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Abnormal Report
1 août 2017

Un officier accuse le général terroriste de l'oas Nezzar d'avoir organisé des massacres en Algérie pour diaboliser l'islam !

"Algérie : une interview exclusive de l'ex-chef
de l'armée. Le général Nezzar attaque"

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Source: Externe

 

Propos receuillis par Henri-Christian Giraud, Le Figaro Magazine, 21 avril 2001(reproduit par La Nouvelle République, 21et 22 avril 2001)

Ancien officier de l'Armée française qu'il déserta en avril 1958 pour rejoindre l'Armée de libération nationale (Aln), ancien commandant des Forces terrestres à la tête desquelles il rétablit l'ordre lors des émeutes et de la tentative d'insurrection d'Octobre 1988 qui firent entre 169 (chiffres officiels) et 500 morts, le général Khaled Nezzar est entré dans l'histoire par sa décision, en 1992, d'interrompre le processus électoral qui donnait la victoire au FIS (Front islamique du salut). Chef d'état-major général, ministre de la Défense nationale et membre du Haut comité d'État (instance collégiale chargée de suppléer la vacance du pouvoir présidentiel après la démission de Chadli Bendjedid), le général Nezzar a dirigé la guerre contre les islamistes. Aujourd'hui en retraite, il fut longtemps l'homme fort du régime algérien. Et aux yeux des experts comme de l'opinion publique de son pays, il est encore de ceux qui comptent.

Vous vous apprêtez à publier vos Mémoires en France et à y faire une tournée de conférences dans un climat de mise en accusation du régime algérien…
La publication de mes mémoires en France était prévue depuis longtemps, mais il se trouve, en effet, qu'elle coïncide avec une campagne de diabolisation sans précédent de l'Armée algérienne. Le fort des islamistes, et notamment du FIS, c'est leur propagande. Une propagande qui s'exerce à travers un site internet, le MAOL, le Mouvement algérien des officiers libres, qui prétend regrouper des officiers qui ont fui l'Algérie parce qu'ils y étaient soi-disant persécutés. Seuls de rares anciens officiers de l'ANP en retraite ou dégagés de l'Armée ont rejoint le MAOL. A ma connaissance, un seul cas de désertion a été signalé, celui d'un pilote d'hélicoptère, le lieutenant Messaoud Alili. Par contre, près de 200 éléments ont rejoint les maquis intégristes et ont tous été tués. La plupart des sous-officiers et hommes de troupe, hormis quelques rares cas d'officiers subalternes. Le MAOL bénéficie bien entendu, de l'aide de l'islamisme international.

Le livre * de Habib Souaïdia assimile l'action de l'Armée à des activités criminelles comparables à celles des groupes terroristes.
L'ex-lieutenant Souaïdia est un voyou doublé d'un imposteur : il n'a jamais fait partie des unités spéciales. Non qualifié pour appartenir à une troupe d'élite, il fut affecté au 25e régiment de reconnaissance de la Division blindée où il a passé tout son temps au sein de l'Armée. Quant à son livre, c'est un montage cousu de fil blanc. Son témoignage cite des noms, situe des dates et des lieux, décrit des faits précis. Par sa reconnaissance de l'organisation des unités et de la chaîne du commandement, il donne toutes les apparences de la crédibilité. Précisément, ce ne sont que des apparences.
Un mot de l'auteur d'abord. Habib Souaïdia est un repris de justice qui a été condamné à quatre ans de prison ferme par un tribunal militaire pour avoir volé les véhicules de civils qu'il avait pour mission de protéger. Bien que criant maintenant à l'injustice, il n'a pas fait appel à l'époque. Autre contradiction : à la page 161 de son livre, il écrit que son avocat, Me Chandouki du barreau de Blida, a plaidé que son dossier était "entièrement vide" puis, quatre pages plus loin, qu'il ne pouvait pas compter sur lui pour le défendre. Comprenne qui pourra ! Une chose est sûre : Souaïdia a accompli totalement sa peine. D'ordinaire, les prisonniers n'en effectuent que les deux tiers seulement mais, en l'occurrence, la gravité du délit commis au cours d'une mission qui lui avait été donnée et en période d'état d'urgence ne lui a valu aucune indulgence. Souaïdia dit avoir été victime d'une machination… En 1998, lorsqu'une mission onusienne conduite par l'ancien président portugais Mario Soares s'est rendue en Algérie pour enquêter sur la situation des droits de l'Homme, les autorités lui ont remis une liste d'officiers coupables d'exactions contre la population. Or, le nom de Souaïdia figure sur cette liste alors qu'il était à l'époque un parfait inconnu et qu'il purgeait sa peine dans une prison militaire. Est-ce bien une preuve du motif de sa condamnation ?
Certainement, car la mission onusienne pouvait alors demander à l'entendre. Et si les autorités algériennes avaient eu quelque chose à se reprocher dans son cas, elles prenaient tout simplement le risque d'être confondues. Avec toutes les répercussions internationales que l'on peut imaginer ! Mais il y a une autre preuve qui me paraît tout aussi décisive : si les cadres militaires algériens sont vraiment les tortionnaires que Souaïdia dénonce, on ne comprend pas qu'ils aient laissé en vie un témoin aussi gênant que lui. D'ailleurs, sans doute pour atténuer l'impression que cette "contradiction" peut provoquer chez les lecteurs, Souaïdia écrit ne pas comprendre pourquoi ses tortionnaires ne l'ont pas tué… Or, non seulement ils l'ont laissé en vie, mais ils l'ont libéré. Puis il l'ont laissé engager des démarches pour obtenir un passeport, se débrouiller pour obtenir un visa et quitter le territoire national… A propos de visa, Souaïdia affirme qu'il y a des fonctionnaires corrompus de l'ambassade de France qui font le trafic et que c'est ainsi qu'il a obtenu le sien pour 6 000 F !
Tout cela est pour le moins tiré par les cheveux et l'on s'étonne que ceux qui ont accordé du crédit à ses accusations contre l'Armée ne se soient posé la moindre question sur un personnage qui avait de "bonnes" raisons de vouloir salir une institution dont il avait été exclu ! A ce sujet, Souaïdia prétend avoir demandé sa radiation de l'Armée, mais celle-ci est automatique pour une condamnation de plus de six mois et elle est effective dès le prononcé du jugement. Contrairement à ce qu'il dit, il n'a donc jamais eu à la demander !

