorisme d’État, toujours actif en 2015, certes sous de nouvelles formes.

Mais force est d’admettre que toutes ces informations, pourtant assez facilement vérifiables, n’ont guère été reprises à l’époque par les médias occidentaux, notamment français, que la plupart ont alors ignorées. D’où leur perplexité quand ils ont dû, dix ans plus tard, tenter d’expliquer les raisons du départ de « Tewfik », parfois qualifié de « dieu de l’Algérie » dans la presse algérienne elle-même. Ces médias ont en effet été les premières cibles du dispositif sophistiqué de désinformation déployé dans les années 1990 par le chef du DRS et ses collègues, visant à cacher la réalité du terrorisme d’État qu’ils mettaient en œuvre : leur pari étant que l’ennemi désigné par eux étant le « barbare islamiste », les médias français et occidentaux fermeraient les yeux sur la barbarie d’État mise en œuvre pour l’« éradiquer ».

Un pari malheureusement gagné pour l’essentiel, comme l’atteste entre mille exemples le silence qui a accueilli en France la publication en 2008 du bouleversant et révélateur témoignage posthume du journaliste algérien Saïd Mekbel, assassiné le 3 décembre 1994 par des « islamistes »14. Dans ces entretiens accordés à l’automne 1993 à la journaliste allemande Monika Borgmann, l’éditorialiste du quotidien Le Matin – où il soutenait pourtant avec constance la politique d’« éradication » des islamistes poursuivie par les généraux janviéristes – expliquait pourquoi il était convaincu que les meurtres d’intellectuels laïques qui se multipliaient depuis quelques mois, attribués aux GIA (ou revendiqués par eux), étaient en réalité commandités par le général « Tewfik » Médiène : il s’agissait selon lui d’un « terrorisme pédagogique », visant à « réveiller la société civile »15. Et il disait sa conviction que s’il était tué à son tour, ce serait sur son ordre.

Tartag, le « monstre » de Ben-Aknoun

Ces rappels – évidemment trop succincts – de la carrière criminelle du général de corps d’armée Mohammed Médiène étaient nécessaires pour expliquer la quasi-sidération qui a suivi, dans les médias occidentaux, l’annonce de son remplacement en septembre 2015 à la tête du DRS par le général-major à la retraite Athmane « Bachir » Tartag, qui fut longtemps l’un des pires exécuteurs de sa « machine de mort ».

De 1990 à mars 2001, le commandant (puis colonel) Tartag a dirigé le Centre principal militaire d’investigation (CPMI, situé à Ben-Aknoun, dans la banlieue d’Alger), une unité dépendant de la Direction centrale de sécurité de l’armée (DCSA), l’une des principales directions du DRS. Durant toutes ces années-là, la caserne du CPMI a été l’un des pires centres de torture et d’exécutions extrajudiciaires du DRS, comme l’ont documenté depuis de nombreux témoignages16.

Celui de l’ex-colonel du DRS Mohammed Samraoui est à cet égard particulièrement significatif. En juillet 1994, alors qu’il était en poste à l’ambassade d’Algérie en RFA, il rendit visite lors d’un passage à Alger à Bachir Tartag, qui avait été autrefois son subordonné et son ami. Voici comment il a rendu compte de cette visite dans son livre : « C’était vraiment hallucinant ! Lors de mon entretien avec le lieutenant-colonel Tartag, j’ai appris que, dès le début 1992, il avait constitué sur ordre du colonel Kamel Abderrahmane [chef de la DCSA], une unité de “commandos” appelée “unité d’action” qui se chargeait non seulement de l’exécution des suspects, mais également de terroriser les familles d’islamistes dans les quartiers considérés comme leurs fiefs. Selon ses propos, “il coupait le soutien aux intégristes qui ne devaient plus retrouver refuge chez leurs parents”.

« Cette unité était constituée de plusieurs groupes de six à dix éléments accoutrés en tenue “afghane” et portant des barbes d’une dizaine de jours. Au milieu de la nuit, à bord de véhicules civils banalisés, ils se rendaient dans les quartiers “islamistes” comme Cherarba, Les Eucalyptus, Sidi-Moussa, Meftah, etc., pour cibler des familles bien précises, celles des islamistes recherchés. Ils frappaient à la porte en criant : “Ouvrez, nous sommes des moudjahidine.” Dès que la porte s’ouvrait, les occupants étaient tous massacrés. Le lendemain, les quotidiens nationaux attribuaient ces crimes aux islamistes ou à la guerre fratricide déchirant leurs rangs. En 1993 et 1994, le bilan quotidien de ces exactions variait de dix à quarante victimes.

« La justification de ces expéditions punitives contre les “durs de la mouvance islamique” était qu’il s’agissait prétendument d’actions “préventives” visant à éviter que les sympathisants du FIS rejoignent les maquis après avoir été libérés des camps du Sud. Mais il s’agissait surtout de terroriser la population et de se débarrasser des islamistes refusant d’être retournés et qui risquaient de bénéficier de la “complaisance” de la justice. Le lieutenant-colonel Bachir me déclara ainsi : “À quoi bon les remettre à la justice si au bout de trois ou six mois ils sont remis en liberté pour nous harceler de nouveau ? Dès que quelqu’un tombe entre nos mains, il ne risque pas d’aller en prison ! Tu vois, on fait faire des économies à l’État !” Quel cynisme ! Sincèrement, j’étais bouleversé : ce n’était plus le capitaine Bachir que j’avais connu à Constantine, gentil, serviable, éduqué, humain… J’avais en face de moi le lieutenant-colonel Tartag devenu un monstre, un mutant17. »

Dans son livre, Mohammed Samraoui révélera également que Tartag était particulièrement impliqué, dès 1992, dans l’infiltration et les manipulations des premiers groupes armés islamistes, puis dans le pilotage des groupes directement contrôlés par le DRS, comme le Front islamique du djihad armé (FIDA) et le Groupe islamique armé (GIA) de Djamel Zitouni18. Parmi les innombrables horreurs perpétrées par ces « groupes islamiques de l’armée », principalement contre la population civile, il faut très probablement inscrire l’assassinat – revendiqué par le GIA – à Alger, le 3 août 1994, de trois gendarmes et deux fonctionnaires français. En effet, écrivent Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire : « Si l’opération semble bien avoir été exécutée par un groupe armé contrôlé par le DRS, celui de l’“émir” Mahfoud Tadjine, adjoint de Chérif Gousmi et numéro deux du GIA, plusieurs témoins affirment qu’elle fut organisée par le colonel Bachir Tartag, le patron du CPMI de Ben-Aknoun. Aucune enquête n’a été diligentée par Paris sur l’assassinat de ses cinq gendarmes et fonctionnaires, mais toutes les informations disponibles montrent qu’il s’agissait d’une vaste manipulation destinée […] à faire basculer la France dans le camp éradicateur19. »

Fort de ses « états de service », Tartag a poursuivi sa carrière criminelle au sein du DRS, jusqu’à être promu général-major en juillet 2011, juste avant (du moins officiellement) de partir en retraite. Il en a été rappelé par « Tewfik » Médiène en décembre 2011 pour être nommé à la tête de la Direction de la sécurité intérieure du DRS (DSI, qui a remplacé la DCE), la plus importante instance de la police politique. Reste à comprendre maintenant pourquoi, quatre ans plus tard, le premier a remplacé le second.

2013-2015 : l’« effeuillage du DRS » et la valse des dirigeants

La question se pose d’autant plus que le départ de Tewfik est intervenu au terme d’une étonnante séquence de deux ans, qui a vu le DRS progressivement « dépouillé » de plusieurs de ses branches (le plus souvent au profit de l’état-major de l’ANP) et l’éviction de plusieurs de ses responsables. Rappelons les principales étapes de ce processus, telles que l’on peut tenter de les reconstituer à partir d’informations (souvent contradictoires) délivrées par la presse algérienne francophone et arabophone (que nous avons tenté de valider par d’autres sources, sans pouvoir assurer toujours la totale véracité de ces informations, tant reste opaque la communication des sources militaires, ANP ou DRS, du régime algérien) :

– juillet 2013 : le colonel Fawzi, directeur de la Direction de la communication et de la diffusion du DRS (chargé du contrôle des médias) est mis à la retraite d’office ; deux mois plus tard, son service est placé sous l’autorité de l’état-major de l’ANP ;

– septembre 2013 : le général-major M’henna Djebbar (qui fut avec Tartag l’un des pires responsables de crimes contre l’humanité pendant la « sale guerre » quand il dirigeait le CTRI de Blida) est démis de ses fonctions à la tête de la Direction centrale de sécurité de l’armée (DCSA) du DRS, laquelle est désormais rattachée au chef d’état-major de l’ANP et dirigée par le général Lakhdar Tirèche ; et le Service central de police judiciaire des services militaires de sécurité du ministère de la Défense nationale, chargé des enquêtes anti-corruption au sein du DRS, passe également sous la tutelle directe de l’ANP. Une semaine plus tard, les deux directions essentielles restant au sein du DRS sont décapitées : le général-major Athmane Tartag est mis à la retraite – il devient « conseiller » du chef de l’ANP, le général Gaïd Salah (73 ans) – et remplacé à la tête de la DSI par le général-major Abdelhamid Bendaoud, dit « Ali », attaché militaire à l’ambassade d’Algérie à Paris ; le même sort affecte le général-major Rachid Lallali, dit « Attafi » (75 ans), qui cède sa place à la tête de la Direction de la documentation et de la sécurité extérieure (DDSE) au général Mohamed Bouzit, dit « Yacef » (61 ans) ;

– janvier 2014 : la « Commission spéciale de sécurité », officiellement créée en décembre 2013 pour gérer la carrière des officiers de l’armée (et du DRS) et composée des chefs de l’ANP et de la police20 entérine les départs en retraite du colonel Fawzi, du général Djebbar et du général Abdelkader Aït-Ouarabi, dit « Hacène » ou « Hassan », jusqu’alors chef du Service de coordination opérationnel et de renseignement antiterroriste (SCORAT) au sein de la DSI (dirigée par Tartag jusqu’en septembre 2013) du DRS ;

– février 2014 : un mois à peine après sa mise à la retraite, le général « Hassan » est arrêté « d’une manière musclée » par des gendarmes et accusé d’« activités séditieuses » (« constitution de bandes armées, détention et rétention d’armes de guerre, fausses déclarations sur le stock d’armes utilisées ou mises à sa disposition dans le cadre de ses prérogatives (lutte antiterroriste)21 ») ; il est « élargi » quelques jours après, puis on n’entendra pratiquement plus parler de cette affaire étrange dans la presse algérienne pendant dix-huit mois ;

– juillet 2015 : le général-major « Ali » Bendaoud, réputé proche de Tewfik, est remplacé à la direction de la DSI par le général Abdelkader (qui dirigeait le CTRI de Blida, de sinistre mémoire, depuis 2005) ; la Direction générale de la sécurité et de la protection présidentielle (DGSPP), qui dépendait du DRS, est rattachée à l’état-major de l’ANP (son patron, le général Djamel Lekhal Medjdoub, est remplacé par le général Nacer Habchi) ; tandis que le général-major Ahmed Moulay Meliani, patron de la Garde républicaine, est remplacé par le général-major Ben Ali Ben Ali, chef de la 5e région militaire ;

– août 2015 : alors que le CSORAT, chargé de la lutte antiterroriste, est rattaché à la DCSA (donc à l’armée), on apprend que le Groupe d’intervention spéciale (GIS, connu comme la « force de frappe » du DRS, unité qui avait été responsable des pires exactions dans les années de la « sale guerre ») est purement et simplement dissous.

Et le 30 août 2015, la presse algérienne rapporte avec force détails que le fameux général « Hassan », l’ancien chef de la lutte antiterroriste au sein du DRS, a été arrêté et incarcéré à la prison militaire de Blida, en attente de jugement pour les « faits graves » qui lui étaient reprochés dix-huit mois auparavant (en substance : au Sahel et en Tunisie, il aurait manipulé, voire directement instrumentalisé, des groupes armés se réclamant de l’islam). Enfin, à l’issue de ces deux années de « valse au sommet », survient logiquement le départ officiel, le 13 septembre, du général Médiène, chef suprême du DRS depuis un quart de siècle.

Peut-on pour autant prétendre, avec la plupart des médias algériens, tous plus ou moins proches jusque-là des hommes de la police politique, qu’il s’agit d’une « vaste opération menée par le clan présidentiel en vue de déstructurer et vider de sa substance le DRS », qui serait devenu une « coquille vide22 » ? Pour trancher cette question, il est essentiel de prendre en compte d’autres facteurs occultés par ces médias – et par la plupart de leurs homologues étrangers, qui les ignorent trop souvent. Quand on ajoute ces « pièces manquantes » d’information au puzzle très incomplet et falsifié proposé par les « sources officielles » pour expliquer les « luttes de clans » au sommet de l’État algérien, après avoir conservé les informations avérées et retiré celles, bien plus nombreuses, relevant de la pure propagande, une image beaucoup plus vraisemblable de ces luttes émerge du puzzle ainsi reconstitué.

Le rôle majeur des pressions américaines dans la prétendue « normalisation » du DRS

Première pièce d’information manquante de ce puzzle : les dessous de la gigantesque prise d’otages opérée le 16 janvier 2013 sur le site gazier de Tiguentourine – à 60 km de la petite ville saharienne d’In-Amenas –, qui s’est soldée par la mort de trente-neuf otages étrangers, un otage algérien et trente-deux assaillants. Dans un article de l’ex-lieutenant Habib Souaïdia23, Algeria-Watch a révélé, un mois après ce drame, ce qui s’est passé alors : selon les informations précises24 qu’il a alors recueillies auprès de « militaires patriotes bien informés » – des officiers qui étaient présents au sein de la cellule de crise constituée sur place par des responsables des forces spéciales de l’ANP et du DRS –, c’est le général Athmane Tartag, alors chef de la DCSA, qui a ordonné aux hommes du GIS, commandés par le général « Hassan », de « tirer dans le tas » : les missiles tirés par leurs hélicoptères ont indistinctement tué les terroristes islamistes et les otages occidentaux qu’ils détenaient (dont dix Japonais, neuf Philippins, six Britanniques, cinq Norvégiens, trois Américains et un Français).

Cette information sur le rôle direct du DRS dans ce drame n’a été reprise par aucun des grands médias occidentaux25. Mais les services de renseignements des principaux États occidentaux impliqués en Algérie (CIA et NSA pour les États-Unis, MI6 pour le Royaume-Uni, DGSE pour la France) l’ont évidemment connue avant Algeria-Watch, tout en se gardant bien de le reconnaître – ce qui les conduira d’ailleurs à exercer des pressions constantes sur les familles des victimes pour qu’elles cessent de se battre sur le plan judiciaire afin d’obtenir vérité et justice.

Dans un autre article que nous avons publié en avril 2015, Habib Souaïdia a donné les clés de ce triomphe de la raison d’État : « Les services secrets occidentaux sauront également très vite par qui leurs ressortissants ont été tués. Mais tenus qu’ils étaient par leur collaboration “antiterroriste” avec les services algériens, ils ont caché cette réalité. Furieux de ce crime du DRS, les chefs des services américains et britanniques ont toutefois fait savoir aux généraux de l’état-major de l’ANP que cela ne devait plus jamais arriver, et qu’ils devaient impérativement mettre fin aux agissements et à l’autonomie des chefs du DRS. D’où le regain de tension entre les deux pôles du pouvoir militaire algérien, qui s’est traduit en septembre 2013 par l’éviction d’importants officiers supérieurs du DRS26. » Telle est en effet, à notre connaissance, la raison majeure de la première vague d’« épuration » au sein du DRS à l’été 2013 que nous avons évoquée, avec l’éviction apparente des généraux-majors Athmane Tartag et M’henna Djebbar, criminels contre l’humanité aux mains trop rouges du sang de leurs milliers de victimes.