Souaïdia est ce qu'il est, mais cela ne veut pas dire que ses accusations ne sont pas vraies. Il accuse l'Armée de commettre des massacres attribués aux islamistes. Si c'était vrai, pensez-vous qu'une armée composée à 80 % de conscrits garderait sa cohésion ?
Ce serait impossible. La troupe se serait depuis longtemps soulevée contre ses chefs. En outre, de telles exactions sont impensables sur le plan éthique : nos officiers ont été formés par des grandes écoles, ils ont un idéal et le respect de certaines règles. Cette armée qui maîtrise toutes les technologies et est prête à manœuvrer avec l'Otan, ne serait donc qu'une bande de barbares ! Souaïdia cite des faits précis comme par exemple, le massacre du douar Zaâtria en mars 1993.
Il n'y a jamais eu à cette époque de massacre au douar Zaâtria. La presse algérienne a fait une enquête et les déclarations de la population ont apporté un démenti catégorique au mensonge de Souaïdia. Deux journalistes français se sont rendus sur place pour enquêter eux aussi sur cette supposée tuerie et leur conclusion a été la même. Des médias étrangers se sont d'ailleurs - et c'est tout à leur honneur - fait l'écho de ces enquêtes.

Une unité commandée par le capitaine Yacine est tombée dans une embuscade et le général Mohamed Lamari, en personne, a interdit à Souaïdia de porter secours à ses camarades. Il n'a eu que le droit, un peu plus tard, de relever les cadavres. Pour lui, ce massacre était voulu par la hiérarchie.
Ce cas fait partie de plusieurs autres allégations où Souaïdia accuse la hiérarchie en mettant en avant le nom de code Bravo 55. Ce nom de code ne peut provenir que de son unité ou de son secteur opérationnel. Il est établi simplement dans un but de coordination lorsqu'il y a intervention des unités spécialisées sur un objectif situé à proximité, afin d'éviter les méprises et de prendre ainsi pour cible, par erreur, des unités stationnées aux alentours. Il ne peut en aucun cas, provenir du sommet de la hiérarchie, sachant que l'organisation des transmissions dans ce genre de situation est strictement hiérarchisée. Il est impossible, dès lors, qu'un chef de section reçoive des ordres par radio directement du chef d'état-major.

Souaïdia dit avoir vu des militaires brûler vif un enfant de quinze ans en 1994.
Selon les déclarations de la famille de ce malheureux, il s'agissait d'un vendeur de cigarettes à la sauvette qui n'a pas tenu compte de l'interdiction lancée par les islamistes contre la consommation de tabac. C'est d'eux qu'il a été victime, pas de l'Armée !
Ce ne sont pas non plus les services de sécurité qui ont commis l'attentat à l'aéroport Houari Boumediene en 1992. Les auteurs de ce crime horrible ont été arrêtés et ils ont publiquement reconnu leur forfait. Je m'emploierai à démonter tous ces mensonges lors de mes conférences en France, car je sais qu'ils ont semé le doute dans la communauté algérienne en France et peut-être aussi chez les Français de bonne foi, majoritaires du reste. Contrairement à ce que l'on raconte à l'étranger, nous avons une armée extraordinaire qui n'a pas eu de répit depuis l'affaire du Sahara occidental et qui - grâce à la restructuration que j'ai entreprise dans les années 80 et qui a apporté du sang neuf -, est commandée par une nouvelle génération d'officiers, jeunes et de qualité.

Tous ces officiers, les Chengriha, les Chibani, dont Souaïdia dénonce le comportement, vous les connaissez ?
Chengrina et Chibani qui se sont succédé à la tête de la division, sont passés par Saint-Cyr, Saumur et l'Ecole de guerre. Ce sont des hommes remarquables. Quand je lis leurs portraits sous la plume de Souaïdia, je me dis : si cela est vrai, si tous ces officiers sont ce qu'il en dit, c'est moi le responsable. Si j'ai formé des monstres pareils, alors c'est que je suis un monstre moi aussi ! Qu'il me désigne donc ! Or, curieusement il m'épargne…

Il vous crédite même du limogeage d'un officier corrompu, un certain colonel Boukhari. Est-ce vrai ?
Sanctionner un officier supérieur ne peut se faire qu'au niveau du ministre, et donc du ministre de la Défense que j'étais. Au cours de ma carrière de ministre, j'ai sanctionné un général et deux colonels parce qu'ils faisaient des affaires à l'extérieur (la loi ne l'interdit pas, mais le règlement militaire l'interdit), mais je n'ai aucun souvenir de cette affaire Boukhari. Sanctionner un colonel, ce n'est pas rien ! Si c'était vrai, il me semble que je m'en souviendrais. [Le colonel Boukhari dont il est question était commandant de l'école de parachutisme à Biskra par la suite, commandant du secteur militaire de Sidi Bel-Abbès, avec le grade de colonel. Il décéda à la tête de ses troupes au cours d'une opération, NDLR.]

Quel est le rôle de la commission d'éthique que vous avez personnellement créée au sein de l'Armée?
La commission d'éthique a concerné une trentaine d'officiers qui se sont rendus coupables de propagande intégriste. Ils constituaient de ce fait, des foyers séditieux. J'ai reçu dans mon bureau certains de ces officiers, dont un a été réintégré dans les rangs des l'Armée par mes soins. Pour ce qui est des officiers appartenant à ce groupe et évoqués dans le livre de Souaïdia comme étant disparus ou ayant été exécutés par l'Armée, je précise pour le cas du capitaine Boualeg - en fait le capitaine Allag Abdelhadi - officier exemplaire selon ses propos, ce dernier a été reconnu coupable d'abus d'autorité contre des civils, jugé et condamné pour cela. Ce cas a été signalé au panel onusien. Pour les capitaines Chouchène, Mahdadi et Azizou, la réalité est que ces trois officiers ont été condamnés à diverses peines de prison et furent libérés entre 1993 et 1995. Ils sont toujours en vie. S'agissant de l'ex-capitaine Chouchène, il vit actuellement à Londres où il entretient d'étroites relations avec les milieux intégristes. 

Pourquoi l’armée, qui se trouvait dans les parages, est-elle restée l’arme au pied lors du massacre de Bentelha ? 
En Algérie, chaque hameau, chaque village son devenus des points sensibles et un point sensible ne peut être bien défendu que lorsque des troupes y sont implantées. L’étendue du territoire et le faible volume de forces à l’époque, ne permettaient pas la mise en place d’une défense opérationnelle du territoire, constituées en éléments de surface en éléments d’intervention. 
S’agissant du cas de Bentelha , une partie des complices des terroristes était implantée dans le tissu urbain. L’extinction de la lumière pendant que les assaillants en grand nombre accomplissaient forfait, créait une confusion telle qu’une intervention venant de l’extérieur ne pouvait que rendre plus dangereuse la situation du moment. Le petit nombre de patriotes ainsi que le détachement de la garde communale sur place furent fixés par une partie des terroristes pendant que la grande partie s’adonnait aux massacres de la population et au saccage de ses biens. Dans ce cas précis, une seule attitude est possible pour des éléments intervenant de l’extérieur : 
faire acte de présence par le feu et tenter de prendre les assaillants à revers sur le ou les chemins du retour. Souaïdia précise bien dans son livre qu’il n’y avait qu’une trentaine d’hommes dans la caserne e soir-là. C’est effectivement me moment que choisissent les terroristes pour accomplir leurs forfaits. Ils sont renseignés par leurs complices chaque fois que la troupe se déplace en opération. Souvenons-nous du massacre de quinze Serbes à mille mètres de la Kfor par les Kosovars sans que cette dernière ait pu intervenir. 
Aucune armée n’est pure et sans tache surtout dans une sale guerre !
Pour une sale guerre c’est une sale guerre en effet que celle qui voit des hommes – je devrais dire des bêtes – fracasser la tête des bébés contre les murs et tuer des collégiens à coups de hache ! Imaginez le traumatisme des jeunes soldats quand ils découvrent de telles scènes d’horreur ! Qu’il y ait des dérapages, c’est inévitable dans un tel climat de sauvagerie, mais ils sont sanctionnés. Je peux vous assurez qu’aucun innocent n’a été touché.

Souaïdia accuse l’armée d’être une machine à fabriquer des terroristes. 
La machine à fabriquer des terroristes, ce n’est pas l’armée, ce sont nos “conciliateurs” politiques : le FLN, le FFS, le parti de Louisa Hanoun, tous ceux qui ont participé à la conférence de San’Egidio. En un mot, selon moi, tous ceux qui s’emploient d’une manière ou d’une autre à légitimer le terrorisme. Ce sont eux qui ont rempli les maquis d’opportunistes qui pensaient ainsi être dans le camp des gagnants. 
Souaïdia accuse des généraux d’avoir ordonné l’assassinat du président Boudiaf… En tant que chef d’état-major général j’ai été le principal artisan du retour de Boudiaf en Algérie. Pour quelle raison alors, mes collègues et moi l’aurions-nous fait disparaître ? Pour prendre le pouvoir ? Mais ce pouvoir nous l’avions et nous avons précisément fait venir Boudiaf pour le lui donner et pour qu’il l’exercice avec l’autorité qui le caractérisait. D’ailleurs, j’ai démissionné du Haut comité d’Etat. Pour cacher quelque chose ? Mais caher quoi ? Je connais le refrain : les généraux algériens sont des pourris, ils ont des comptes partout. J’ai même entendu Anne Sinclair dire qu’“ils se partagent la rente pétrolière”… C’est ahurissant de dénoncer ainsi sans preuve toute une corporation ! Vous savez combien gagne un général ? 5 440 000 dinars, c’est-à-dire l’équivalent de 5 400 F. Avec les primes, il double sa solde. Pour en revenir à Boudiaf, nous l’avons fait venir pur sauver l’Algérie du chaos et nous aurions pris délibérément le risque d’augmenter le chaos, car sa mort fut un cataclysme – en l’éliminant ! C’est absurde.

Pourquoi l’a-t-on tué ? 
Dans son livre, Souaïdia reconnaît lui-même que Boudiaf avait une priorité : la lutte contre l’islamisme. D’ailleurs, le FIS l’a aussitôt accusé urbi et orbi d’être “un agent de la franc-maçonnerie internationale”. On sait également que – contrairement à certains de ses prédécesseurs qui n’avaient pas hésité à flirter avec le FIS – Boudiaf était résolument opposé à tout partage du pouvoir. 
“Je n’ai pas de pouvoir à partager”, martelait-il. Enfin, par son charisme, Boudiaf déclenchait notamment chez les jeunes – une dynamique nouvelle qui balayait les partisans d’un régime théocratique totalitaire. Qui avait donc intérêt à le tuer, sinon les islamistes ? Son assassin, le sous-lieutenant Boumaârafi, un homme renfermé selon tous ses collègues, s’est muré dans son mutisme lors de son procès devant une juridiction civile et la justice a conclu à un acte isolé. Depuis, il fait l’objet d’une protection constante. J’étais présent dans le bureau du général Lamari, chef d’état-major de l’armée, lorsqu’il a transmis l’ordre de tout faire pour garder vivant Boumaârafi lors de la mutinerie des prisonniers islamistes à Serkadji. Les militaires ont protégé Boumaârafi au péril de leur vie alors que celui-ci était parmi les mutins. Personnellement, je suis persuadés qu’il finira par avouer un jour ses convictions islamistes. Alors la vérité éclatera aux yeux de tous.

Selon vous, qui est à l’origine de ce livre ? 
Souaïdia dit qu’il parage le combat du MOAL. Selon moi, ce sont donc les islamistes qui ont participé à l’élaboration de ce livre qui eut une supercherie du même genre que celle de Timisoara, mais en bien pire ! Car accusez une armée nationale et issue du peuple de tuer ses compatriotes, est une abomination. Même nos intellectuels – qui comme tous les intellectuels sont plutôt antimilitaristes – se sont levés comme un seul homme pour dénoncer ce mensonge.

Selon le MOAL, 47 officiers, sympathisants islamistes, détenus dans la prison de Boghari – et qui allaient être libérés à la fin de leur peine – ont été froidement assassinés par le DRS (sécurité militaire). 
Boghari n’est pas une prison, mais un centre d’instruction. N’importe quel militaire d’un certain rang le sait, ce qui semble bien prouver qu’il y a peu de vrais miliaires dans le MOAL. Ceux qui se cachent derrière cette association qui dit n’importe quoi tentent de faire croire maintenant que, comme il y a des “officiers livres” à l’étranger, il y a aussi des “officiers libres” sur le territoire algérien et, bien entendu, qu’ils sont persécutés. Pour confirmer encore une fois que le MOAL n’est rien de plus qu’un site Internet, je voudrais rapporter un extrait d’un éditorial de ce mouvement en réponse à un article d’un ancien chef de région à la retraite : “Lors d’une réunion en 1992, présidée par Gaïd Salah et à laquelle ont assisté plus de 450 officiers, vous avez suggéré à ce dernier qui avait froidement annoncé aux officiers présents qu’en cas de refus d’obéissance, le commandement militaire était prêt à louer les services d’une armée étrangère pour venir à bout de tous les insurgés… Vous l’avez quand même fait, ou faut-il vous rappeler les mercenaires ? Les Sud-Africains, les Français, les Yougoslaves et autres.” Ma réponse est que de telles allégations ne peuvent provenir de militaires soi-disant libres, donc censés connaître l’ANP. La réunion tenue à Aïn Naâdja (QG des forces terrestres), comprenait les chefs des régions militaires, les chefs de divisions de combat et le chef d’état-major. Elle n’a jamais réuni plus de 25 personnes. Elle était présidée par moi-même, en ma qualité de ministre de la Défense nationale à l’époque, Gaïd Salah n’était que chef de région.