Intervient peu après un autre événement essentiel, également pièce manquante dans les puzzles d’information falsifiés proposés par la propagande officielle comme par la plupart des opposants au régime – il y en a certainement d’autres que nous ignorons, mais celui-là, comme le premier, nous semble décisif. Dans un nouvel article publié par Algeria-Watch en avril 2015, Habib Souaïdia – toujours grâce à ses sources au sein de l’ANP – révèle pourquoi l’assassinat en septembre 2014 du touriste français Hervé Gourdel par un groupe armé improbable se réclamant de l’État islamique (agissant en Irak et en Syrie) est très probablement un nouveau coup tordu des chefs du DRS rompus à la manipulation des groupes armés « se réclamant de l’islam ». Et dans cet article, il explique pourquoi cet épisode tragique est d’une certaine façon la conséquence d’un autre survenu à l’été 2013 : l’infiltration, à l’initiative du général Hassan, de « djihadistes » du DRS au sein des maquis salafistes de l’Est tunisien, dans le but de déstabiliser le gouvernement du parti islamiste Ennahda – lequel tombera en décembre 2013. « C’est ce que, explique Souaïdia, selon mes correspondants, des militaires tunisiens ont alors révélé aux services de renseignements américains, qui auraient du coup demandé à nouveau aux chefs de l’ANP d’en finir une bonne fois pour toutes avec ces manipulations des chefs du DRS – d’où l’arrestation (très provisoire) du général Hacène27. »

Avec ces « pièces manquantes », la logique de la singulière histoire de l’« effeuillage » depuis 2013 des prérogatives du DRS de 1990, avatar de l’omnipotente police politique au cœur du régime depuis l’indépendance, apparaît d’une façon sûrement plus conforme à la réalité des débats – et non des « luttes de clans » – au sein d’une coupole mafieuse dont les membres ne partagent qu’un seul et même objectif : durer à tout prix afin de poursuivre l’accaparement et le partage à leur profit (et celui de leurs enfants et de leurs proches) des richesses de l’Algérie.

C’est dans cette perspective qu’ils ont (partiellement) cédé aux exigences formulées par les responsables des services américains et britanniques. Car, comme leurs homologues français, ces derniers n’ignorent évidemment pas le « double jeu » joué depuis le début des années 2000 par les généraux (ANP et DRS) contrôlant le pouvoir réel en Algérie. Un double jeu fondé sur la poursuite de leur politique de manipulation de la violence islamiste – à travers les « groupes islamiques de l’armée » – qu’ils avaient mise en œuvre contre le peuple dans le cadre de leur stratégie « contre-insurrectionnelle » lors de la sale guerre des années 1990. À partir de 2003, ils ont partiellement déplacé au Sahara et au Sahel les actions terroristes des groupes armés islamistes qu’ils contrôlaient directement ou indirectement : GIA, puis GSPC, AQMI, MUJAO, Al-Mourabitoune, Ansar Eddine, etc.28, tandis que certains d’entre eux continuaient à mener des actions sporadiques dans le nord du pays, surtout en Kabylie29. Cela dans un double but : en interne, l’entretien d’un « terrorisme résiduel » permettant aux chefs de l’armée et du DRS de justifier la perpétuation de leur pouvoir autoritaire (avec son cortège de violations massives des libertés élémentaires) ; et, à l’international, de justifier leur rôle de « partenaires incontournables » des puissances occidentales dans la lutte antiterroriste au Maghreb, au Sahara et au Sahel, au motif de leur longue « expérience » en ce domaine.

Duplicité et « jeux de rôles » pour imposer à l’Algérie un nouvel avatar de la police politique

Depuis les attentats du 11 Septembre, les dirigeants américains ont de fait constamment tenu à célébrer publiquement l’« expertise antiterroriste » des généraux algériens30, mais sans être dupes pour autant. Et quand le double jeu de ces derniers a commencé à sérieusement « déraper », notamment avec le drame de Tiguentourine et l’épisode des maquis tunisiens infiltrés, ils ont à l’évidence compris que la « méthode algérienne » devenait plus contre-productive qu’efficace pour tenter de rétablir un minimum de stabilité au Maghreb, après l’intervention militaire de l’OTAN en Libye en mars 2011 (laquelle a détruit le régime dictatorial de Kadhafi au prix d’un chaos régional menaçant d’être aussi durable que celui provoqué par la guerre américaine lancée en 2003 contre l’Irak de Saddam Hussein). Les services américains ont également fait part de leur perplexité quant aux capacités de renseignement opérationnel du DRS, incapable d’anticiper l’attaque d’un site gazier de première importance et de détecter un convoi circulant sur plusieurs centaines de kilomètres dans le désert. Ils ont mis en exergue la déconnexion entre renseignement et unités militaires et ils ont exigé que des mesures correctives soient prises sur ce point. Pour enfoncer le clou, l’armée américaine a annoncé, au printemps 2015, le renforcement substantiel de sa base de Moron de la Frontera en Espagne pour accroître sa capacité d’intervention en Afrique31.

Il est certain que Washington n’apprécie guère le régime algérien, comme en témoigne par exemple le fait que ses relations avec Alger sont principalement gérées par ses services de renseignements et le Département de la défense, tandis que les contacts politiques et diplomatiques restent limités au minimum. Mais les États-Unis doivent tenir compte de la position de la France – laquelle donne sur la question algérienne le « la » au sein de l’Union européenne –, qui accorde de longue date un soutien sans faille au régime antidémocratique de son ancienne colonie. D’où, là aussi, un double jeu de la part de l’administration américaine.

D’un côté, elle se garde bien de dénoncer fortement les graves violations des droits de l’homme perpétrées par le régime algérien, comme d’exprimer ouvertement son inquiétude face à l’incapacité croissante de son gouvernement de façade – celui du très diminué président Abdelaziz Bouteflika et de son inepte Premier ministre Abdelmalek Sellal – de gérer une population réduite depuis 2002 aux émeutes à répétition pour exprimer sa révolte. Un climat social d’autant plus menaçant que l’effondrement des cours des hydrocarbures, seule ressource du pays, remet en question le fondement même de la stabilité du régime : la redistribution clientéliste d’une partie de la rente pétrolière.

Et, d’un autre côté, Washington n’hésite pas depuis 2013 à faire discrètement mais fermement pression (en coordination avec Londres et Paris) sur les vrais « décideurs » algériens, les patrons de l’ANP et du DRS, pour mettre un terme à certains aspects d’un mode de gouvernance devenu inefficace. En témoigne notamment la très discrète « visite de travail » à Alger, le 27 août 2015, du directeur du renseignement national des États-Unis (Director of National Intelligence), James R. Clapper32 : survenant à la veille de l’arrestation du général Hassan et du départ du général Tewfik, cette surprenante visite, sans précédent officiel, semble avoir eu pour premier motif de s’assurer de la bonne exécution des instructions du Pentagone.

Même si bien des aspects de cette affaire restent à éclaircir, il est donc possible d’affirmer sans grand risque que le remplacement de Tewfik par Tartag à la tête du DRS n’est certainement pas – comme l’affirment nombre de médias algériens contrôlés par des hommes d’affaires liés au DRS – le résultat d’une imaginaire « lutte de clans » opposant Saïd Bouteflika, le frère du président, au général Tewfik Médiène, dont il aurait « eu la peau ». Ni même celui d’une lutte farouche entre les chefs de l’ANP et du DRS : même si, depuis la fin de la « sale guerre » qu’ils avaient menée conjointement, ils ont pu diverger – voire s’opposer – sur des choix tactiques, eux-mêmes et leurs successeurs sont restés unis sur l’essentiel, la préservation de leur système de pouvoir (et de leurs richesses issues de la corruption) – dont ils peinent toutefois à trouver des relais dans les jeunes générations.

Il semble en revanche hautement probable que ces vieux « décideurs » ont en partie cédé aux pressions américaines en neutralisant le général Hassan, manipulateur en chef des « groupes islamiques de l’armée » depuis les années 2000 – ce qui pourrait impliquer le reflux de la stratégie d’instrumentalisation du « terrorisme islamiste », privilégiée depuis plus de vingt ans par les généraux. Mais l’indiscutable réduction des pouvoirs officiels du DRS, accompagnée de divers rideaux de fumée destinés à cacher la réalité, est surtout le fruit d’une adaptation très pragmatique aux pressions de Washington. Car le DRS a conservé l’essentiel pour se maintenir au cœur du contrôle de la société : la DSI et la DDSE, les deux directions responsables du contre-espionnage et du renseignement extérieur (à l’image de la DGSI et de la DGSE en France, ou du FBI et de la CIA aux États-Unis).

Tout changer pour que rien ne change…

Reste un paradoxe apparent : si cette opération de « normalisation » du DRS a été déclenchée principalement par les pressions américaines exercées suite à la tuerie des otages occidentaux de Tiguentourine commanditée par Tartag en janvier 2013, pourquoi les responsables des services américains ont-ils finalement accepté que ce soit lui qui remplace Tewfik ?

Selon les informations recueillies par Algeria-Watch aux meilleures sources, l’explication réside dans le double jeu déjà évoqué des services américains (et de leurs partenaires européens), mis en œuvre pour tenter d’en finir avec celui des généraux algériens : ils ont tout fait (notamment à travers les publications des « experts » de l’antiterrorisme des think tanks financés par le Pentagone et les lobbies néoconservateurs) pour occulter publiquement le rôle des chefs du DRS dans l’instrumentalisation de la « violence islamiste » ; tout en faisant savoir aux « décideurs » d’Alger qu’ils devaient en finir avec cette pratique (dont ils entendent sans doute avoir le monopole).

Le « limogeage » de Tewfik et la nomination de Tartag n’ont certainement pas été décidés en 24 heures, le 13 septembre 2015. Tewfik, qui savait depuis longtemps qu’il était dans l’œil du cyclone américain, n’ignorait pas qu’il n’avait évité son éviction au lendemain de Tiguentourine que parce que d’autres avaient payé pour lui. Il savait aussi qu’il ne bénéficiait depuis cette date que d’un sursis, qui a pris fin avec l’affaire de la manipulation du DRS en Tunisie, cause de la chute du général Hassan.

Selon nos informations, la décision de mettre fin aux fonctions de Tewfik aurait été prise lors de la nomination en septembre 2014 de Tartag en qualité de conseiller de Bouteflika, nomination que Tewfik semble avoir lui-même recommandée, ce qui expliquerait pourquoi il a collaboré aux décisions ultérieures. Son remplacement par Tartag arrangeait en effet Tewfik sur plusieurs points. D’abord, il le protégera contre toute action « malveillante », vu qu’il a été son complice depuis 1992, qu’ils ont ensemble tué, égorgé, torturé, etc. Connaissant bien par ailleurs les réseaux de Tewfik à l’intérieur du DRS, Tartag est le mieux placé pour perpétuer le système qu’ils ont conjointement mis en place. De ce fait, il est également le plus à même de contrer éventuellement les Américains, dans le cas où ces derniers « suggèreraient » d’autres mesures qui n’arrangeraient pas le clan des anciens. Et du fait de son passé de sanguinaire, directement passible du TPI, il fera le nécessaire pour éviter à Tewfik et aux autres janviéristes survivants le passage par La Haye. De même, la promotion de Tartag adresse aux centaines d’officiers du DRS et de l’ANP responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans les années 1990 un message clair : leur impunité sera garantie.

Cette nomination a dû faire l’objet d’intenses négociations entre Algériens et Américains qui ont duré un an (septembre 2014-septembre 2015). Car les services de renseignements américains sont également complices d’un certain nombre d’actions attribuées aux groupes « islamistes », au Sahel notamment, et ils ont couvert toutes les turpitudes des Algériens dans ce domaine depuis le 11 Septembre. Seul quelqu’un qui a participé à toutes ces magouilles est en mesure de « veiller aux intérêts » des uns et des autres et donc d’éviter aussi aux Américains pour le moins un grand scandale. Ces derniers craignaient aussi qu’un total démantèlement du DRS déstabilise ce régime qui, finalement, sert leurs intérêts dans la région. La nomination de Tartag est enfin une mesure provisoire : c’est parce qu’il est une sorte d’intérimaire qui devra céder la place à plus ou moins long terme que les Américains ont donné leur accord à sa nomination. Pour toutes ces raisons, Tartag arrange aussi Bouteflika, Gaïd Salah et probablement la plupart des chefs de régions militaires.

Ainsi, derrière les changements d’hommes, les mouvements de structures bureaucratiques, les changements d’attributions et de compétences publiquement affichés dans un curieux exercice d’« opacité transparente », le système de pouvoir reste intact, hors des institutions et hors de tout contrôle démocratique. Ces jeux de chaises musicales dans un théâtre d’ombres ne peuvent dissimuler l’essentiel : l’immuabilité d’un système fondé sur la répression des libertés publiques et l’interdiction de toute activité politique autonome pour maintenir le contrôle absolu de la dictature sur la rente. Ces modifications formelles très scénarisées sont ordonnées selon un storytelling destiné à accréditer la thèse de changements décisifs. Mais rien ne change dans le fonctionnement du pays. Le lifting du DRS annoncé à grand fracas ne signifie aucunement la fin du régime.

Il faut noter que l’ossature du pouvoir en Algérie est exclusivement formée par une caste d’individus jouissant de droits civiques illégitimes. Le pouvoir réel appartient à ceux qui disposent de la force publique dans ce système de caste à deux collèges. Cette catégorie sociale qui exerce le pouvoir « se comporte comme une féodalité improductive, excluant bourgeoisie entrepreneuriale, travailleurs organisés, et surtout la majorité des actifs marginalisés, des choix et des décisions. » (Ghazi Hidouci, Le Quotidien d’Oran, 2 Avril 2002).

L’Armée donc, est à la fois le pouvoir et l’opposition. Elle est aussi l’incontestable premier parti en Algérie. Il faut rappeler qu’en renversant Ben Bella un certain 19 juin 1965, Houari Boumediene a donné à l'armée un pouvoir qu'elle ne cédera plus. Et depuis, la vie politique du pays a généralement été marquée par les militaires: les colonels Houari Boumediene, Chadli Benjedid et Ali Kafi, les généraux Liamine Zeroual, Mohamed Betchine, Mohamed Touati, sans compter les plus réputés généraux-majors d’aujourd’hui: Khaled Nezzar, Mohamed Lamari, Mohamed Médiene Alias Toufik et Smain Lamari. C’est même un pays où de piètres mémoires de généraux aux « galons et plis des vêtements aussi raides que leur esprit » (Mokeddem, 44) constituent des best-sellers qui marquent la vie culturelle!

Aujourd’hui, les généraux se référent à l’Armée comme étant El-Mouassassa (l’Institution) ou Salil-Djeich-Ettahrir-El-Watani (les héritiers de l’Armée de Libération Nationale) tout comme un anarchiste parle de Proudhon ou un chiite parle d’Ali Ibn Taleb: avec respect et obligeance. Les généraux persistent à penser que l’Armée doit évidemment rester l’unique parti du pays, un parti malléable et corvéable à merci, un parti facile à régenter parce qu’il est discipliné et fonctionne aux ordres, mieux que tout parti politique qu'il s'agisse du RND ou du FLN. Ces généraux, donc, sont les seuls maîtres du jeu. Ils sont géniteurs de présidents, concepteurs et fondateurs mais aussi saboteurs d’une multitude de partis « démocratiques » et « islamiques » arrangés pour la vitrine démocratique. Convaincus qu’ils sont de brillants dirigeants, et défendant leurs immenses intérêts, ils ont métamorphosé le peuple Algérien, l'ont réduit à une masse de zombies votante et consentante. 
C’est dans ce parti cyclopéen aux couleurs kaki que les affaires du pays sont traitées. De ce fait, on a rendu l’existence d’authentiques partis politiques superfétatoire. As-Solta (le régime) conteste l’existence de partis politiques qui ont des projets viables, et qui rappellent aux Algériens que l’Algérie appartient à tous. Les intérêts de cette caste ne sont néanmoins pas ceux de l’Algérie. Loin de là. On peut même certifier que leurs intérêts sont la négation des intérêts du pays. On voit donc que la primauté du politique sur le militaire n’a jamais été d’une aussi brûlante actualité. Humiliée, méprisée, spoliée, rackettée, réprimée, ruinée, égorgée, explosée et inondée: voilà en-tout-cas l’état de la population Algérienne aujourd’hui. « Sous le règne des salauds, l’Algérie est devenue le théâtre de toutes les ignominies . . . [et] les Ninjas censés protéger le peuple, ne se préoccupent que de défendre les privilèges de l’Armée et de la caste des maffieux qui ne veulent pas perdre les rennes du pouvoir . . . Par quelle perversion la génération de l’indépendance s’est-elle transformée en hordes de l’aliénation et de la mort ? » (Mokeddem, 48-50).