Ou on est le terrorisme aujourd’hui ? 
Il est mois fort qu’hier, mais plus agressif. Et comme il est résiduel, il est, par définition, plus difficile à réduire d’autant qu’il s’attaque généralement à des populations isolées dans des régions difficiles d’accès pour les fores de l’ordre. Mais l’enjeu est gagné.

L’enjeu est gagné ? 
Oui. Le terrorisme a encore une capacité de nuisance, mais il ne peut plus renverser le régime. Un scénario afghan est désormais impossible. L’Algérie a été la cible du terrorisme islamique international en raison de sa position stratégique : faire tomber l’Algérie, c’était déstabiliser tout une série de pays, voire de régions. Et les choix s’est porté sur elle à un moment où elle était particulièrement faible. Ma conviction est que si le terrorisme doit mourir, c’est ici, en Algérie qu’il mourra parce que ses partisans ont compris que le terrorisme ne mène à rien.

Regrettez-vous d’avoir dû arrêter le processus électoral en 1992 ? 
En aucun cas. Ce serait à refaire, je le referais. Nous étions prêts à accepter que le FIS participe à l’Assemblée à hauteur de 30% des sièges. Mais 70% des sièges, obtenus dès le premier tour et en ballottage favorable au second tour grâce à une fraude généralisée et une loi électorale scélérate, c’eut été le règne des talibans en Algérie ! Au niveau des effectifs, que représentent les terroristes ? La mouvance terroriste compte une demi-douzaine de groupes (GIA, FIDA, GSPC, etc) qui ont, chacun, sa spécificité. 
Pour ce qui est des effectifs, tout dépend des régions. Dans la région d’Alger, Antar Zouabri (GIA) n’a pas plus d’une centaine de personnes. Il a succédé à la tête de son groupe à ses deux frères qui ont été tués. C’est aussi le cas pour Hassan Hattab, chef du GSCP en Kabylie. On pourrait presque parler de dynasties… Ce terrorisme se caractérise par une sauvagerie ahurissant et une sauvagerie à répétition, dans l’espace et le temps, qu en fait à mes yeux un phénomène inédit.

Quel est l’émir le plus puissant actuellement ? 
C’est Hassan Hattab III avec ces GSPC parce que lui s’attaque prioritairement aux forces de l’ordre et pas à la population, donc il vit davantage comme un poisson dans l’eau. Surtout dans les fortes concentrations maraboutiques suite à une interdiction d’armer les populations ordonnée par le FFS.

Y a-t-il des pays qui soutiennent le terrorisme ? 
Plusieurs pays ont soutenu les terroristes, notamment l’Iran qui par sa propagande, ses écrits et ses proclamations, a sciemment mis de l’huile sur le feu. Aussi, au début des années quatre-vingt dix, ai-je personnellement décidé le renvoi de l’ambassadeur et la fermeture de l’ambassade. Parallèlement, nous avons suspendu les relations avec le Soudan.

Que pensez-vous de la “concorde civile” mise en œuvre par Bouteflika et qui offre aux terroristes l’occasion de se repentir et de réintégrer la société ? 
J’y suis favorable, car il s’agit d’une guerre entre Algériens et que l’on doit finir par s’entendre. J’y suis d’autant favorable d’ailleurs que ce sont des militaires, notamment le général Smaïn Lamari qui l’ont engagée. Les résultats de cette politique sont dans un sens positifs puisque plus de 7 000 terroristes se sont rendus. Ce sont autant de bourreaux en moins. Reste le problème que posent ces repentis qui ne sont pas passés par la justice et qui sont là maintenant, au milieu de la population, dans une situation qui n’est pas aisée pour eux pas plus qu’elle ne l’est d’ailleurs pour leurs victimes. 
Certains disent que la concorde civile a connu du succès auprès des gens qu’elle ne concernait pas – les terroristes de l’AIS, l’armée du FIS – et un échec auprès de ceux qu’elle concernait : les terroriste du GIA. 
C’est faux. En 1997, lorsque l’AIS a accepté de cesser le combat, elle ne comptait que 600 combattants. Or, il a eu plus de 7 000 ralliés.

Quelle politique faut-il adopter envers les terroristes qui refusent la concorde civile ? 
A mon sens, il n’y en a qu’une : l’éradication. Ce n’était pas mon choix d’origine puisque j’étais favorable au pardon, mais aujourd’hui devant ces gens qui se conduisent plus sauvagement que des bêtes sauvages, je dis que la seule solution c’est de les éradiquer.

C’est-à-dire les exterminer ? 
C’est-à-dire les combattre jusqu’au bout et y mettre le prix qu’il faut. 
La publication des livres de Nesroulah Yous *** et de Souaïdia a été suivie d’une pétition d’intellectuels français réclament la création d’une commission d’enquête internationale sur les faits et gestes de l’armée. Que pensez-vous de cette demande d’internationalisation de la crise algérienne ? 
A mon sens, l’arrière-pensée est toujours la même : il s’agit de réhabiliter le FIS. Et cela passe par la déstabilisation de l’armée, principal acteur du combat contre les intégristes. On accuse l’état-major d’entretenir la stratégie de la tension pour éliminer toute opposition.

Le président gouverne avec une coalition. Que représentent les autres partis à côté de cette coalition ? 
A ma connaissance, pas grand chose. S’ils avaient quelque chose à dire on les entendrait. A lire la presse algérienne, on n’a pas, il me semble, l’impression que les Algériens sont muselés ! 
Dénonçant l’aide financière et la livraison d’armes sophistiquées à l’Algérie, certains milieux intellectuels accusent aussi la politique algérienne de la France d’une “véritable complicité de crime contre l’humanité”. En impliquant la France dans cette affaire, il s’agit encore, d’une manière ou d’une autre, de favoriser l’internationalisation d’un problème strictement algéro-algérienne. Nous nous sommes battus pour notre indépendance et nous l’avons payée suffisamment cher pour n’accepter aucune ingérence étrangère. Parce que nous acceptions certaines aides de l’URSS, on a dit autrefois que nus avions livré Mers El-Kébir aux Russes ! C’était totalement faux. Je vais vous faire une confidence : Moscou est revenu à la charge plusieurs fois pour utiliser un aéroport en Algérie. Un aéroport qui aurait servi aux avions soviétiques à atteindre l’Europe. Nous avons refusé. Et Moscou en a été pour ses frais. Comment accepter maintenant qu’on vienne ici nous donner les leçons et nous dicter notre conduire !

Après avoir lancé la “concorde civile”, le président Bouteflika, vient de parler de “concorde nationale”. Quel est le sens de ce projet ? 
Certains l’ont aussitôt suspecté de vouloir tendre la main au FIS. Qu’en pensez-vous ? 
Personnellement. Je m’en tiens à la concorde civile. Je ne sais pas ce signifie concrètement la concorde nationale, car pour l’instant cela n’existe pas. Les militaires sont sur le terrain et continuent de remplir leur mission.