C’est tout simple. Quand on remonte aux sources du pluralisme en Algérie, c’est à dire post-Octobre 88, on s’aperçoit qu’une demi-revolution a rapidement été fourvoyée et récupérée. Elle a permis au système, auquel elle s’était attaquée, de se ressusciter à travers une démocratie pastiche. Cependant il aurait pu y avoir changement en 1991 quand le Front islamique du salut (FIS) a remporté les législatives. Mais l’arrêt du processus électoral et démocratique en janvier 1992 a engendré une violence telle, que douze ans après on dénombre des milliers de morts. La victoire du FIS ayant érodé la légitimité du régime, les généraux utilisent la méthode répressive. C’est ce qui a poussé Bouteflika à déclarer, dans un moment de grande lucidité, lors de la rencontre de Crans Montana, en Suisse, en 1999, que « L'arrêt du processus électoral a été la première violence en Algérie. »

Boudiaf, dans l’habit du Messie, débarque à Alger en 1992. En ignorant tout de la réalité Algérienne, il a accepté de présider le Haut Comite d’Etat (HCE) – une structure créée par les "janviéristes" pour camoufler la « démission » de Chadli. Boudiaf s’est associé avec des hommes qui l’ont entièrement dupé mais il a aussi refusé de prendre en considération les appréhensions de ses anciens camarades comme Abdelhamid Mehri et Ait Ahmed qui ont vainement essayé de le mettre en garde. Pourquoi Boudiaf a donc privilégié la voie tracée par les "décideurs" et rejeté les conseils de ceux qui étaient opposés au coup d’état? Mystère. Et alors que des troubles sanglants embrasaient le pays, il répétait, sur la base de renseignements livrés par ses parrains, que dans un laps de temps réduit, il mettrait un terme à l’agitation politique et anéantirait les groupes armés.

Entraîné dans une spirale d’éradication absolue, il opta pour une démarche résolument antidémocratique. Ayant longtemps été l’hôte du Roi du Maroc et s’inspirant d’un discours de Hassan II où il préconisait d’éliminer le quart de la population du Royaume pour sauvegarder l’ordre établi, Boudiaf a ainsi déclaré que s’il fallait interner 20.000 Algériens dans les camps de concentration du Sahara pour sauver l’Algérie, il le ferait « sans état d’âme. » Ceci était la confirmation qu’il avait peu d’estime pour les libertés individuelles. Car comment peut-on sauver un pays en privant 20.000 personnes de leurs droits élémentaires ? Boudiaf avait ainsi adopté les thèses de ces parrains. Il viola les droits des citoyens et repoussa toute idée d’une Algérie démocratique. Mais quelques mois plus tard, en juin 1992 à Annaba, Boumaarafi surprenait Boudiaf. Un androïde des services secrets qui agit, lui aussi, « sans état d’âme. » Et comme le note Assia Ddjebar, « Désormais, sur cette terre, le danger a une odeur. » (Djebar, 343)

Coïncidant avec la parenthèse Boudiaf, l’Algérien moyen découvre l’ampleur de la corruption. L’affaire Hadj Bettou, ce notoire contrebandier de Tamanrasset, et accessoirement prête-nom pour certains pontes algérois, a défrayé la chronique. Un autre exemple très révélateur de cette rapine à ciel ouvert est relaté par Belaid Abdeslem, l’ancien chef du gouvernement (juillet 92 – août 93). Interviewé par des journalistes lors du forum hebdomadaire d’El-Youm sur l’affaire de l’accord du gazoduc trans-méditerranéen (Algérie - Italie) révélée à Rome au moment ou il dirigeait le gouvernement, Belaid Abdeslem a rappelé que selon la Justice italienne un versement de US $32 millions a été effectué dans le cadre de la conclusion de cet accord. Quand il a demandé que le gouvernement réagisse, « cela n’a pas plu au sein du pouvoir, » affirma-t-il. En exposant cette affaire au Président Zeroual, ce dernier lui aurait rétorqué : « Je ne vois pas ce qu’il y aurait à faire. » Sans commentaire !

Il indique aussi que le général Touati, conseiller politique auprès du général Khaled Nezzar, « après avoir consulté le directeur du Trésor public français, Claude Trichet, a émis des réserves concernant mon programme. » Ce même Touati désapprouva la mesure de suspension du journal Liberté, appartenant au magnat Isaad Rebrab qui avait bénéficié d’une ligne de crédit de US$ 200 millions sans pour autant s’acquitter de ses impôts qui s’élevaient à 600 millions de dinars (US$ 7.5M). On voit donc à travers cet exemple édifiant, un général de l’Armée s'immisçant dans le négoce! Si partout ailleurs, ce sont les grands hommes et les grands talents qui sont donnés aux grands secteurs de leurs compétences, en Algérie, ce sont les grands secteurs qui sont donnés à de petits individus; souvent sans relief et sans compétences reconnues.

De même, comme le note le chercheur Luis Martinez,

« Le régime transforme son apparente faiblesse en rente géopolitique au niveau international : la peur d’une éventuelle victoire des islamistes est le moyen le plus efficace d’engranger des soutiens financier extérieurs. Les aides tombent des 1994, surtout sous la forme d’un rééchelonnement de la dette extérieure, accompagnées d’un programme d’ajustement structurel lourd de conséquences sur la population. Cet argent est utilisé non pas pour des investissements productifs, mais pour consolider les réseaux clientélistes du Pouvoir. » (La guerre civile en Algérie, Karthala, 1998, p.125).

Le Rapport 2002 de Transparency International montre que la corruption s’est aggravée par rapport à l’enquête menée en 1999. Russes, Chinois et Sud-coréens payent des commissions aux gouvernants des pays en développement. Les secteurs les plus concernés sont essentiellement la construction, l’armement et la défense. Et lorsqu’on note les nombreux contrats en matière de construction signés avec les Chinois, au détriment des entreprises de construction locales, et l’achat d’équipement militaires russes d’une valeur de US$ 2,5 milliards, on peut en déduire qu’en Algérie le pouvoir mène à la richesse.

Un autre exemple de corruption est relaté par l’ex-DAS (directeur des affaires sociales) de la wilaya d’Oran. Il révèle, lors de son procès, toutes les affaires scabreuses de trafic de drogue, de blanchiment d’argent, et il accuse nommément le Commandant en chef de la 2eme région militaire, le général Kamel Abderrahmane, de faire partie d’un réseau de trafic de cocaïne. Quand au Directeur de l’Institut National de Police Criminelle, il a déclaré au Quotidien d’Oran (18 Mars 2002) que « rien n’interdit le blanchiment d’argent en Algérie. » On peut donc injecter des milliards dans des comptes bancaires et dans des investissements sans que personne ne demande des comptes ou des explications sur la provenance de cet argent. Tout baigne dans un réel vide juridique voulu et entretenu!

Parallèlement à la corruption, ce cancer qui ronge l’Algérie, la violence politique a fait des ravages que les "janviéristes", par leur aveuglement, n’ont jamais imaginés. Aujourd’hui on a atteint plus de 200.000 morts selon les ONG et la presse. On a même eu droit à une pratique infâme digne des républiques bananières de l’Amérique du Sud : les escadrons de la mort. Selon la dirigeante du Parti des Travailleurs (PT) Louisa Hanoune, l’ancien Chef de l’Etat, Liamine Zeroual, avait confirmé leur existence durant une rencontre officielle. Il s’agissait notamment de l’OJAL (Organisation des Jeunes Algériens Libres), qui avait projeté de s’en prendre aux islamistes soupçonnés de collaborer avec les groupes armés.

Ces escadrons de la mort ont pu voir le jour et jouir d’une totale impunité grâce à la complicité indéfectible et agissante du courant dit « moderniste et républicain » qui avait applaudi le coup d’état, pourvu qu’il empêchât les « intégristes » d’arriver au pouvoir par les urnes. Cette organisation paramilitaire avait aussi trouvé un soutien sans faille dans les milieux éradicateurs, particulièrement depuis que leur figure de proue, Redha Malek, alors chef du gouvernement, avait déclaré que « la peur doit changer de camp. » Cette déclaration a été faite à Oran, lors des funérailles du dramaturge Abdelkader Alloula en 1993.

Très peu de gens osaient faire le lien entre les escadrons de la mort et les putschistes. Mais grâce aux témoignages des parents des victimes de disparus, et grâce aux témoignages saisissants d’anciens officiers déserteurs, comme Habib Souadia et Mohamed Samraoui; on sait maintenant que plusieurs structures des services de sécurité ont procédé à des rapts. C’est le cas de quelques « chefs de guerre, » des fraudeurs et des fripouilles de petite dimension, comme Haj Maghfi ou le maire de Relizane, Haj Ferguene, qui a été formellement accusé d’enlèvements et d’assassinats. Même Noureddine Ait Hamouda, membre très actif du RCD, a été mis en cause dans l’assassinat de Matoub Lounes.

Ainsi les "décideurs" ne sont jamais mis en cause directement quand les Algériens sont fauchés par la mort. Notamment quand ils meurent en masse. C’est devenu la tradition funeste depuis les évènements d’Octobre 1988. Non-assistance à population en danger. Ceci s’est produit à Bentalha et s’est reproduit à Bab-el-Oued. A Bentalha, aux environs d’Alger le 22 Septembre 1997, l’hécatombe a duré 5 heures et a engendré plus de 400 morts. A Bab-el-Oued le 10 Novembre 2001, le déluge a été fatal pendant les 3 premières heures. A Bentalha, comme l'atteste le récit de Nesroulah Yous, l’Armée a pris position à quelques dizaines de mètres des habitations assiégées avec des blindés et des ambulances, 30 minutes après le début de l'invasion « terroriste ». Il fallait donner l’ordre d’intervenir. Il n’a jamais été donné. Les militaires ont même empêché les voisins de porter secours. Lors des inondations de Bab-el-Oued, les autorités dites compétentes auraient du communiquer d’urgence l'injonction de barricader les accès au Frais Vallon, pour sauver de la noyade plus d’un millier de personnes. Ca n’a jamais été fait.

En justifiant l’abandon de la population qui se faisait massacrer à Bentalha ou qui se noyait à Bab-el-Oued, les militaires avancent les mêmes énormités. Dans son premier livre, le Général Nezzar évoque l’impossibilité d’intervenir de nuit à Bentalha car les ruelles étaient minées. De son côté, le Général Fodil Chérif, Commandant en Chef de la 1ere Région Militaire, soulignait que les secouristes ne pouvaient se déployer à Bab-el-Oued à cause de la crue et des embouteillages. A Bentalha et à Bab-el-Oued, c’est toujours la faute à la nature du terrain! A Bentalha et à Bab-el-Oued, la population était livrée à elle-même. A Bentalha et à Bab-el-Oued, les « secouristes » n’ont pu faire leur travail que lorsqu’il n’y avait point de risque! Ceci démontre l’impunité totale des "décideurs", car ils ne sont jamais mis en cause directement quand la vie des Algériens est en danger de mort.

La tragédie qui a frappé Bab-el-Oued a confirmé les veuleries du Pouvoir. Elle a aussi étalé au grand jour le vide institutionnel et social que connaît le pays depuis des lustres. En d’autres termes, l’Etat Algérien est dans l’oued. La tragédie qui a frappé Bab-el-Oued a exposé la déprédation des valeurs humaines par une poignée de flibustiers. La tragédie qui a frappé Bab-el-Oued est aussi le contrecoup de la Hogra. La tragédie qui a frappé Bab-el-Oued est la séquelle d’un régime absolutiste et méprisant. Car comment peut-on édifier de très belles villas pavillonnaires avec sauna, piscine et jacuzzi tout en jouxtant des Pavelas sans eau courante et où s’entassent des dizaines de traîne-misères; des parias dans leur propre pays ? Comment ceux qui ne sont pas loin de disputer à Dieu le pouvoir en ce monde pensent pouvoir vivre dans des Nirvana à quelques encablures seulement de l’enfer ?

 

 

    

Le système de la Françalgérie est sans doute un des secrets les mieux gardés de la ve République. C’est un système complexe dont le cœur est l’argent, celui des « commissions » prélevées par les généraux du « cabinet noir » sur les échanges commerciaux avec l’étranger.

 

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Depuis 1999, le voile d’opacité recouvrant l’atroce guerre civile qui ensanglante l’Algérie depuis 1992 commence à se déchirer. Après les documentaires de France 2 sur le massacre de Bentalha et de Canal Plus sur l’assassinat du chanteur Matoub Lounès [1][1] J.-B. Rivoire et J.-P. Billault, Bentalha, autopsie..., après les livres de Nesroulah Yous et du lieutenant Habib Souaïdia [2][2] N. Yous, Qui a tué à Bentalha ?, La Découverte, ..., d’autres témoignages ont confirmé, et au-delà, ce qu’attestaient déjà ces documents : la responsabilité écrasante, dans cette tragédie interminable, des hauts responsables de l’armée (dirigée par le général Mohammed Lamari) et des services secrets (le Département de renseignement et de sécurité, DRS, successeur de la Sécurité militaire [3][3] Sur le rôle de la SM, voir l’impressionnant dossier..., dirigé par les généraux Mohamed Médiène, dit « Tewfik », et Smaïl Lamari, dit « Smaïn »). Avec les généraux Larbi Belkheir et Khaled Nezzar, les véritables « parrains », ce sont eux que l’on a appelé les « janviéristes », car ils ont été les organisateurs du coup d’État de janvier 1992.

 

•La manipulation de la violence islamiste

 

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Deux de ces témoignages, émanant d’anciens officiers du DRS, ont particulièrement frappé l’opinion. Celui du colonel Mohamed Samraoui, d’abord, qui, lors d’une longue interview à la chaîne arabe El Djazira, le 5 août 2001, a notamment déclaré, détails à l’appui : « Les GIA [Groupes islamistes armés], c’est la création du pouvoir : ils ont tué des officiers, des médecins, des journalistes et beaucoup d’autres. […] L’intérêt des généraux est d’appliquer la politique de la terreur pour casser les revendications légitimes du peuple, celle de partager le pouvoir. » Celui du commandant Hichem Aboud, ensuite : si son livre La mafia des généraux, paru en février 2002, pèche souvent par omission, il n’en contient pas moins de nombreuses révélations qui confirment les nombreux témoignages délivrés depuis 1994 dans la presse occidentale, jusque-là anonymement, par d’anciens membres des forces de sécurité.

 

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Il explique ainsi, notamment : « Comment ces généraux, qui disent sortir des grandes écoles de guerre françaises et russes, n’arrivent-ils pas en dix ans à éliminer des bandes armées commandées par des tôliers, des marchands de poulets et autres repris de justice ? […] Ce n’est plus un secret pour personne : le terrorisme intégriste est leur produit, leur instrument et leur allié le plus sûr pour maintenir leur domination sur le peuple algérien. La politique de l’infiltration et de la manipulation est l’arme absolue utilisée par les services du général Tewfik. Les groupes terroristes sont créés et dissous au gré des conjonctures et des événements [4][4] H. Aboud, La mafia des généraux, Lattès, 2002, ... […].

 

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L’intégrisme n’a jamais constitué un ennemi pour la mafia des généraux. Bien au contraire, ils s’en servent pour perpétuer leur pouvoir, perpétrer leurs crimes et réprimer toute opposition à leurs desseins. Que d’assassinats, commis à la faveur de cette ambiance marquée par la violence et le terrorisme, et mis sur le compte des GIA, qui n’est en fait qu’un produit sorti de leurs laboratoires [5][5] Idem, p. 186. […].