Il y a dix huit mois, Bouteflika promettait le retour de la paix. A-t-il réussi ou échoué ? 
Je ne parlerais pas d’échec, car nous savions qu’ils ne pourrait pas faire de miracle. Le président a un mandat de cinq ans. Il a encore le temps de réussir.

 

Le général Nezzar passait ses nuits avec le général Bigeard!

 

 

 

C’est ce qu’a déclaré le colonel Amar Benouda, dernier membre du groupe des 22, en ajoutant que c’est pour cela que Boumediene a ordonné son limogeage de l’ANP.

 

 Est ce que Nezzar était homosexuel pour passer ses nuits avec Bigeard ?

 

En outre, il a défié l’ancien ministre de la Défense, Khaled Nezzar,  de produire un quelconque document attestant d’avoir donné sans autorisation de sa hiérarchie l’armement algérien à l’Egypte.

 

En effet, ceci vient en réponse à l’accusation grave proférée par Nezzar, l’accusant même d’incohérence dans ses déclarations au sujet de la question des armes, compte tenu de ce qui a été rapporté dans ses mémoires.

 

Et d’ajouter qu’il comprenait sa haine envers lui et le président Houari Boumediene, car ce dernier,  avant sa mort, avait donné un ordre à Abdelkader Chabou, SG du ministère de la Défense, de le limoger des rangs de l’ANP,  sur la base d’un rapport des services de sécurité algériens à Paris notifiant que Nezzar passait ses soirées avec Marcel Bigeard, de triste mémoire,  dans sa maison en banlieue.

 

Mais Chabou lui a conseillé de se faire oublier et il n’est réapparu qu’aux obsèques de feu Boumediene.

 

Et d’ajouter que c’est Chabou qui l’a coopté, protégé et soutenu du temps de Chadli Bendjedid.

 

Mais au final Nezzar s’est retourné contre Chadli en le forçant à démissionner car d’après Benaouda, il est l’instigateur et l’exécutant du complot tramé contre le président Chadli Bendjedid qui a respecté la volonté du peuple et les résultats des élections législatives de 1991.

 

Source: Externe

Necer boudiaf: " ce sont Nezzar et Toufik qui ont tué mon père "

 

 Donc selon Lounis Aggoun il y aurait un lien entre la mort de Boudiaf à Annaba le 29 Juin 1992 et la mort de Beregovoy le 1 Mai 1993 à Nevers.Soitdisant Bérégovoy est mort suicidé de trois balles dans la tête ce qui bien sûr est impossible normalement sans intervention extérieure !

 

 

 

   Donc voilà ce qui se serait passé Boudiaf a envoyé 3 émissaires algériens à l'Elysée pour savoir quel généraux et politiciens algériens la France arrosait avec des rétrocommission sur les armes et le pétrole et Bérégovoy aurait communiqué cette liste à Boudiaf et donc ses envoyés la suite tout le monde la connait ils sont tous morts assassinés !

 

 

 

  Donc il est vraissemblable que Mitterrand avec les généraux algériens en fait des agents du mossad et du Maroc ils ont crée les GIA l'ancêtre de Daesch avec la complicité de Charles Pasqua et BHL bien sûr!

 

 

 

  Bérégovoy a été liquidé car il était contre le massacres de millions d'algériens innocents et Boudiaf car il en savait trop sur les magouilles terroristes de Mitterand et BHL et Pasqua !

 

 

 

  Les troupes du GIA étaient entrainés au Maroc il y avait des blancs sud africains des suisses et des marocains et aussi des légionnaires des pays de l'est ayant rejoins la légion étrangère française aprés l'écroulement économique des blocs de l'Est! Cet ancêtre de Daesh carburait au Captagon ce qui montre l'implication de l'OTAN ! Certains émirs du GIA ont avoué que c'était la France et le Maroc qui versaient leur salaires ! Bien entendu les troupes du GIA ne pouvaient circuler en Algérie sans la complicité de l'armée algérienne des DAF aux ordres de la France!

 

 

 

La confirmation de la mise en examen du diplomate algérien, Mohamed Ziane Hasseni, dans l’affaire de l’assassinat de Ali André Mecili a mis le feu aux poudres en Algérie, où les barons du régime s’inquiètent que cela n’augure de l’ouverture d’autres dossiers. C’est la théorie des dominos qui s’installe. Les barons du régime pressent leurs "amis" français de faire quelque chose. Et pour leur donner des motifs solides pour invoquer la sacro-sainte raison d’état, qui a toujours servi à les sortir d’affaire, ils déclenchent en Algérie un battage médiatique, et une "ndignation populaire "spontanée" qui en appelle à revoir toutes les conditions de la coopération économiques avec la France. Pas moins !

La Françalgérie est dans tous ses états. Ou plutôt dans toutes ses raisons d’état, devrions nous dire. Et pour cause !

La justice française a refusé de se laisser dicter sa conduite, dans l’affaire Mecili, pour une Raison d’état qui n’en est pas une. Un pavé dans la mare de la Françalgérie.

Entre la France et le régime algérien, les nombreuses interférences pour raison d’état qui ont prévalu, pour détourner le cours de la justice, ou étouffer des scandales, ont consisté à jeter un voile pudique sur des atrocités commises par la junte, sur des assassinats, sur de gros scandales financiers.

Dans de nombreuses “affaires” algériennes, l’action de l’état français sur la justice, pour la canaliser, ou sur la presse, pour la bâillonner, au nom de la Raison d’état, a été motivée, à ce qu’il semble, par le souci de préserver les intérêts économiques de la France.
En fait, et parfois aussi, cela fut le cas pour des raisons moins glorieuses. Pour ceux de politiciens français véreux qui fricotaient dans les cassettes des généraux algériens, sous le prétexte bien commode de financement de leurs partis respectifs.
C’était devenu, au fil du temps, une sorte de pis-aller. D’une manière générale, les gouvernements français successifs, de gauche comme de droite, avaient fini par se convaincre que l’importance de la coopération économique avec l’Algérie, méritait bien quelques entorses à la morale. D’autant que les barons du régime algérien, dont certains étaient des agents des services français, avaient bien compris qu’ils auraient les coudées franches tant qu’ils ne dépassaient pas certaines limites. Et que charbonnier est maître chez soi.

En clair, l’état français exigeait seulement d’eux qu’ils ne portent pas atteinte aux intérêts et à la sécurité de la France. Pour le reste, tant qu’ils saignaient leur propre peuple, et qu’ils le pillaient sans vergogne, la France ferait semblant de regarder ailleurs.