 

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Évidemment, l’énumération des assassinats commis par la mafia des généraux ne peut absoudre les groupes islamiques armés de leurs crimes. Cependant, il est utile de rappeler qu’une fraction de ces groupes est la création des services dirigés par le général-major Tewfik [6][6] Ibid., p. 192. […]. Il faut rappeler que les GIA se distinguent par l’absence d’un commandement unifié. Plusieurs bandes de criminels repris de justice ont pris eux aussi l’étiquette GIA pour perpétrer vols, racket, viols et assassinats. Cependant, les GIA de Djamel Zitouni et de ses successeurs sont, sans le moindre doute, l’œuvre du duo Tewfik-Smaïl [7][7] Ibid., pp. 194-195.. »

 

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On peut être certain que d’autres témoignages de ce type viendront, à l’avenir, compléter ce tableau, même si les généraux d’Alger ne ménagent aucun effort pour effacer les traces de leurs crimes, notamment en liquidant régulièrement ceux qu’ils ont chargé de les commettre et qui « en savent trop ».

 

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Dans ce contexte, seuls ceux, désormais très minoritaires, qui ont choisi de se boucher yeux et oreilles peuvent continuer à croire que la tragédie algérienne ne s’explique que par la lutte sans merci, comme on nous le raconte depuis dix ans, entre des « démocrates sincères » et des islamistes « afghans ». D’ailleurs, ces dernières années, les analyses n’avaient pas manqué, expliquant comment la dérive dans la folie sanguinaire du « cabinet noir » algérien s’inscrivait dans une tradition historique de manipulation de la violence [8][8] Voir notamment : L. Addi, « L’armée algérienne confisque....

 

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On peut comprendre que l’opinion occidentale – et française en particulier –, abusée par une entreprise de désinformation à large échelle (j’y reviendrai), a pu pendant si longtemps rester relativement indifférente au drame à huis clos qui se déroule à deux heures d’avion de Paris. En revanche, cette explication ne tient pas pour les gouvernements français qui se sont succédé dans la période : ceux-ci sont en effet parfaitement informés, par les services de renseignement (DST et DGSE), de la nature réelle de la « sale guerre », de la torture généralisée, des « escadrons de la mort », de l’amnistie de fait accordée aux terroristes par la loi de « concorde civile » (1999), de la misère dans laquelle a été plongée la population, de la corruption qui gangrène le corps social et permet à une infime minorité de s’enrichir scandaleusement. La DGSE dispose de longue date de moyens d’écoute sophistiqués qui lui permettent d’intercepter les communications des forces de sécurité algériennes ; quant à la DST, ses liens « historiques » avec la SM lui ont toujours assuré un excellent niveau d’information sur les actes et les motivations de ses interlocuteurs. Et au-delà, les liens entre responsables politiques et économiques des deux pays sont permanents : il n’est pas exagéré de dire que pour les véritables dirigeants algériens, la capitale de leur pays est Paris, où certains séjournent presque plus souvent qu’à Alger…

 

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Mais alors, pourquoi le silence de la France, « patrie des droits de l’homme » ? Pourquoi, comme l’indiquait un récent appel d’intellectuels européens et algériens, tout au long de ces années, les autorités françaises et européennes ont-elles « préféré “faire comme si…”. Comme si les gouvernements successifs issus depuis 1992 de coups de force ou d’élections truquées représentaient authentiquement la démocratie algérienne. Comme si la lutte contre les groupes armés islamistes, à quelques “bavures” près, avait été menée avec les armes du droit. Comme si l’économie algérienne était une économie “normale” [9][9] « L’Algérie après le 11 septembre : et les droits de... » ?

 

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La réponse à cette question n’est pas simple et implique plusieurs niveaux d’explication étroitement imbriqués, que l’on pourrait résumer en cinq actes : complicité historique, cynisme d’État, chantage au terrorisme, agit-prop médiatique, corruption et « rétrocorruption ».

 

•Complicité historique et cynisme d’État

 

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Le premier facteur est d’ordre contextuel. Il tient aux liens étroits qui se sont tissés depuis l’indépendance entre les dirigeants algériens et les dirigeants français. À droite, les gaullistes ont su, par-delà les tensions périodiques, entretenir des relations solides avec Alger, sur fond d’intérêts communs bien compris, de l’exploitation des hydrocarbures au front anti-américain sur la scène internationale. Les partis de la gauche officielle (PCF et PS), quant à eux, avaient à se faire pardonner leur attitude durant la guerre de libération, lors de laquelle ils avaient soutenu la violence d’État contre les « moudjahidine », ce qui explique le constat dressé par l’historien (et ancien militant du PSU) Bernard Ravenel, dans un article remarquablement documenté : « Dans la décennie 1971-1981, la gauche française tout entière a donné son soutien acritique au système de pouvoir construit par Boumediene. Ce faisant, elle lui a attribué un surcroît de légitimité. […] En se limitant pour l’essentiel au niveau de relation acritique d’État à État, la gauche française, avec des nuances mais globalement au moins jusqu’en 1988, a légitimé le système de pouvoir algérien. À ce titre, elle a sa part de responsabilité dans les malheurs et les drames d’aujourd’hui [10][10] B. Ravenel, « La gauche française au miroir de l’Algérie.... » Enfin, il ne faut pas oublier les véritables liens d’amitié qui ont pu se nouer, pendant la guerre d’Algérie, entre la minorité de gauche et d’extrême gauche qui apporta courageusement son soutien au FLN, et ses dirigeants de l’époque. Des liens souvent gardés intacts et qui ont pu jouer un rôle important dans le soutien apporté par la France à l’Algérie officielle ces dernières années, et dans l’aveuglement d’une partie de la gauche intellectuelle sur la vraie nature du pouvoir militaire.

 

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Le deuxième niveau d’explication est celui que l’on peut parfois entendre dans les salons feutrés du Quai d’Orsay : l’Algérie est un fournisseur important de la France et de plusieurs États de l’Union européenne pour le gaz et le pétrole, et il est donc important, pour assurer la sécurité de ces approvisionnements, qu’elle ne soit pas « déstabilisée » par l’islamisme radical. D’autant qu’une telle déstabilisation aurait un « effet domino » sur les deux pays voisins, Maroc et Tunisie, où la « menace islamiste » est également présente. Cette crainte était très forte en 1989-1991, au moment de la montée en puissance du Front islamique de salut (FIS), au point que l’armée française décida en 1991 des manœuvres militaires sur les côtes languedociennes, sur le thème : comment faire face à un afflux de « boat people » algériens chassés par une dictature islamiste ? La version moins euphémisée de cette doctrine, comme le relevait l’appel précité, est la suivante : « Face au “péril vert”, mieux vaut soutenir des militaires notoirement corrompus et sanguinaires (c’est la “doctrine Nixon” : “C’est un fils de pute, mais c’est notre fils de pute”, appliquée au cas du dictateur chilien Pinochet) ». Mais cette explication, si elle joue à l’évidence un rôle, est loin d’être la plus décisive. À elle seule, elle ne saurait en effet justifier un soutien aussi constant et déterminé à l’une des dictatures les plus brutales de ces dernières décennies. D’une certaine façon, il s’agit surtout d’un discours de justification – parfois sincère, parfois franchement cynique – principalement porté par le « deuxième cercle » du pouvoir : celui des « experts », intellectuels et journalistes influents fascinés par la raison d’État.

 

•Chantage au terrorisme

 

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Au sein du « premier cercle » des décideurs politiques français, d’autres raisons jouent un rôle plus important. La première est certainement le chantage au terrorisme exercé sur la France par les généraux d’Alger, surtout depuis 1994.

 

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Rappelons les faits, tels que les évoquait en 1996 Lucile Provost : « Depuis septembre 1993, date à laquelle deux géomètres français avaient été tués dans l’ouest de l’Algérie, les attentats dirigés contre la France n’ont pas cessé. Certains ont été particulièrement spectaculaires comme l’enlèvement de trois fonctionnaires consulaires à Alger en octobre 1993, le meurtre de cinq agents de l’ambassade (dont trois gendarmes) par un commando armé en août 1994, ou le détournement d’un Airbus d’Air France en décembre 1994. Les attentats sur le sol français à l’été et à l’automne 1995 sont ensuite venus nourrir les craintes d’une exportation de la violence. Après une demi-année de relative tranquillité, le rapt puis l’exécution en mai 1996 de sept moines, dans la région de Médéa, suivis de l’assassinat de Monseigneur Pierre Claverie, évêque d’Oran, le 1er août 1996, ont montré encore une fois que ni le régime ni les groupes armés n’avaient renoncé à faire de la France un des enjeux de leur lutte [11][11] L. Provost, « Poursuite de la violence, impasses.... » La plupart de ces crimes ont été attribués aux Groupes islamistes armés. Pourtant, les informations qui ont filtré depuis montrent qu’ils relèvent pour l’essentiel d’une « stratégie de la tension » mise en œuvre par les Services algériens, par islamistes manipulés interposés, pour faire pression sur la France et prévenir toute tentation de sa part de leur retirer son soutien.

 

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Plusieurs phases peuvent être distinguées. Dans les premières années (1993-1994), le moins qu’on puisse dire est que prévaut une certaine confusion, révélatrice des rapports tordus entretenus de longue date entre Services français et algériens. Il est en effet pratiquement établi que les actions les plus spectaculaires contre la France attribuées aux GIA dans cette période sont le résultat de manipulations, parfois élaborées en commun entre la SM et certaines branches des Services français, dans le but de « conduire les autorités françaises à s’engager résolument aux côtés de l’État algérien dans la logique de répression [12][12] Selon les termes de Jocelyne Césari, chercheuse au... ». Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Charles Pasqua, aurait ainsi joué un rôle clé dans l’affaire du « vrai-faux enlèvement » des trois fonctionnaires du consulat français, Jean-Claude et Michèle Thévenot et Alain Fressier, séquestrés le 24 octobre 1993, puis relâchés, par un commando « islamiste » dirigé par un certain Sid Ahmed Mourad (alias Djaafar el-Afghani) : le récit circonstancié de cet épisode par les journalistes Roger Faligot et Pascal Krop n’a fait l’objet d’aucun démenti [13][13] R. Faligot et P. Krop, DST police secrète, Flammarion,.... Cette affaire a en tout cas été le prétexte de l’« opération chrysanthème » du 4 novembre 1993, vaste rafle conduite par la police dans les milieux islamistes de l’Hexagone. De même, à la suite de l’assassinat de cinq Français le 5 août 1994, dix-sept militants et sympathisants islamistes ont été assignés à résidence à Folembray, dans l’Aisne. Et le 12 août 1994, les GIA exigeaient l’arrêt de « tout appui » de Paris au pouvoir algérien, faute de quoi ils menaçaient de « frapper violemment les intérêts français ». L’affaire de l’Airbus, en décembre de la même année, s’inscrit clairement dans cette séquence et relève plus que probablement d’une autre manipulation du DRS.

 

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En 1995, on change de registre, car les plus hauts responsables politiques français semblent considérer que les généraux algériens sont allés trop loin. Et ils commencent à mesurer leur soutien. La riposte des « groupes islamistes de l’armée » (comme les appelle la rue algérienne, depuis des années) est brutale : du 25 juillet au 17 octobre, sept attentats à la bombe, à Paris (RER Saint-Michel, place de l’Étoile, boulevard Richard-Lenoir, métro Maison-Blanche, RER Musée d’Orsay) et dans la région lyonnaise, tuent dix personnes et font des dizaines de blessés. Dans cette période, on apprend que l’« émir » des GIA, Djamel Zitouni, a adressé, le 19 août, une lettre au président de la République Jacques Chirac l’invitant « à se convertir à l’Islam pour être sauvé » et que, par un communiqué du 7 octobre, il a menacé la France de nouvelles « frappes militaires ». Les autorités françaises reçoivent ces « messages » cinq sur cinq, comme le reconnaît prudemment, dès juillet 1995, un conseiller du Premier ministre Alain Juppé : « C’est sans aucun doute le travail des islamistes. Mais qui est derrière eux ? Peut-être un clan de la Sécurité militaire algérienne ou du pouvoir qui voudrait nous entraîner comme allié dans leur combat contre le terrorisme [14][14] Cité par C. Angéli et S. Mesnier, Sale temps pour... ? »

 

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Certains responsables français se poseront cette même question après le martyre des sept moines de Tibhérine en mai 1996. Henri Tincq, le journaliste chargé des questions religieuses au quotidien Le Monde, s’en fera l’écho dans une enquête publiée en juin 1998 : « La version officielle de la responsabilité unique de groupes islamiques armés est mise en doute, aussi bien dans des cercles ecclésiastiques à Rome que par d’anciens officiers de la sécurité algérienne. Selon des témoignages récents, la sécurité avait infiltré les ravisseurs des moines et, parce qu’elle n’aurait pas supporté que les services français entrent eux-mêmes en contact avec les islamistes, l’affaire aurait mal tourné [15][15] H. Tincq, « La sécurité algérienne pourrait être.... »

 

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Ces doutes, le leader socialiste Lionel Jospin les exprimera plus globalement, en janvier 1997, cinq mois avant sa nomination au poste de Premier ministre. Celui qui est alors le chef de l’opposition de gauche déclare, très lucidement, évoquant le drame algérien : « On continue à hésiter entre le risque de l’indifférence et celui de l’engrenage si on s’exprime trop clairement. Voilà, je crois, les raisons du silence. […] Il n’est pas question d’une capitulation devant des forces qu’on peut à peine identifier, mais nous devons dire que nous ne sommes pas prêts, pour autant, à soutenir le pouvoir algérien quoi qu’il fasse. […] Un gouvernement, qu’il soit de droite ou de gauche en France, peut se demander si certains, ici ou là, ne pourraient pas être tentés de frapper si nous nous exprimions plus nettement. […] On peut certes espérer qu’en ne disant rien on sera moins touché. Mais on peut aussi se dire que, si le conflit ne trouve pas de solution, l’accumulation de ces violences est lourde de conséquences pour le futur. Il faut donc faire des choix [16][16] Interview à Libération, 27/01/1997.… »

 

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Et pourtant, en septembre 1997, trois mois après son entrée en fonction et quelques jours après les grands massacres de civils à Raïs et Sidi-Youcef, le même Lionel Jospin déclare : « Même si nous ressentons un sentiment d’horreur et de compassion […], avons-nous toujours à nous sentir coupables ? La France n’est plus responsable de ce qui meurtrit l’Algérie aujourd’hui. Au plan officiel, le gouvernement français est contraint dans son expression [souligné par nous]. Prendrait-il des initiatives qu’elles ne seraient pas reçues, nous le savons [17][17] Interview au Monde, 16/09/1997.. » Ce revirement spectaculaire, rarement relevé à l’époque, s’explique très trivialement : dès la constitution du gouvernement de Lionel Jospin en juin 1997, de discrets émissaires de la SM ont expliqué en substance au Quai d’Orsay et à certains responsables français que si le gouvernement français « s’exprimait plus nettement », il leur serait bien difficile d’empêcher que « certains, ici ou là », soient « tentés de frapper ». En termes plus crus, que les « Groupes islamistes de l’armée » pourraient à nouveau porter leur guerre sur le territoire français. Là encore, le message a été reçu. Et le gouvernement a cédé au chantage. Au lieu de mobiliser la puissance de ses services de police pour traquer les islamistes de l’armée présents sur le territoire français (agents directs de la SM ou militants islamistes manipulés), il a déclenché une opération diplomatique d’envergure, en particulier au sein de l’ONU, pour contrer la revendication d’une « commission d’enquête internationale ».