Et comme ce no man’s land moral était très étendu, qu’une étroite coopération s’y pratiquait entre les “services”, et entre des amitiés en haut lieu, les barons du régime algérien, par l’entremise de certains de leurs compères qui étaient des agents des services français, avaient crée une sorte de caisse noire pour fluidifier les rapports. Tenue de façon presque rigoureuse, par des “commis honnêtes”, celle-ci gérait les rétro commissions, les “cadeaux” du nouvel an, les dons aux partis, les “prêts”, les étrennes, certaines prises en charge de certains frais et aidait même à engager, ou à faire fructifier, des affaires discrètes aux quatre coins du monde.
Il en résulta une connivence des plus profitables. Au point où les “amis” algériens étaient même pressentis pour prendre en main des “affaires” avec d’autres milieux étrangers, qui n’avaient pas toute la confiance des “amis” français et avec lesquels il était préférable de ne pas se compromettre, en traitant directement avec eux.

 

 

 

La confirmation de la mise en examen du diplomate algérien, Mohamed Ziane Hasseni, dans l’affaire de l’assassinat de Ali André Mecili a mis le feu aux poudres en Algérie, où les barons du régime s’inquiètent que cela n’augure de l’ouverture d’autres dossiers. C’est la théorie des dominos qui s’installe. Les barons du régime pressent leurs "amis" français de faire quelque chose. Et pour leur donner des motifs solides pour invoquer la sacro-sainte raison d’état, qui a toujours servi à les sortir d’affaire, ils déclenchent en Algérie un battage médiatique, et une "ndignation populaire "spontanée" qui en appelle à revoir toutes les conditions de la coopération économiques avec la France. Pas moins !

La Françalgérie est dans tous ses états. Ou plutôt dans toutes ses raisons d’état, devrions nous dire. Et pour cause !

La justice française a refusé de se laisser dicter sa conduite, dans l’affaire Mecili, pour une Raison d’état qui n’en est pas une. Un pavé dans la mare de la Françalgérie.

Entre la France et le régime algérien, les nombreuses interférences pour raison d’état qui ont prévalu, pour détourner le cours de la justice, ou étouffer des scandales, ont consisté à jeter un voile pudique sur des atrocités commises par la junte, sur des assassinats, sur de gros scandales financiers.

Dans de nombreuses “affaires” algériennes, l’action de l’état français sur la justice, pour la canaliser, ou sur la presse, pour la bâillonner, au nom de la Raison d’état, a été motivée, à ce qu’il semble, par le souci de préserver les intérêts économiques de la France.
En fait, et parfois aussi, cela fut le cas pour des raisons moins glorieuses. Pour ceux de politiciens français véreux qui fricotaient dans les cassettes des généraux algériens, sous le prétexte bien commode de financement de leurs partis respectifs.
C’était devenu, au fil du temps, une sorte de pis-aller. D’une manière générale, les gouvernements français successifs, de gauche comme de droite, avaient fini par se convaincre que l’importance de la coopération économique avec l’Algérie, méritait bien quelques entorses à la morale. D’autant que les barons du régime algérien, dont certains étaient des agents des services français, avaient bien compris qu’ils auraient les coudées franches tant qu’ils ne dépassaient pas certaines limites. Et que charbonnier est maître chez soi.

En clair, l’état français exigeait seulement d’eux qu’ils ne portent pas atteinte aux intérêts et à la sécurité de la France. Pour le reste, tant qu’ils saignaient leur propre peuple, et qu’ils le pillaient sans vergogne, la France ferait semblant de regarder ailleurs.

Et comme ce no man’s land moral était très étendu, qu’une étroite coopération s’y pratiquait entre les “services”, et entre des amitiés en haut lieu, les barons du régime algérien, par l’entremise de certains de leurs compères qui étaient des agents des services français, avaient crée une sorte de caisse noire pour fluidifier les rapports. Tenue de façon presque rigoureuse, par des “commis honnêtes”, celle-ci gérait les rétro commissions, les “cadeaux” du nouvel an, les dons aux partis, les “prêts”, les étrennes, certaines prises en charge de certains frais et aidait même à engager, ou à faire fructifier, des affaires discrètes aux quatre coins du monde.
Il en résulta une connivence des plus profitables. Au point où les “amis” algériens étaient même pressentis pour prendre en main des “affaires” avec d’autres milieux étrangers, qui n’avaient pas toute la confiance des “amis” français et avec lesquels il était préférable de ne pas se compromettre, en traitant directement avec eux.

 

carlos
16/12/2008, 23h14
En contrepartie de tous ces services rendus, les barons algériens pouvaient avoir des "affaires" en France, y faire l’acquisition de résidences de luxe, y avoir des comptes bancaires et même y mener des activités politiques secrètes, parfois assistées par leurs “amis” français.
Il y eut même des cas de coopération étroite et coordonnée, pour conditionner l’opinion de la “populace” française, comme l’affaire du couple Thevenot ou celle de Folembray.

Mais il arrivait aux “amis” algériens, avec leurs grosses godasses, de marcher dans le plat. Comme dans l’affaire Mecili, du métro parisien, des moines trappistes, et d’autres qui ont été rattrapées au vol.
Le plus remarquable est que les “amis” français étaient tout aussi serviables à gauche qu’à droite. Ce qui explique la longévité de la collaboration, au nom de la Raison d’état.

Une collaboration à toute épreuve. Puisque pas une seule affaire n’a pu, jusque là, assombrir cette fructueuse collaboration.
L’une des affaires les plus sombres de cette amitié à l’épreuve des balles, presque inconnue du grand public, mais qu finira bien par ressortir un jour, montre toute l’étendue de la connivence, et jusqu’où elle peut aller. Cette affaire, qui est l’archétype de la coopération entre les “amis” français et algériens, allait se solder par l’asassinat de trois officiers algériens, d’un ex-chef du Gouvernement algérien, Kasdi Merbah, et du Chef de l’état algérien, Mohamed Boudiaf.

C’est l’affaire du colonel Mourad. Sur recommandation de Kasdi Merbah, ex-chef du gouvernement, chef de parti politique et ancien chef des services secrets algériens, qui lui avait fourni un dossier très complet sur les pratiques mafieuses de plusieurs généraux, le président Boudiaf désigna le colonel Mourad, un officier du DRS*, dont Kasdi Merbah répondait de l’intégrité, pour se rendre en France enquêter sur les avoirs de certains généraux, dont le général Larbi Belkheir.
Boudiaf avait téléphoné à Pierre Beregovoy, le Chef du chef du gouvernement français, pour lui demander de recevoir le colonel Mourad et trois autres officiers qui l’accompagnaient pour une affaire très grave qu’ils lui exposeraient de vive voix. Leur véritable mission n’était connue que de Boudiaf et de Kasdi Merbah.