 

•Agit-prop médiatique

 

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Car la manifestation du 10 novembre 1997 à Paris, à l’initiative de l’association « Un jour pour l’Algérie » et de nombreuses ONG, a mis en avant le mot d’ordre de commission d’enquête internationale pour la vérité sur les massacres et les violations des droits de l’homme en Algérie, visant aussi bien le terrorisme islamique que le pouvoir. Des milliers de personnes sont descendues dans la rue, et la manifestation a eu un impact considérable. Face à cette initiative, les militaires algériens ont pris peur : si la pression de l’opinion internationale parvenait à imposer une « opération vérité » susceptible de mettre à jour les manipulations de la violence qu’ils exerçaient depuis des années, la base même de leur pouvoir et de leur richesse risquait d’être gravement ébranlée. Ils ont donc déclenché une contre-offensive d’envergure, leurs alliés civils multipliant les contacts avec des personnalités et des intellectuels français [18][18] Voir F. Gèze et S. Mellah, « Crimes contre l’humanité.... C’est dans ce climat que se sont inscrits un meeting à la Mutualité le 20 janvier 1998 et une émission sur la chaîne franco-allemande Arte, le lendemain, qui ont donné l’un et l’autre un large écho aux thèses des courants « éradicateurs » proches du pouvoir.

 

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Dès la fin 1997, plusieurs dignitaires du régime (dont Ali Haroun, ancien dirigeant de la Fédération de France du FLN) sont venus discrètement à Paris délivrer la bonne parole à quelques personnalités politiques et intellectuelles, surtout de gauche, jugées influentes. Alors même que les tueries redoublaient (plus de mille victimes dans une série de massacres dans l’Ouest du pays), cette démarche était suivie d’un véritable ballet de visites, officielles ou non, de personnalités françaises et européennes en Algérie (dont Claude Cheysson, Yvette Roudy, Francis Wurtz, Jack Lang), qui toutes sont revenues en affirmant les mêmes convictions : « Il est clair que ce sont les islamistes, ces fous de Dieu, qui tuent [19][19] Yvette Roudy, El Watan, 01/03/1998. », et face à eux, « seule la contre-violence est possible [20][20] Claude Cheysson, L’Express, 22/01/1998. ».

 

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Les philosophes Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann, les premiers, ont ramené de leur visite des reportages qui ne passeront pas inaperçus [21][21] B.-H. Lévy, « Choses vues en Algérie », Le Monde, ... – et vaudront à leurs auteurs un hommage empoisonné du « parrain » des « janviéristes », le général Khaled Nezzar (« Ils ont par leur courage fait connaître la vérité », écrira-t-il début février dans El Watan, avant d’assurer « ces hommes de courage et de conviction » de « son plus grand respect » et de sa « plus haute considération [22][22] Cité par J.-P. Tuquoi, « Les succès de communication... »).

 

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Mais l’offensive n’a pas été que médiatique. Ainsi, Jack Lang, le président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, qui réclamait en novembre 1997 la commission d’enquête internationale (c’était le bon sens, disait alors également Bernard-Henri Lévy), a-t-il déclaré trois mois plus tard, curieusement, le contraire. C’est qu’entre-temps Jack Lang a rencontré à Alger les dignitaires du pouvoir, il a donné des interviews lénifiantes dans la presse locale et il est revenu en France, expliquant que la commission d’enquête était inutile. De même, en février 1998, la préparation d’une délégation de parlementaires européens a fait l’objet d’une bagarre feutrée – mais très vive – entre les représentants des ONG de défense des droits de l’homme et les « éradicateurs » algériens et européens (principalement français et belges). Ces derniers ont reconnu certaines « bavures » du pouvoir, tout en soulignant que l’essentiel était de ne pas déstabiliser l’armée, dernier « rempart » contre l’islamisme. Après la visite, la conclusion du président de la délégation sera sans surprise : les forces de sécurité « ne sont pas impliquées dans les massacres mais constituent une armée mal entraînée et mal équipée pour lutter contre les formes mutantes de terrorisme [23][23] Cité par M. Scotto, « Les députés européens qui se... ». Une complaisance que la journaliste algérienne Salima Ghezali, qui venait justement de recevoir du Parlement européen le prix Sakharov des droits de l’homme, jugera en ces termes : « Ainsi l’Europe continue, sans surprise, à ne pas se définir et, en fait, à soutenir le régime algérien à l’instigation de Paris [24][24] Le Soir de Bruxelles, 14/02/1998.. »

 

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De fait, dans le même temps, les diplomates français s’activeront discrètement et efficacement dans les couloirs de l’ONU pour torpiller définitivement la revendication d’une commission d’enquête internationale pour connaître les commanditaires des massacres, qu’avait pourtant soutenue James Rubin, le porte-parole du Département d’État américain [25][25] Daily Press Briefing released by the Office of the.... Ce sinistre « succès diplomatique » montrait une nouvelle fois à quel point la France donne le « la » au niveau mondial sur le « dossier algérien » : tout se passe comme si, aux yeux des États démocratiques occidentaux, l’Algérie restait, quarante ans après son indépendance, une « affaire intérieure » française.

 

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Cette remarquable entreprise de verrouillage a enfin été complétée, en France même, par la liquidation « en douceur » des dizaines de comités de solidarité avec l’Algérie qui s’étaient créés à l’époque. Cette opération a été pilotée par les hommes de la Sécurité militaire présents sur le territoire : des militants « éradicateurs » français et algériens, sans doute pas toujours conscients d’être ainsi manipulés, ont été invités par des relais civils de la SM à rejoindre ces comités qui, sous leur influence, ont progressivement abandonné le mot d’ordre de commission d’enquête internationale – parfois au prix de vifs déchirements – et ont presque tous disparu en quelques mois, dans la confusion et le découragement des militants sincères.

 

•La SM en France

 

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Cet épisode illustre un autre élément essentiel du fonctionnement de la « Françalgérie » : la France est sans doute la seule grande démocratie au monde à tolérer sur son sol la présence d’une force policière nombreuse d’un État étranger. La SM dispose en effet en France, en permanence, de plusieurs centaines d’agents et de milliers d’indicateurs. Leur rôle premier est la surveillance serrée de la communauté algérienne immigrée. Dans les années post-indépendance, ils l’assuraient sous le couvert de l’Amicale des Algériens en Europe. Depuis les années quatre-vingt, avec l’enracinement des immigrés dans la société française, cette structure est tombée en déshérence, mais la fonction de surveillance, visant à éviter toute structuration d’une opposition au pouvoir dans l’immigration, est toujours une priorité de la SM. Ses agents sont bien sûrs présents dans les dix-huit consulats, mais ils usent aussi de diverses « couvertures » civiles. Traditionnellement coordonnée par un colonel en poste au consulat de Paris, leur action consiste à repérer les opposants, à neutraliser les plus actifs (par la récupération ou les menaces sur la famille restée au pays), à infiltrer et noyauter tous les regroupements, même les plus anodins (c’est ainsi qu’à l’automne 2001, la « branche française » de la SM a réussi à infiltrer et à faire scissionner l’Association des taxis kabyles de Paris, qui commençait à se mobiliser contre la répression en Kabylie…). Ce contrôle policier explique dans une large mesure la crainte dans laquelle vivent les Algériens de France et leur faible mobilisation face aux horreurs que vivent leurs familles restées au pays, dont ils connaissent pourtant parfaitement les responsables. Depuis le début de la « seconde guerre d’Algérie », la SM en France a également joué un rôle actif pour relayer, auprès de la presse et de la classe politique françaises, les opérations de désinformation concoctées dans les bureaux algérois du service d’action psychologique du DRS, dirigé jusqu’à la fin 2001 par le fameux colonel Hadj Zoubir.

 

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Toutes ces actions sont parfaitement connues des services français de renseignement, et en particulier de la DST, qui entretient de longue date les meilleurs rapports avec la SM (rappelons simplement l’assassinat en plein Paris, le 8 avril 1987, de l’opposant Ali Mécili : arrêté deux mois plus tard par la brigade criminelle, son assassin, Abdelmalek Amellou, sera identifié comme un agent de la SM, commanditaire de l’opération ; Amellou sera pourtant relâché, après intervention à « haut niveau » et pourra regagner Alger sans encombres [26][26] Voir H. Aït-Ahmed, L’Affaire Mécili, La Découverte, ...…).

 

•Corruption et « rétrocorruption »

 

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Mais le cœur de ce système complexe de la « Françalgérie » est sans conteste l’argent, celui des « commissions » prélevées par les généraux du « cabinet noir » sur les échanges commerciaux avec l’étranger.

 

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On le sait, l’économie algérienne est totalement dépendante des exportations de pétrole et de gaz, qui représentent 97 % des exportations (et 60 % des recettes fiscales de l’État). La production nationale de biens de consommation est sinistrée et l’essentiel doit être importé. Depuis les années quatre-vingt, la poignée de généraux qui contrôlent le pouvoir a fait passer à une échelle industrielle le « système des commissions » consistant à prélever à leur profit, par divers mécanismes occultes, 10 % à 15 % de ces flux d’exportation et d’importation [27][27] Voir à ce sujet l’une des très rares études documentées.... Ce que résume sobrement en ces termes l’ancien ministre du Commerce Smaïl Goumeziane : « De l’aveu même du président de la République, le commerce extérieur du pays serait entre les mains de dix à quinze personnes. […] Par ce biais, on estime qu’un milliard et demi à deux milliards de dollars fuient le pays chaque année. En trente ans, ce sont ainsi quelque 30 à 40 milliards de dollars de richesse nationale qui s’en sont allés se loger offshore dans les comptes numérotés de quelques banques internationales vertueuses, ou s’investir hors du pays dans l’hôtellerie, dans l’immobilier ou dans le négoce international [28][28] S. Goumeziane, « Économie algérienne : enjeux et.... »

 

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Cette corruption est le moteur fondamental de la « sale guerre » que les « décideurs » militaires mènent contre leurs compatriotes : sa fonction première est de briser et d’« éradiquer » tous les germes qui pourraient entraîner le peuple dans une révolution risquant de mettre fin à leurs privilèges et de tarir définitivement les sources de leur fortune. Or, ce « moteur » ne pourrait fonctionner sans complicités en France, premier partenaire commercial de l’Algérie, comme l’a rappelé Lucile Provost : « C’est en premier lieu par rapport à la France, aux firmes françaises, aux intermédiaires qui travaillent avec elles, que le pouvoir algérien organise la mise sous contrôle de l’économie. C’est le plus naturel. Les entreprises françaises sont sur place, les hommes se connaissent. Ce sont donc de véritables réseaux d’influence politico-économiques qui se sont mis en place avec l’ancienne métropole et existent encore aujourd’hui. Les Français ont d’ailleurs bénéficié, comme les Algériens, des retombées de cette économie de la dépendance. Les contrats sur l’Algérie étaient réputés particulièrement rentables, la surfacturation étant couramment de l’ordre de 30 % à 40 %. […] Les liens entre affaires et politique ne se sont jamais démentis, que ce soit à droite ou à gauche [29][29] L. Provost, La Seconde Guerre d’Algérie, Flammarion,.... » Pour dire cela plus brutalement : comme l’a montré l’« affaire Elf » à propos de la Françafrique, il n’est pas concevable que ce système de corruption franco-algérien, fondé sur les commissions, puisse fonctionner depuis plus de vingt ans sans que des « rétrocommissions » venues d’Algérie alimentent les corrupteurs français et les caisses des partis politiques, ainsi encouragés à fermer les yeux. Un système qui, assurément, fonctionne encore en 2002. Malheureusement, il est impossible d’en dire plus, car ce système est sans doute l’un des secrets les mieux gardés de la ve République. Bien sûr, aucune enquête n’a jamais été menée, alors même que les services de renseignement n’ignorent rien des nombreuses propriétés françaises des « janviéristes » et de leurs associés (chaînes de restaurants, hôtels, immeubles, boîtes de nuit, etc.). Et que les bureaux du ministère des Finances connaissent depuis des années les bénéficiaires algériens des commissions versées par les entreprises françaises, puisque celles-ci doivent les déclarer au Trésor pour les déduire de leurs impôts, comme l’a souligné le journaliste belge Baudouin Loos : « La France est l’un des rares pays européens à autoriser le versement de commissions par ses entreprises dans les transactions commerciales internationales [30][30] B. Loos, « L’Europe et l’Algérie », Institut européen.... »

 

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Le sang de dizaines de milliers d’Algériens a été versé pour que ce système de corruption perdure à l’abri du secret. On comprend donc que ceux qui cherchent à le percer risquent leur vie. L’exemple emblématique en est – rien moins – celui du président Mohammed Boudiaf, assassiné le 29 juin 1992 : il est désormais attesté que les généraux du « cabinet noir », qui l’avaient convaincu de prendre la tête de l’État après le putsch de janvier 1992, ont organisé son assassinat parce qu’il avait décidé d’enquêter en profondeur sur leurs circuits de corruption. Boudiaf avait envoyé à Paris, en juin 1992, cinq officiers de confiance pour obtenir du Premier ministre Pierre Bérégovoy les informations détenues par ses services sur ces circuits et leurs bénéficiaires [31][31] Mouvement algérien des officiers libres (MAOL), «.... Fin de non recevoir. De retour à Alger, les cinq hommes ont été assassinés, bien sûr par des « islamistes »… Quelques jours après, c’était le tour de Boudiaf lui-même. Dix ans plus tard, rien n’a bougé sur ce plan, le secret reste bien gardé. Mais l’Algérie est exsangue, et le « système » est au bout du rouleau, au point que ses protagonistes, après les révélations des livres et des films de 2000-2001, se déchirent (clan Belkheir contre clan Tewfik) au grand jour, non sans relancer les tueries aveugles d’islamistes manipulés pour tenter de donner le change.

 

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Il est plus que probable, dans ce contexte, que des « traîtres » commencent à « lâcher le morceau » pour se préserver. Et dès lors, on peut parier sans risque que, si la vérité sur la « Françalgérie » éclate, cela deviendra en France un scandale politique majeur, au côté duquel l’« Affaire Elf » fera figure de bluette… Le seul vœu qui puisse être formulé, dans cette perspective, est que cela permette d’engager l’indispensable nettoyage des réseaux de la « Françalgérie », dont les membres français (politiques et hommes d’affaires) ont permis trop longtemps aux généraux d’Alger d’agir impunément. •

 

 

En fait, des ONG tels Amnesty International, la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH), et Human Rights Watch, estiment que beaucoup d’états n’ont aucun respect pour les droits de l’homme, en plus ils ont des comportements répréhensibles vis-à-vis de leur population, à commencer par une bonne partie des 53 membres de la commission des droits de l’homme de l’ONU : l’Arabie Saoudite, l’Algérie, le Bahrain, la Chine, la Syrie, le Kenya, Cuba, le Vietnam, etc. Ces pays identifient les défenseurs des droits de l’homme à des terroristes pour renforcer leur répression. Dans son mémo adressé à la 58eme commission des droits de l’homme à Genève, la FIDH affirme que « dans un climat ou l’impunité est la règle, non seulement les auteurs des violations des droits de l’homme ne sont pas inquiétés, mais ce sont les défenseurs des droits de l’homme eux-mêmes qui se trouvent poursuivis par la justice. Depuis le 11 Septembre et sous le fallacieux prétexte de lutte anti-terroriste, plusieurs états font la chasse à leurs opposants. Le procès de Mohamed Smain, responsable de la section de Relizane de la LADDH (Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme) est à cet égard exemplaire. » Les accusés d’assassinats massifs ont la protection officielle de la justice.

Jamais pareil scandale dans les annales de la Justice Algérienne. Cela s’est passé à Relizane. Des familles de disparus qui, preuve à l’appui, montrent à l’inamovible juge dans la salle d'audience les kidnappeurs des leurs, c’est à dire le groupe de Haj Ferguene, l’ex-maire, et des repentis du GIA qui défendent les ex-patriotes et soutiennent que les enlèvements et les charniers étaient leur affaire. Pour rappel Haj Ferguene est accusé d’être responsable de 97 cas de disparition sur les cas recensés à Relizane entre 1994 et 1998. Notons qu’il y a eu 7200 cas de disparition recensés à ce jour par les associations, mais 4880 cas seulement selon les autorités. De son côté, Bouteflika avait avancé le chiffre de dix mille disparus, alors que son ministre de l'Intérieur, l’indécrottable Yazid Zerhouni, ne cessait de rappeler que leur nombre s'élevait à quatre mille. Cependant, Ali Yahia Abdenour, Président de la Ligue Algérienne de Défense des Droits de l'Homme (LADDH), a déclaré lors d’une conférence de presse, tenue à Oran, que le nombre de disparus se situe « entre quinze mille et vingt mille » tout en précisant que « seuls les services de sécurité peuvent en donner le nombre exact ».

Faut-il signaler que tous les gardiens de la République et les adeptes de la laïcité étaient ni intègres ni respectables? Faut-il signaler aussi que la fin ne justifie nullement tous les moyens? Certains «républicains» ont béni et le coup état et la répression qui s’en est suivie. Ils ont soutenu le régime au détriment d’une solution juste et démocratique. Ils ont aussi cautionné ce qu’ils reprochaient à l’islamisme politique. L’histoire retiendra un jour que certains ne se sont pas trompés uniquement de société; mais ils se sont trompés d'époque. Car on ne guérit pas la maladie on cassant le thermomètre. Et comme l’a bien souligné Mary Robinson, ex-Haut Commissaire des Nations Unis pour les Droits de l’Homme : « nous devrions nous intéresser aux causes profondes du terrorisme. » Ceci suppose que toute la lumière soit faite sur la question des charniers de Relizane et d’ailleurs.


C’est dans ce contexte tragique que les confessions accablantes des généraux français Massu et Aussaresses sur la torture et les exécutions extrajudiciaires ont crée un abattement au sein du Pouvoir. Tous les Algériens l’ont constaté. Réticence aussi claire que l’eau de roche car, entre la Bataille d’Alger (1957) et les événements de Kabylie (2001), nos Khaled Massu et nos Lamari Aussaresses ont torturé, exécuté sommairement et ont fait disparaître des milliers d’Algériens.

Au moment ou Aussaresses assassinait froidement des résistants comme Larbi Ben M’hidi, Nezzar, caporal dans l’Armée Française, ralliait sans peine l’ALN aux frontières. Après l’indépendance, il a maté, au nom de la République, les jeunes émeutiers d’Octobre 1988, et toujours au nom de la République, il a décidé arbitrairement avec ses comparses d’annuler les élections de décembre 1991 et de réprimer sauvagement les opposants. Aujourd’hui, Massu et Khaled Nezzar sont deux généraux insolents. Ayant servis dans la même Armée coloniale, les deux hommes ont beaucoup de choses en commun. Tous les deux ont cassé du « Larbi », et tous les deux publient leurs mémoires, et en assurent le lancement dans le même pays, la France, et dans la même capitale, Paris.

Et c’est à Paris que ça casse. Nezzar, soutenu par l’écrivain Rachid Boujedra (un grand éradicateur devant l’Eternel) et de Ali Haroun (ancien de la Fédération de France et l’éminence grise du "cabinet noir"), se rend au Centre culturel algérien à Paris, beaucoup plus pour redorer le blason de l’Armée que pour louer les qualités de son livre, Echec à une régression annoncée (Editions Publisud, 2001). Il faut noter que le moral de l’Armée a été considérablement sapé suite à la sortie des livres de Nesroullah Yous, Qui a tué à Bentalha ? (La Découverte, 2000) et de Habib Souadia, La Sale Guerre (La Découverte, 2001). Sur le point d’être arrêté à Paris pour crimes contre l’humanité, il fuit, en pleine nuit, vers l’Algérie où il est toujours un des hommes forts du système.

Toutefois, l’autoritarisme de certains potentats du Tiers-monde n’est plus permis. De nouvelles règles se sont substituées aux anciennes. La chute du mur de Berlin, la désintégration du bloc de l’Est, « la fin de l’histoire » comme dirait Fukuyama, et la mondialisation sont le prélude à une nouvelle ère. Désormais l’impunité des tyrans au nom d’une certaine « souveraineté nationale » n’est plus de mise. On devrait méditer, d’une manière ou d’une autre, le sort réservé à Saddam, et décrypter clairement les dernières prises de position de Kaddafi. Le Tribunal pénal international est devenu l’épée de Damoclès. Et tant que nos dirigeants continuent de rejeter un système démocratique viable, on adhérera à toute initiative qui nous débarrasserait de cette vermine qui saigne notre pays.

Néanmoins, l'écroulement des Twin Towers a quelque peu changé la conjoncture psychologique. L’arrogance et l’infatuation des "décideurs" ont refait surface grâce à un retournement sémantique. Selon George Bush et Gondoleeza Rice Les « défenseurs de la liberté » qui ont cassé de l’islamisme n’avaient pas tort ! Et c’est ainsi que le 11 septembre a rendu le régime Algérien « plus démocratique ». Mais les conjonctures c’est comme le vent, elles tournent très vite. Déjà Guantanamo et l’invasion de l’Irak ont compromis la solidarité et l’indulgence que les USA ont récoltées après le 11 septembre.

Et à la veille du 40eme Anniversaire de l’Indépendance, Nezzar se rend discrètement devant un juge Français pour être entendu sur sa plainte contre Habib Souaïdia qui avait accusé les généraux d’être responsables des violations des droits de l’homme durant les années 90. C’est donc un magistrat français qui aura à trancher sur la plainte du général. La portée d’un tel geste juridico-politique est grave. 40 ans après l’indépendance, c’est un véritable transfert de pouvoir qui est ainsi effectué, étant donné que la justice est le symbole de la souveraineté d’un pays. Et c’est l’un des hommes forts du système politique algérien, le Noriega local, un général de l’Armée algérienne qui se met à la disposition de la justice française. En acceptant le verdict de la justice française, il a accepté de facto, l’emprise et la mainmise de l’état français sur l’Algérie. 40 ans après l’indépendance, et par son geste irresponsable, Khaled Nezzar nous a renvoyé à la case de départ.


Indépendance, dites-vous? « Aujourd’hui au terme de [12 années] de morts obscures, de morts souillées, dans la ténèbre de luttes fratricides. Comment te nommer désormais, Algérie ! » (Djebar, 345) Et pour paraphraser les deux romancières, Assia Djebar et Malika Mokeddem, je dirai tout simplement que le Pouvoir a fait de l’Algérie une vaste prison, et, par la même occasion, il a assassiné les rêves de tout un peuple qui n’aspirait qu’à vivre dignement et en paix dans son pays. « Vaste est la prison qui m’écrase, d’où me viendras-tu délivrance ? » (Djebar, 237).

Et comme chaque année, depuis près d’un demi-siècle, le 5 juillet revient. Mais la mémoire collective a nettement effacé les réminiscences de cette date charnière dans la continuité historique du peuple Algérien. On ne fête plus le 5 juillet comme certains peuples fêtent le 4 juillet ou d’autres qui fêtent le 14 juillet. Force est de reconnaître que les Algériens sont tellement blasés qu’ils ne s’identifient même pas à l’acte libérateur de leurs aînés. Vingt deux mille cadres Algériens ont quitté l’Algérie, et deux millions d’Algériens ont demandé et d’obtenu la nationalité Française. Faut-il les en culpabiliser ? Que représente le 5 juillet pour les Algériens d’aujourd’hui ? Quel sens délivre-t-il à son écrasante majorité, la jeunesse ? La jeunesse d’aujourd’hui a en face d’elle trop de mauvais exemples. Le patriotisme, l’amour du pays et la reconnaissance du sacrifice suprême ont été profanés. Il y a eu un véritable détournement de sens et de richesses.

L’indépendance a formellement délivré le peuple de l’oppression coloniale, mais une autre chape de plomb allait contenir l'ardeur du peuple vainqueur. Les frères allaient tyranniser et massacrer d’autres frères. On est passé des colons aux colonels. Et 42 ans après l’indépendance, cette réalité pose, sérieusement, le problème de la carence des structures de l’Etat fonctionnant constamment comme des outils de coercition. Héritant des structures de l’Etat colonial, les nouveaux dirigeants de l’Algérie indépendante, n’interrogeant nullement les lieux douillets de leur nouveau pouvoir, reproduisent les mêmes agissements et les mêmes attitudes du colonisateur, adoptant même sa propre image. 
42 ans après la libération du joug colonial, les jeunes Algériens se sentent tout aussi colonisés que leurs aînés par des oppresseurs d’un autre genre. Et ce n’est pas le scrutin ou plutôt le montage du 8 avril 2004 qui va changer grand-chose. Cette élection ne serait, en effet, que le résultat d’un ‘deal secret’ assurant à Bouteflika un second mandat, étant entendu que tout continuera comme avant. Car la « démocratie » en Algérie a ceci de cocasse: elle choisit et parfois nomme d’abord son président et le fait élire ensuite par des urnes hautement performantes en termes de victoires assurées. Ministres en poste impunément voleurs et détourneurs, députés et sénateurs prédateurs, sont tous de purs produits de cette haute technologie électorale que seul l’administration algérienne sait maîtriser.

42 ans après l’Indépendance, et avec une économie, exclusivement, prise en charge par la rente pétrolière, un chômage endémique, des pratiques politiques excluant au stade de la pratique concrète, toute parole différente, le présent est toujours amer. « Ils ont fait de nous des gens qui ne peuvent aujourd'hui, pour s'exprimer, qu'avoir recours à l'émeute. » Car incendier des mairies et des structures de l’Etat formel, est une preuve de l’absence de communication entre les gouvernants et les gouvernés et une mauvaise gestion de la société. Non écoutés, les jeunes Algériens se révoltent en usant des seules armes à leur disposition: la rue et les pierres. Cette explosion populaire est vécue comme une résistance à la violence de l’Etat. Bloquer une route est, aux yeux d’un jeune homme au chômage ou d’un ouvrier congédié, une sorte d’affirmation et de défi de l’autre, c’est-à-dire le Pouvoir.

42 ans après l’Indépendance, les jeunes Algériens ne croient plus aux idéaux martelés pendant des années par les différents pouvoirs illégitimes qui ont eu à gérer le pays. Qu’ils soient instruits, analphabètes, issus de milieux aisés ou démunis, la majorité des moins de 30 ans ne pense qu’à l’exil. Tous espèrent partir et laisser ce pays à ceux qui l’ont ruiné. C’est l’une des graves conséquences de la perversion de l’histoire de ce pays que ses dirigeants ont désormais divisé en deux parties : la Nomenklatura, classe des privilégiés, et le peuple, ces damnés de la terre.

 

Sur la chaîne satellitaire «El Hiwar », dans l’émission «Biwuduh », l’ex agent du DRS Karim Moulay, est revenu dans son témoignage sur certains drames qu’a connu l’Algérie durant le décennie noire. Du massacre de Sidi Youcef à Beni Messous au assassinats de personnes connues ou anonymes, Karim Moulay a dressé un tableau de ce que les citoyens avaient subi des années durant dans l’Algérois.

Le système de la Françalgérie est sans doute un des secrets les mieux gardés de la ve République. C’est un système complexe dont le cœur est l’argent, celui des « commissions » prélevées par les généraux du « cabinet noir » sur les échanges commerciaux avec l’étranger.

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Depuis 1999, le voile d’opacité recouvrant l’atroce guerre civile qui ensanglante l’Algérie depuis 1992 commence à se déchirer. Après les documentaires de France 2 sur le massacre de Bentalha et de Canal Plus sur l’assassinat du chanteur Matoub Lounès [1][1] J.-B. Rivoire et J.-P. Billault, Bentalha, autopsie..., après les livres de Nesroulah Yous et du lieutenant Habib Souaïdia [2][2] N. Yous, Qui a tué à Bentalha ?, La Découverte, ..., d’autres témoignages ont confirmé, et au-delà, ce qu’attestaient déjà ces documents : la responsabilité écrasante, dans cette tragédie interminable, des hauts responsables de l’armée (dirigée par le général Mohammed Lamari) et des services secrets (le Département de renseignement et de sécurité, DRS, successeur de la Sécurité militaire [3][3] Sur le rôle de la SM, voir l’impressionnant dossier..., dirigé par les généraux Mohamed Médiène, dit « Tewfik », et Smaïl Lamari, dit « Smaïn »). Avec les généraux Larbi Belkheir et Khaled Nezzar, les véritables « parrains », ce sont eux que l’on a appelé les « janviéristes », car ils ont été les organisateurs du coup d’État de janvier 1992.

•La manipulation de la violence islamiste
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Deux de ces témoignages, émanant d’anciens officiers du DRS, ont particulièrement frappé l’opinion. Celui du colonel Mohamed Samraoui, d’abord, qui, lors d’une longue interview à la chaîne arabe El Djazira, le 5 août 2001, a notamment déclaré, détails à l’appui : « Les GIA [Groupes islamistes armés], c’est la création du pouvoir : ils ont tué des officiers, des médecins, des journalistes et beaucoup d’autres. […] L’intérêt des généraux est d’appliquer la politique de la terreur pour casser les revendications légitimes du peuple, celle de partager le pouvoir. » Celui du commandant Hichem Aboud, ensuite : si son livre La mafia des généraux, paru en février 2002, pèche souvent par omission, il n’en contient pas moins de nombreuses révélations qui confirment les nombreux témoignages délivrés depuis 1994 dans la presse occidentale, jusque-là anonymement, par d’anciens membres des forces de sécurité.

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Il explique ainsi, notamment : « Comment ces généraux, qui disent sortir des grandes écoles de guerre françaises et russes, n’arrivent-ils pas en dix ans à éliminer des bandes armées commandées par des tôliers, des marchands de poulets et autres repris de justice ? […] Ce n’est plus un secret pour personne : le terrorisme intégriste est leur produit, leur instrument et leur allié le plus sûr pour maintenir leur domination sur le peuple algérien. La politique de l’infiltration et de la manipulation est l’arme absolue utilisée par les services du général Tewfik. Les groupes terroristes sont créés et dissous au gré des conjonctures et des événements [4][4] H. Aboud, La mafia des généraux, Lattès, 2002, ... […].

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L’intégrisme n’a jamais constitué un ennemi pour la mafia des généraux. Bien au contraire, ils s’en servent pour perpétuer leur pouvoir, perpétrer leurs crimes et réprimer toute opposition à leurs desseins. Que d’assassinats, commis à la faveur de cette ambiance marquée par la violence et le terrorisme, et mis sur le compte des GIA, qui n’est en fait qu’un produit sorti de leurs laboratoires [5][5] Idem, p. 186. […].

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Évidemment, l’énumération des assassinats commis par la mafia des généraux ne peut absoudre les groupes islamiques armés de leurs crimes. Cependant, il est utile de rappeler qu’une fraction de ces groupes est la création des services dirigés par le général-major Tewfik [6][6] Ibid., p. 192. […]. Il faut rappeler que les GIA se distinguent par l’absence d’un commandement unifié. Plusieurs bandes de criminels repris de justice ont pris eux aussi l’étiquette GIA pour perpétrer vols, racket, viols et assassinats. Cependant, les GIA de Djamel Zitouni et de ses successeurs sont, sans le moindre doute, l’œuvre du duo Tewfik-Smaïl [7][7] Ibid., pp. 194-195.. »

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On peut être certain que d’autres témoignages de ce type viendront, à l’avenir, compléter ce tableau, même si les généraux d’Alger ne ménagent aucun effort pour effacer les traces de leurs crimes, notamment en liquidant régulièrement ceux qu’ils ont chargé de les commettre et qui « en savent trop ».

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Dans ce contexte, seuls ceux, désormais très minoritaires, qui ont choisi de se boucher yeux et oreilles peuvent continuer à croire que la tragédie algérienne ne s’explique que par la lutte sans merci, comme on nous le raconte depuis dix ans, entre des « démocrates sincères » et des islamistes « afghans ». D’ailleurs, ces dernières années, les analyses n’avaient pas manqué, expliquant comment la dérive dans la folie sanguinaire du « cabinet noir » algérien s’inscrivait dans une tradition historique de manipulation de la violence [8][8] Voir notamment : L. Addi, « L’armée algérienne confisque....