Arrivés en France, le colonel Mourad et ses trois assistants furent reçus par des assistants de Beregovoy et leur exposèrent le motif de leur visite. Ils présentèrent une liste de généraux qui avaient des comptes bancaires en France, des biens immobiliers et des sociétés, et sollicitèrent une assistance des services français pour mener une enquête. Malgré la bonne volonté de Pierre Beregovoy, celle-ci ne put aboutir. Des “amis” français s’étaient mobilisés, et la justice française refusa d’autoriser la levée du secret bancaire sur les comptes des généraux algériens.

Les “amis” algériens furent avertis, bien sûr. Et le sort du colonel Mourad et de ses assistants fut scellé alors qu’ils se trouvaient encore sur le sol français.
Une semaine après leur retour, le colonel Mourad fut assassiné de trois balles dans le cou. Une semaine après sa mort, ses trois assistants, un capitaine et deux lieutenants, furent assassinés à leur tour. Comble du cynisme, des honneurs militaires exceptionnels leur furent présentés lors de leur inhumation, et leur mort fut attribuée au GIA, qui poussa la gentillesse jusqu’à la revendiquer.

Les dossiers que Kasdi Merbah avait confiés par Kasdi Merbah à Boudiaf sur les avoirs des généraux furent dérobés du bureau de celui-ci. Du bureau du président de la république.

Puis ce fut l’assassinat du président Boudiaf. En direct à la télévision. Pour que cela serve d’exemple à tout le monde.
Et un peu plus d’une année plus tard, ce fut celui de Kasdi Merbah, de son fils, de son frère et de deux autres personnes qui l’accompagnaient.
Tous ceux qui avaient tenté de briser l’omerta qui entoure les pratiques des généraux algériens et de la FrancAlgérie furent supprimés, les uns après les autres. Du lieutenant jusqu’au chef de l’Etat, en passant par le colonel, et l’ex chef du gouvernement.

Les “amis” francais des tueurs, qui les ont alerté, et qui ont exercé des pressions sur la justice française pour empêcher la levée du secret bancaire, au nom de cette misérable Raison d’état, en porteront la responsabilité devant le tribunal de l’Histoire.

Ce sont les mêmes, ou les amis des mêmes, qui tentent, au travers d’officines plus ou moins douteuses, plus ou moins officielles, de freiner l’action de la justice, dans l’affaire Mecili. Toujours au nom de la raison d’état, là où il n’y a que des intérêts sordides, crimes et manipulation de masse.

Côté algérien, on tente de créer un climat propice pour justifier cette raison d’état, au sein de l’opinion française, pour que les “amis” français puissent jouer sur du velours. La presse algérienne de service a été chargée de déterrer l’affaire des essais nucléaires français au Sahara, de la repentance sur le colonialisme, de la nécessité de revoir la coopération économique avec la France. Le grand jeu. Pour donner du grain à moudre aux militants de la Raison d’état.

Pour la consommation locale, en Algérie, la même presse, ainsi que le ministre de la communication et porte parole du gouvernement, déclarent, toute honte bue, que l’exhumation de l’affaire Mecili est un acte de vengeance de la France contre le ministre algérien qui avait osé déclarer que l’action du président Sarkozy était mue par ses origines juives.

Un quotidien algérien d’expression arabe, donc destiné à la “populace du cru” a lancé une pétition pour un million et demi de signatures pour protester contre la mise en examen du “diplomate algérien” Ce chiffre se veut hautement symbolique, et ne cherche pas moins que de mobiliser une sorte d’élan patriotard contre cette France qui a tué un million et demi d”Algériens pendant la lutte de libération nationale. C’est dire.

Côté français, malgré la gravité des conséquences que cette connivence honteuse avec une mafia qui a pris tout un peuple en otage, qui le broie, qui le tue et qui pille ses richesses, des politiciens sans honneur, et qui sont indignes des grands principes républicains de la France, continuent de vouloir détourner le cours de la justice au nom d’une raison d’état mensongère. Il est temps que l’opinion publique française sache que derrière ce fallacieux prétexte, se cache la volonté de protéger des assassins et des voleurs. Voire des complices.

En Algérie, le régime n’éprouve même pas le besoin de renouveler ses méthodes. Au point où ça en devient monotone. Parce qu’il ne fait pas grand cas de la “foule” qu’il abreuve de slogans primitifs. Des manipulations cousues de fil blanc, dont il use, jusqu’à la corde, pour détourner l’attention de l’opinion sur les vrais problèmes, sur ses agissements et sur ses frasques. L’usage immodéré, et honteux, qu’il fait de la mémoire collective, des combattants qui sont tombés au champ d’honneur, dont il a été le premier à trahir le sacrifice, et cet écran qu’il a crée de ces centaines de milliers de faux moudjahidines, n’ont plus de prise sur l’imaginaire collectif.

Hichem Aboud rompt la loi du silence

L'ancien chef de cabinet du patron de la toute-puissante Sécurité militaire algérienne dévoile quelques-uns des secrets les mieux gardés de son pays. Propos recueillis par Farid Aïchoune et Jean-Baptiste Naudet.

1. Ali Mecili assassiné sur ordre de la présidence de la République

Le 7 avril 1987, l'avocat Ali Mecili, proche de l'opposant Aït Ahmed, est assassiné à Paris dans le hall de son immeuble du boulevard Saint-Michel. Deux mois plus tard, la police judiciaire arrête Abdelmalek Amellou, un proxénète parisien d'origine algérienne, qui détient un ordre de mission qui porte la signature du "capitaine Hassani". Ce nom est celui d'un officier de la Sécurité militaire algérienne. Déféré devant la justice, Amellou est expulsé en procédure d'urgence vers l'Algérie, sur ordre du ministre de l'Intérieur, Charles Pasqua.

Le Nouvel Observateur. - Que savez-vous de l'affaire Ali Mecili?
Hichem Aboud. - A l'époque j'étais chargé du dossier du Moyen-Orient au cabinet du général Lakhal Ayat, le directeur central de la Sécurité militaire (la DCSM). Je sais que les ordres sont venus de la présidence de la République. Le général Ayat a eu une réunion à la présidence avec Larbi Belkheir, qui était à l'époque directeur de cabinet du président Chadli [et qui est aujourd'hui directeur de cabinet du président Bouteflika, NDLR]. Des instructions lui ont alors été données pour monter une opération contre Mecili.