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On peut comprendre que l’opinion occidentale – et française en particulier –, abusée par une entreprise de désinformation à large échelle (j’y reviendrai), a pu pendant si longtemps rester relativement indifférente au drame à huis clos qui se déroule à deux heures d’avion de Paris. En revanche, cette explication ne tient pas pour les gouvernements français qui se sont succédé dans la période : ceux-ci sont en effet parfaitement informés, par les services de renseignement (DST et DGSE), de la nature réelle de la « sale guerre », de la torture généralisée, des « escadrons de la mort », de l’amnistie de fait accordée aux terroristes par la loi de « concorde civile » (1999), de la misère dans laquelle a été plongée la population, de la corruption qui gangrène le corps social et permet à une infime minorité de s’enrichir scandaleusement. La DGSE dispose de longue date de moyens d’écoute sophistiqués qui lui permettent d’intercepter les communications des forces de sécurité algériennes ; quant à la DST, ses liens « historiques » avec la SM lui ont toujours assuré un excellent niveau d’information sur les actes et les motivations de ses interlocuteurs. Et au-delà, les liens entre responsables politiques et économiques des deux pays sont permanents : il n’est pas exagéré de dire que pour les véritables dirigeants algériens, la capitale de leur pays est Paris, où certains séjournent presque plus souvent qu’à Alger…

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Mais alors, pourquoi le silence de la France, « patrie des droits de l’homme » ? Pourquoi, comme l’indiquait un récent appel d’intellectuels européens et algériens, tout au long de ces années, les autorités françaises et européennes ont-elles « préféré “faire comme si…”. Comme si les gouvernements successifs issus depuis 1992 de coups de force ou d’élections truquées représentaient authentiquement la démocratie algérienne. Comme si la lutte contre les groupes armés islamistes, à quelques “bavures” près, avait été menée avec les armes du droit. Comme si l’économie algérienne était une économie “normale” [9][9] « L’Algérie après le 11 septembre : et les droits de... » ?

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La réponse à cette question n’est pas simple et implique plusieurs niveaux d’explication étroitement imbriqués, que l’on pourrait résumer en cinq actes : complicité historique, cynisme d’État, chantage au terrorisme, agit-prop médiatique, corruption et « rétrocorruption ».

•Complicité historique et cynisme d’État
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Le premier facteur est d’ordre contextuel. Il tient aux liens étroits qui se sont tissés depuis l’indépendance entre les dirigeants algériens et les dirigeants français. À droite, les gaullistes ont su, par-delà les tensions périodiques, entretenir des relations solides avec Alger, sur fond d’intérêts communs bien compris, de l’exploitation des hydrocarbures au front anti-américain sur la scène internationale. Les partis de la gauche officielle (PCF et PS), quant à eux, avaient à se faire pardonner leur attitude durant la guerre de libération, lors de laquelle ils avaient soutenu la violence d’État contre les « moudjahidine », ce qui explique le constat dressé par l’historien (et ancien militant du PSU) Bernard Ravenel, dans un article remarquablement documenté : « Dans la décennie 1971-1981, la gauche française tout entière a donné son soutien acritique au système de pouvoir construit par Boumediene. Ce faisant, elle lui a attribué un surcroît de légitimité. […] En se limitant pour l’essentiel au niveau de relation acritique d’État à État, la gauche française, avec des nuances mais globalement au moins jusqu’en 1988, a légitimé le système de pouvoir algérien. À ce titre, elle a sa part de responsabilité dans les malheurs et les drames d’aujourd’hui [10][10] B. Ravenel, « La gauche française au miroir de l’Algérie.... » Enfin, il ne faut pas oublier les véritables liens d’amitié qui ont pu se nouer, pendant la guerre d’Algérie, entre la minorité de gauche et d’extrême gauche qui apporta courageusement son soutien au FLN, et ses dirigeants de l’époque. Des liens souvent gardés intacts et qui ont pu jouer un rôle important dans le soutien apporté par la France à l’Algérie officielle ces dernières années, et dans l’aveuglement d’une partie de la gauche intellectuelle sur la vraie nature du pouvoir militaire.

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Le deuxième niveau d’explication est celui que l’on peut parfois entendre dans les salons feutrés du Quai d’Orsay : l’Algérie est un fournisseur important de la France et de plusieurs États de l’Union européenne pour le gaz et le pétrole, et il est donc important, pour assurer la sécurité de ces approvisionnements, qu’elle ne soit pas « déstabilisée » par l’islamisme radical. D’autant qu’une telle déstabilisation aurait un « effet domino » sur les deux pays voisins, Maroc et Tunisie, où la « menace islamiste » est également présente. Cette crainte était très forte en 1989-1991, au moment de la montée en puissance du Front islamique de salut (FIS), au point que l’armée française décida en 1991 des manœuvres militaires sur les côtes languedociennes, sur le thème : comment faire face à un afflux de « boat people » algériens chassés par une dictature islamiste ? La version moins euphémisée de cette doctrine, comme le relevait l’appel précité, est la suivante : « Face au “péril vert”, mieux vaut soutenir des militaires notoirement corrompus et sanguinaires (c’est la “doctrine Nixon” : “C’est un fils de pute, mais c’est notre fils de pute”, appliquée au cas du dictateur chilien Pinochet) ». Mais cette explication, si elle joue à l’évidence un rôle, est loin d’être la plus décisive. À elle seule, elle ne saurait en effet justifier un soutien aussi constant et déterminé à l’une des dictatures les plus brutales de ces dernières décennies. D’une certaine façon, il s’agit surtout d’un discours de justification – parfois sincère, parfois franchement cynique – principalement porté par le « deuxième cercle » du pouvoir : celui des « experts », intellectuels et journalistes influents fascinés par la raison d’État.

•Chantage au terrorisme
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Au sein du « premier cercle » des décideurs politiques français, d’autres raisons jouent un rôle plus important. La première est certainement le chantage au terrorisme exercé sur la France par les généraux d’Alger, surtout depuis 1994.

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Rappelons les faits, tels que les évoquait en 1996 Lucile Provost : « Depuis septembre 1993, date à laquelle deux géomètres français avaient été tués dans l’ouest de l’Algérie, les attentats dirigés contre la France n’ont pas cessé. Certains ont été particulièrement spectaculaires comme l’enlèvement de trois fonctionnaires consulaires à Alger en octobre 1993, le meurtre de cinq agents de l’ambassade (dont trois gendarmes) par un commando armé en août 1994, ou le détournement d’un Airbus d’Air France en décembre 1994. Les attentats sur le sol français à l’été et à l’automne 1995 sont ensuite venus nourrir les craintes d’une exportation de la violence. Après une demi-année de relative tranquillité, le rapt puis l’exécution en mai 1996 de sept moines, dans la région de Médéa, suivis de l’assassinat de Monseigneur Pierre Claverie, évêque d’Oran, le 1er août 1996, ont montré encore une fois que ni le régime ni les groupes armés n’avaient renoncé à faire de la France un des enjeux de leur lutte [11][11] L. Provost, « Poursuite de la violence, impasses.... » La plupart de ces crimes ont été attribués aux Groupes islamistes armés. Pourtant, les informations qui ont filtré depuis montrent qu’ils relèvent pour l’essentiel d’une « stratégie de la tension » mise en œuvre par les Services algériens, par islamistes manipulés interposés, pour faire pression sur la France et prévenir toute tentation de sa part de leur retirer son soutien.

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Plusieurs phases peuvent être distinguées. Dans les premières années (1993-1994), le moins qu’on puisse dire est que prévaut une certaine confusion, révélatrice des rapports tordus entretenus de longue date entre Services français et algériens. Il est en effet pratiquement établi que les actions les plus spectaculaires contre la France attribuées aux GIA dans cette période sont le résultat de manipulations, parfois élaborées en commun entre la SM et certaines branches des Services français, dans le but de « conduire les autorités françaises à s’engager résolument aux côtés de l’État algérien dans la logique de répression [12][12] Selon les termes de Jocelyne Césari, chercheuse au... ». Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Charles Pasqua, aurait ainsi joué un rôle clé dans l’affaire du « vrai-faux enlèvement » des trois fonctionnaires du consulat français, Jean-Claude et Michèle Thévenot et Alain Fressier, séquestrés le 24 octobre 1993, puis relâchés, par un commando « islamiste » dirigé par un certain Sid Ahmed Mourad (alias Djaafar el-Afghani) : le récit circonstancié de cet épisode par les journalistes Roger Faligot et Pascal Krop n’a fait l’objet d’aucun démenti [13][13] R. Faligot et P. Krop, DST police secrète, Flammarion,.... Cette affaire a en tout cas été le prétexte de l’« opération chrysanthème » du 4 novembre 1993, vaste rafle conduite par la police dans les milieux islamistes de l’Hexagone. De même, à la suite de l’assassinat de cinq Français le 5 août 1994, dix-sept militants et sympathisants islamistes ont été assignés à résidence à Folembray, dans l’Aisne. Et le 12 août 1994, les GIA exigeaient l’arrêt de « tout appui » de Paris au pouvoir algérien, faute de quoi ils menaçaient de « frapper violemment les intérêts français ». L’affaire de l’Airbus, en décembre de la même année, s’inscrit clairement dans cette séquence et relève plus que probablement d’une autre manipulation du DRS.

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En 1995, on change de registre, car les plus hauts responsables politiques français semblent considérer que les généraux algériens sont allés trop loin. Et ils commencent à mesurer leur soutien. La riposte des « groupes islamistes de l’armée » (comme les appelle la rue algérienne, depuis des années) est brutale : du 25 juillet au 17 octobre, sept attentats à la bombe, à Paris (RER Saint-Michel, place de l’Étoile, boulevard Richard-Lenoir, métro Maison-Blanche, RER Musée d’Orsay) et dans la région lyonnaise, tuent dix personnes et font des dizaines de blessés. Dans cette période, on apprend que l’« émir » des GIA, Djamel Zitouni, a adressé, le 19 août, une lettre au président de la République Jacques Chirac l’invitant « à se convertir à l’Islam pour être sauvé » et que, par un communiqué du 7 octobre, il a menacé la France de nouvelles « frappes militaires ». Les autorités françaises reçoivent ces « messages » cinq sur cinq, comme le reconnaît prudemment, dès juillet 1995, un conseiller du Premier ministre Alain Juppé : « C’est sans aucun doute le travail des islamistes. Mais qui est derrière eux ? Peut-être un clan de la Sécurité militaire algérienne ou du pouvoir qui voudrait nous entraîner comme allié dans leur combat contre le terrorisme [14][14] Cité par C. Angéli et S. Mesnier, Sale temps pour... ? »

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Certains responsables français se poseront cette même question après le martyre des sept moines de Tibhérine en mai 1996. Henri Tincq, le journaliste chargé des questions religieuses au quotidien Le Monde, s’en fera l’écho dans une enquête publiée en juin 1998 : « La version officielle de la responsabilité unique de groupes islamiques armés est mise en doute, aussi bien dans des cercles ecclésiastiques à Rome que par d’anciens officiers de la sécurité algérienne. Selon des témoignages récents, la sécurité avait infiltré les ravisseurs des moines et, parce qu’elle n’aurait pas supporté que les services français entrent eux-mêmes en contact avec les islamistes, l’affaire aurait mal tourné [15][15] H. Tincq, « La sécurité algérienne pourrait être.... »

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Ces doutes, le leader socialiste Lionel Jospin les exprimera plus globalement, en janvier 1997, cinq mois avant sa nomination au poste de Premier ministre. Celui qui est alors le chef de l’opposition de gauche déclare, très lucidement, évoquant le drame algérien : « On continue à hésiter entre le risque de l’indifférence et celui de l’engrenage si on s’exprime trop clairement. Voilà, je crois, les raisons du silence. […] Il n’est pas question d’une capitulation devant des forces qu’on peut à peine identifier, mais nous devons dire que nous ne sommes pas prêts, pour autant, à soutenir le pouvoir algérien quoi qu’il fasse. […] Un gouvernement, qu’il soit de droite ou de gauche en France, peut se demander si certains, ici ou là, ne pourraient pas être tentés de frapper si nous nous exprimions plus nettement. […] On peut certes espérer qu’en ne disant rien on sera moins touché. Mais on peut aussi se dire que, si le conflit ne trouve pas de solution, l’accumulation de ces violences est lourde de conséquences pour le futur. Il faut donc faire des choix [16][16] Interview à Libération, 27/01/1997.… »

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Et pourtant, en septembre 1997, trois mois après son entrée en fonction et quelques jours après les grands massacres de civils à Raïs et Sidi-Youcef, le même Lionel Jospin déclare : « Même si nous ressentons un sentiment d’horreur et de compassion […], avons-nous toujours à nous sentir coupables ? La France n’est plus responsable de ce qui meurtrit l’Algérie aujourd’hui. Au plan officiel, le gouvernement français est contraint dans son expression [souligné par nous]. Prendrait-il des initiatives qu’elles ne seraient pas reçues, nous le savons [17][17] Interview au Monde, 16/09/1997.. » Ce revirement spectaculaire, rarement relevé à l’époque, s’explique très trivialement : dès la constitution du gouvernement de Lionel Jospin en juin 1997, de discrets émissaires de la SM ont expliqué en substance au Quai d’Orsay et à certains responsables français que si le gouvernement français « s’exprimait plus nettement », il leur serait bien difficile d’empêcher que « certains, ici ou là », soient « tentés de frapper ». En termes plus crus, que les « Groupes islamistes de l’armée » pourraient à nouveau porter leur guerre sur le territoire français. Là encore, le message a été reçu. Et le gouvernement a cédé au chantage. Au lieu de mobiliser la puissance de ses services de police pour traquer les islamistes de l’armée présents sur le territoire français (agents directs de la SM ou militants islamistes manipulés), il a déclenché une opération diplomatique d’envergure, en particulier au sein de l’ONU, pour contrer la revendication d’une « commission d’enquête internationale ».

•Agit-prop médiatique
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Car la manifestation du 10 novembre 1997 à Paris, à l’initiative de l’association « Un jour pour l’Algérie » et de nombreuses ONG, a mis en avant le mot d’ordre de commission d’enquête internationale pour la vérité sur les massacres et les violations des droits de l’homme en Algérie, visant aussi bien le terrorisme islamique que le pouvoir. Des milliers de personnes sont descendues dans la rue, et la manifestation a eu un impact considérable. Face à cette initiative, les militaires algériens ont pris peur : si la pression de l’opinion internationale parvenait à imposer une « opération vérité » susceptible de mettre à jour les manipulations de la violence qu’ils exerçaient depuis des années, la base même de leur pouvoir et de leur richesse risquait d’être gravement ébranlée. Ils ont donc déclenché une contre-offensive d’envergure, leurs alliés civils multipliant les contacts avec des personnalités et des intellectuels français [18][18] Voir F. Gèze et S. Mellah, « Crimes contre l’humanité.... C’est dans ce climat que se sont inscrits un meeting à la Mutualité le 20 janvier 1998 et une émission sur la chaîne franco-allemande Arte, le lendemain, qui ont donné l’un et l’autre un large écho aux thèses des courants « éradicateurs » proches du pouvoir.

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Dès la fin 1997, plusieurs dignitaires du régime (dont Ali Haroun, ancien dirigeant de la Fédération de France du FLN) sont venus discrètement à Paris délivrer la bonne parole à quelques personnalités politiques et intellectuelles, surtout de gauche, jugées influentes. Alors même que les tueries redoublaient (plus de mille victimes dans une série de massacres dans l’Ouest du pays), cette démarche était suivie d’un véritable ballet de visites, officielles ou non, de personnalités françaises et européennes en Algérie (dont Claude Cheysson, Yvette Roudy, Francis Wurtz, Jack Lang), qui toutes sont revenues en affirmant les mêmes convictions : « Il est clair que ce sont les islamistes, ces fous de Dieu, qui tuent [19][19] Yvette Roudy, El Watan, 01/03/1998. », et face à eux, « seule la contre-violence est possible [20][20] Claude Cheysson, L’Express, 22/01/1998. ».

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Les philosophes Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann, les premiers, ont ramené de leur visite des reportages qui ne passeront pas inaperçus [21][21] B.-H. Lévy, « Choses vues en Algérie », Le Monde, ... – et vaudront à leurs auteurs un hommage empoisonné du « parrain » des « janviéristes », le général Khaled Nezzar (« Ils ont par leur courage fait connaître la vérité », écrira-t-il début février dans El Watan, avant d’assurer « ces hommes de courage et de conviction » de « son plus grand respect » et de sa « plus haute considération [22][22] Cité par J.-P. Tuquoi, « Les succès de communication... »).

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Mais l’offensive n’a pas été que médiatique. Ainsi, Jack Lang, le président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, qui réclamait en novembre 1997 la commission d’enquête internationale (c’était le bon sens, disait alors également Bernard-Henri Lévy), a-t-il déclaré trois mois plus tard, curieusement, le contraire. C’est qu’entre-temps Jack Lang a rencontré à Alger les dignitaires du pouvoir, il a donné des interviews lénifiantes dans la presse locale et il est revenu en France, expliquant que la commission d’enquête était inutile. De même, en février 1998, la préparation d’une délégation de parlementaires européens a fait l’objet d’une bagarre feutrée – mais très vive – entre les représentants des ONG de défense des droits de l’homme et les « éradicateurs » algériens et européens (principalement français et belges). Ces derniers ont reconnu certaines « bavures » du pouvoir, tout en soulignant que l’essentiel était de ne pas déstabiliser l’armée, dernier « rempart » contre l’islamisme. Après la visite, la conclusion du président de la délégation sera sans surprise : les forces de sécurité « ne sont pas impliquées dans les massacres mais constituent une armée mal entraînée et mal équipée pour lutter contre les formes mutantes de terrorisme [23][23] Cité par M. Scotto, « Les députés européens qui se... ». Une complaisance que la journaliste algérienne Salima Ghezali, qui venait justement de recevoir du Parlement européen le prix Sakharov des droits de l’homme, jugera en ces termes : « Ainsi l’Europe continue, sans surprise, à ne pas se définir et, en fait, à soutenir le régime algérien à l’instigation de Paris [24][24] Le Soir de Bruxelles, 14/02/1998.. »

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De fait, dans le même temps, les diplomates français s’activeront discrètement et efficacement dans les couloirs de l’ONU pour torpiller définitivement la revendication d’une commission d’enquête internationale pour connaître les commanditaires des massacres, qu’avait pourtant soutenue James Rubin, le porte-parole du Département d’État américain [25][25] Daily Press Briefing released by the Office of the.... Ce sinistre « succès diplomatique » montrait une nouvelle fois à quel point la France donne le « la » au niveau mondial sur le « dossier algérien » : tout se passe comme si, aux yeux des États démocratiques occidentaux, l’Algérie restait, quarante ans après son indépendance, une « affaire intérieure » française.

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Cette remarquable entreprise de verrouillage a enfin été complétée, en France même, par la liquidation « en douceur » des dizaines de comités de solidarité avec l’Algérie qui s’étaient créés à l’époque. Cette opération a été pilotée par les hommes de la Sécurité militaire présents sur le territoire : des militants « éradicateurs » français et algériens, sans doute pas toujours conscients d’être ainsi manipulés, ont été invités par des relais civils de la SM à rejoindre ces comités qui, sous leur influence, ont progressivement abandonné le mot d’ordre de commission d’enquête internationale – parfois au prix de vifs déchirements – et ont presque tous disparu en quelques mois, dans la confusion et le découragement des militants sincères.

•La SM en France
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Cet épisode illustre un autre élément essentiel du fonctionnement de la « Françalgérie » : la France est sans doute la seule grande démocratie au monde à tolérer sur son sol la présence d’une force policière nombreuse d’un État étranger. La SM dispose en effet en France, en permanence, de plusieurs centaines d’agents et de milliers d’indicateurs. Leur rôle premier est la surveillance serrée de la communauté algérienne immigrée. Dans les années post-indépendance, ils l’assuraient sous le couvert de l’Amicale des Algériens en Europe. Depuis les années quatre-vingt, avec l’enracinement des immigrés dans la société française, cette structure est tombée en déshérence, mais la fonction de surveillance, visant à éviter toute structuration d’une opposition au pouvoir dans l’immigration, est toujours une priorité de la SM. Ses agents sont bien sûrs présents dans les dix-huit consulats, mais ils usent aussi de diverses « couvertures » civiles. Traditionnellement coordonnée par un colonel en poste au consulat de Paris, leur action consiste à repérer les opposants, à neutraliser les plus actifs (par la récupération ou les menaces sur la famille restée au pays), à infiltrer et noyauter tous les regroupements, même les plus anodins (c’est ainsi qu’à l’automne 2001, la « branche française » de la SM a réussi à infiltrer et à faire scissionner l’Association des taxis kabyles de Paris, qui commençait à se mobiliser contre la répression en Kabylie…). Ce contrôle policier explique dans une large mesure la crainte dans laquelle vivent les Algériens de France et leur faible mobilisation face aux horreurs que vivent leurs familles restées au pays, dont ils connaissent pourtant parfaitement les responsables. Depuis le début de la « seconde guerre d’Algérie », la SM en France a également joué un rôle actif pour relayer, auprès de la presse et de la classe politique françaises, les opérations de désinformation concoctées dans les bureaux algérois du service d’action psychologique du DRS, dirigé jusqu’à la fin 2001 par le fameux colonel Hadj Zoubir.

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Toutes ces actions sont parfaitement connues des services français de renseignement, et en particulier de la DST, qui entretient de longue date les meilleurs rapports avec la SM (rappelons simplement l’assassinat en plein Paris, le 8 avril 1987, de l’opposant Ali Mécili : arrêté deux mois plus tard par la brigade criminelle, son assassin, Abdelmalek Amellou, sera identifié comme un agent de la SM, commanditaire de l’opération ; Amellou sera pourtant relâché, après intervention à « haut niveau » et pourra regagner Alger sans encombres [26][26] Voir H. Aït-Ahmed, L’Affaire Mécili, La Découverte, ...…).

•Corruption et « rétrocorruption »
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Mais le cœur de ce système complexe de la « Françalgérie » est sans conteste l’argent, celui des « commissions » prélevées par les généraux du « cabinet noir » sur les échanges commerciaux avec l’étranger.

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On le sait, l’économie algérienne est totalement dépendante des exportations de pétrole et de gaz, qui représentent 97 % des exportations (et 60 % des recettes fiscales de l’État). La production nationale de biens de consommation est sinistrée et l’essentiel doit être importé. Depuis les années quatre-vingt, la poignée de généraux qui contrôlent le pouvoir a fait passer à une échelle industrielle le « système des commissions » consistant à prélever à leur profit, par divers mécanismes occultes, 10 % à 15 % de ces flux d’exportation etd’importation [27][27] Voir à ce sujet l’une des très rares études documentées.... Ce que résume sobrement en ces termes l’ancien ministre du Commerce Smaïl Goumeziane : « De l’aveu même du président de la République, le commerce extérieur du pays serait entre les mains de dix à quinze personnes. […] Par ce biais, on estime qu’un milliard et demi à deux milliards de dollars fuient le pays chaque année. En trente ans, ce sont ainsi quelque 30 à 40 milliards de dollars de richesse nationale qui s’en sont allés se loger offshore dans les comptes numérotés de quelques banques internationales vertueuses, ou s’investir hors du pays dans l’hôtellerie, dans l’immobilier ou dans le négoce international [28][28] S. Goumeziane, « Économie algérienne : enjeux et.... »

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Cette corruption est le moteur fondamental de la « sale guerre » que les « décideurs » militaires mènent contre leurs compatriotes : sa fonction première est de briser et d’« éradiquer » tous les germes qui pourraient entraîner le peuple dans une révolution risquant de mettre fin à leurs privilèges et de tarir définitivement les sources de leur fortune. Or, ce « moteur » ne pourrait fonctionner sans complicités en France, premier partenaire commercial de l’Algérie, comme l’a rappelé Lucile Provost : « C’est en premier lieu par rapport à la France, aux firmes françaises, aux intermédiaires qui travaillent avec elles, que le pouvoir algérien organise la mise sous contrôle de l’économie. C’est le plus naturel. Les entreprises françaises sont sur place, les hommes se connaissent. Ce sont donc de véritables réseaux d’influence politico-économiques qui se sont mis en place avec l’ancienne métropole et existent encore aujourd’hui. Les Français ont d’ailleurs bénéficié, comme les Algériens, des retombées de cette économie de la dépendance. Les contrats sur l’Algérie étaient réputés particulièrement rentables, la surfacturation étant couramment de l’ordre de 30 % à 40 %. […] Les liens entre affaires et politique ne se sont jamais démentis, que ce soit à droite ou à gauche [29][29] L. Provost, La Seconde Guerre d’Algérie, Flammarion,.... » Pour dire cela plus brutalement : comme l’a montré l’« affaire Elf » à propos de la Françafrique, il n’est pas concevable que ce système de corruption franco-algérien, fondé sur les commissions, puisse fonctionner depuis plus de vingt ans sans que des « rétrocommissions » venues d’Algérie alimentent les corrupteurs français et les caisses des partis politiques, ainsi encouragés à fermer les yeux. Un système qui, assurément, fonctionne encore en 2002. Malheureusement, il est impossible d’en dire plus, car ce système est sans doute l’un des secrets les mieux gardés de la ve République. Bien sûr, aucune enquête n’a jamais été menée, alors même que les services de renseignement n’ignorent rien des nombreuses propriétés françaises des « janviéristes » et de leurs associés (chaînes de restaurants, hôtels, immeubles, boîtes de nuit, etc.). Et que les bureaux du ministère des Finances connaissent depuis des années les bénéficiaires algériens des commissions versées par les entreprises françaises, puisque celles-ci doivent les déclarer au Trésor pour les déduire de leurs impôts, comme l’a souligné le journaliste belge Baudouin Loos : « La France est l’un des rares pays européens à autoriser le versement de commissions par ses entreprises dans les transactions commerciales internationales [30][30] B. Loos, « L’Europe et l’Algérie », Institut européen.... »

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Le sang de dizaines de milliers d’Algériens a été versé pour que ce système de corruption perdure à l’abri du secret. On comprend donc que ceux qui cherchent à le percer risquent leur vie. L’exemple emblématique en est – rien moins – celui du président Mohammed Boudiaf, assassiné le 29 juin 1992 : il est désormais attesté que les généraux du « cabinet noir », qui l’avaient convaincu de prendre la tête de l’État après le putsch de janvier 1992, ont organisé son assassinat parce qu’il avait décidé d’enquêter en profondeur sur leurs circuits de corruption. Boudiaf avait envoyé à Paris, en juin 1992, cinq officiers de confiance pour obtenir du Premier ministre Pierre Bérégovoy les informations détenues par ses services sur ces circuits et leurs bénéficiaires [31][31] Mouvement algérien des officiers libres (MAOL), «.... Fin de non recevoir. De retour à Alger, les cinq hommes ont été assassinés, bien sûr par des « islamistes »… Quelques jours après, c’était le tour de Boudiaf lui-même. Dix ans plus tard, rien n’a bougé sur ce plan, le secret reste bien gardé. Mais l’Algérie est exsangue, et le « système » est au bout du rouleau, au point que ses protagonistes, après les révélations des livres et des films de 2000-2001, se déchirent (clan Belkheir contre clan Tewfik) au grand jour, non sans relancer les tueries aveugles d’islamistes manipulés pour tenter de donner le change.

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Il est plus que probable, dans ce contexte, que des « traîtres » commencent à « lâcher le morceau » pour se préserver. Et dès lors, on peut parier sans risque que, si la vérité sur la « Françalgérie » éclate, cela deviendra en France un scandale politique majeur, au côté duquel l’« Affaire Elf » fera figure de bluette… Le seul vœu qui puisse être formulé, dans cette perspective, est que cela permette d’engager l’indispensable nettoyage des réseaux de la « Françalgérie », dont les membres français (politiques et hommes d’affaires) ont permis trop longtemps aux généraux d’Alger d’agir impunément. •

Le massacre de Beni Messous :

 

Selon le témoignage de Karim Moulay, l’ordre de massacrer les populations avait été donné par le général Toufik. C’était un lieu idéal d’investissement pour la famille du général qui avait déjà des ateliers dans le quartier et qui avait besoin d’élargir leur business, surtout après avoir reçu beaucoup d’argent des banques et contracté des contrats juteux avec les Saoudiens et les Espagnols. Selon ses déclarations, le neveu du Général Toufik, le dénommé Abdellatif, était déjà installé dans les lieux avec trois ateliers et avait urgemment besoin d’extension.
« Abdellatif était un ami, je lui rendais visite souvent dans ses ateliers à Sidi Youcef. Mais un jour il m’avait dit, au moment ou il soudait les portes de ses ateliers, ne viens pas me voir entre le 2 et le 10 septembre en insistant la dessus », a témoigné l’ex-agent qui a rajouté que plus de 200 personnes avaient été massacrées la nuit du 5 septembre 1997, à quelques lieux seulement des casernes. Par la suite, le reste des habitants avaient quitté les lieux en vendant leurs biens à des prix vraiment dérisoires.

Mars 1997 sur l’autoroute Zeralda :

 

En mars 1997, sur l’autoroute de Zéralda, sept citoyens avaient été assassinés par un groupe terroriste islamiste selon la presse de l’époque. Aujourd’hui, Karim Moulay affirme sur le plateau de la chaîne El Hiwar qu’il était sur les lieux. Avec Abassi dit Abdelkader, son officier traitant, et quatre de ses acolytes, ils revenaient d’un bar et ils avaient décidé cette nuit là de dresser un faux barrage. Ils s’étaient, excepté lui, déguisés en islamistes, avec des barbes et des « kamisses » afghans, et ils avaient arrêté deux véhicules sur l’autoroute. Les sept passagers avaient été mitraillés après les avoir fait descendre de leurs voitures.
Selon ses témoignages, leur chef Abassi disait qu’en poussant la barbarie à l’extrême, nous aurons le soutien des occidentaux.

 

Assassinats :

 

Karim Moulay a aussi évoqué d’autres assassinats. Comme celui de Salah Djebaïli, recteur de l’université de Bab Ezzouar, le 31 mai 1994. C’est lui qui avait donné les indications à Abassi dit Abdelkader, mais il ne savait pas, selon ses dires, qu’ils allaient l’exécuter froidement à la sortie de l’université, à 500 mètres seulement de deux barrages des forces de l’ordre.
La journaliste Hayat de Bousaada avait été tuée par la même équipe parce qu’elle avait refusé de travailler avec eux.
L’étudiant Hamza Mohamed de l’Institut polytechnique d’El Harrach, un activiste islamiste, avait été lui aussi exécuté et c’est Karim Moulay qui avait renseigné ses assassins.
Un autre étudiant proche du FIS, le nommé Bedrane Mohammed avait été enlevé devant l’amphithéâtre M et c’était lui qui les avait emmenés jusqu’à lui. Depuis il avait disparu.

 

Son officier traitant, le sinistre Abassi lui avait confirmé l’implication de son service dans l’assassinat de Djillali Liabes, directeur de l’Institut des études stratégiques et ex ministre ainsi que dans l’assassinat de Hamoud Hambli, enseignant à l’université de Tizi-Ouzou. Karim Moulay a évoqué aussi d’autres affaires et les méthodes utilisées par le DRS. Il dira aussi que « j’ai essayé de quitter le DRS lorsque j’ai vu ce qu’il faisait réellement, mais Abassi m’avait dit : une seule balle suffit, la liste des victimes du terrorisme est longue ».

 

42 ans après l’Indépendance, on attend toujours un authentique Octobre. Un Octobre qui tarde certes à venir mais qui viendra sûrement, où l’on finira avec cette Algérie des colonels-colons. Une Algérie ou le journaliste et le caricaturiste doivent aller en prison pour avoir écrit l’évidence. Une Algérie où Salima Ghozali, Ali Yahya Abdennour, Abassi Madani, et Hocine Aït Ahmed sont toujours infréquentables. Disons-le sereinement : l’Algérie d’aujourd’hui est l’Algérie des impostures. L’Algérie d’aujourd’hui ne peut être ni républicaine, ni démocratique ni populaire. L’Algérie d’aujourd’hui est un immense Goulag. 

 

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