N. O. - Pourquoi Mecili, qui était un avocat inconnu de la majorité de la population et même de la classe politique algérienne? 
H. Aboud. - A l'époque, il avait rapproché Aït Ahmed et Ben Bella, deux figures de la révolution algérienne. Aït Ahmed venait de reprendre le Front des Forces socialistes, le FFS, et Ben Bella avait monté le MDA qui était devenu le mouvement d'opposition numéro un. Ces deux hommes gênaient, il fallait les neutraliser. Mais si l'on avait touché à l'un d'eux, le scandale aurait été immense. Donc ils s'en sont pris à celui qui les avait rapprochés. C'était un avertissement pour les deux: "Comme on a pu tuer Mecili, vous aussi - vous n'êtes pas loin - on peut vous atteindre." C'est le capitaine Rachid Hassani qui a pris en charge cette mission. Il venait d'arriver de la gendarmerie.

N. O. - Comment l'avez-vous appris ? 
H. Aboud. - C'est le capitaine Hassani qui m'en a parlé. C'était mon ami. Il est de mon patelin, pratiquement de la même tribu que moi, dans les Aurès. Hassani a pris en main l'affaire Mecili parce qu'aucun officier ne l'avait acceptée.

N. O. - C'est ce qu'il vous a dit ? 
H. Aboud. - Oui. Ceux qui devaient traiter l'affaire, ceux qui avaient le dossier de l'opposition et ceux qui étaient dans l'opérationnel avaient refusé.

N. O. - Pourquoi ? 
H. Aboud. - Parce que les gens refusent de faire des sales coups. N'oubliez pas que dans l'armée algérienne - même si on bloque ces gens, si on ne les laisse pas apparaître - il y a une élite universitaire recrutée dans les années 70 pour apporter du sang neuf. Ces officiers ont des convictions, des scrupules. La culture qu'on nous a donnée, c'est le patriotisme. Nous sommes là pour servir le pays, pas pour commettre des assassinats ou servir des hommes et des clans. On n'entre pas à la Sécurité militaire, dans la police ou dans la gendarmerie pour commettre des assassinats. Et là, c'était clair, il s'agissait de commettre un assassinat.

N. O. - C'est pour cette raison qu'on a fait appel à un proxénète ? 
H. Aboud. - Oui, ils ne trouvent personne d'autre. Dans les services, il y a des tireurs d'élite, des professionnels. Personne ne s'est aventuré à prendre cette affaire. Hassani, qui a piloté l'opération, arrivait de la gendarmerie. Il n'avait suivi aucune formation d'officier de renseignement. En prenant le dossier, il avait ses raisons. D'après ce qu'il m'a raconté, Mecili, à l'époque où il était l'un des hauts responsables de la Sécurité militaire, avait fait du mal à sa famille, en particulier à son oncle, Moussa Hassani, un ancien ministre des PTT du temps de Ben Bella. A Paris, Hassani a embauché Abdelmalek Amellou, le proxénète qui a assassiné Mecili. Celui-ci a obtenu un appartement à Alger et une prime de 800 000 francs. Quand Amellou a été arrêté après l'assassinat, le gouvernement français [Jacques Chirac était alors Premier ministre et Charles Pasqua ministre de l'Intérieur, NDLR] a donné un sacré coup de main aux Algériens en l'aidant à fuir la justice française…

2. Chadli derrière les émeutes d'octobre 1988

Le 5 octobre 1988, de violentes émeutes éclatent un peu partout en Algérie. Après vingt-quatre heures de flottement, le président Chadli Bendjedid décrète l'état de siège. Il fait intervenir l'armée qui écrase la révolte dans le sang. Un mois plus tard, le pouvoir met fin au régime du parti unique et promet une démocratisation qui va surtout profiter au Front islamique du Salut (FIS)

N. O. - En octobre 1988 des émeutes éclatent le même jour, à la même heure, dans plusieurs villes d'Algérie. Le soulèvement populaire ne semble pas très spontané…
H. Aboud. - Il ne l'est pas du tout. Dès le 5 octobre, tout le monde savait qu'il allait y avoir des manifestations. Tout le monde en parlait. Depuis longtemps, les choses commençaient à se gâter. Les détournements de fonds, les détournements de recettes pétrolières avaient atteint un point inimaginable. Des grèves se déclenchaient un peu partout, notamment dans la zone industrielle de Rouiba, dans la banlieue est d'Alger. On a commencé à provoquer des troubles, des pénuries en tout genre alors que les produits existaient. Et quand les manifestants ont saccagé les magasins d'Etat, ils ont trouvé ces produits, de la tomate, de la semoule, du lait…

N. O. - Donc ces pénuries étaient organisées. Par qui ? 
H. Aboud. - Quand on organise des pénuries, c'est pour amener les gens à se révolter. Le 18 septembre 1988, Chadli a fait un discours dans lequel il a clairement appelé les gens à se révolter : " Mais pourquoi vous restez comme ça ? Sortez dans la rue, manifestez, révoltez-vous. " Sur le moment, personne n'a compris ce qu'il voulait dire. Le 5 octobre, lorsque les émeutes ont commencé, il n'y avait pas un policier dans la rue, personne devant les bâtiments administratifs, banques, ministères. Pas même un agent de la circulation… Pourtant on savait que ça allait éclater parce que la veille au soir, des émeutiers s'étaient déjà attaqués à la mairie de Bab el-Oued. A quoi s'en prenaient les manifestants ? A des cibles bien précises : commissariats de police, banques, bureaux d'Air Algérie, Galeries algériennes, les grands magasins d'Etat et les locaux du FLN. Les policiers ont laissé faire. Ils avaient reçu ordre de ne pas tirer. Même pas de tirs de sommation. On ne ferme pas non plus les commissariats. C'est à ce moment que le président Chadli fait intervenir l'armée. Et qui intervient ? Pas le chef d'état-major Belhouchet, qui est écarté. Ni le patron des services de sécurité, Ayat, qui est aussi mis sur la touche. C'est Khaled Nezzar, alors chef des Forces terrestres, qui est nommé commandant de l'état de siège. Il a comme adjoint Mohamed Betchine, qui deviendra après ces événements le nouveau chef de la Sécurité militaire. Ils sont assistés par le général Mohammed Lamari.

N. O. - Pourquoi avoir provoqué ces émeutes ? 
H. Aboud - Le but de la manipulation était de provoquer une révolte, des remous, pour amener le président à prendre des décisions et à changer de cap en matière économique. Pas pour des raisons idéologiques - le libéralisme n'appartient pas à la culture de ces clans -, mais pour préserver les fortunes qu'ils s'étaient constituées durant ces années de socialisme. Depuis un certain temps, il était devenu difficile pour eux d'étaler cette richesse. En organisant ce changement de cap, ils voulaient - et ils ont pu - légaliser ces fortunes mal acquises.

N. O. - Vous avez accusé le général Betchine d'avoir, à l'époque, supervisé les séances de torture des manifestants arrêtés… 
H. Aboud. - C'est lui qui dirigeait les séances de torture. Le général Nezzar lui-même reconnaît que la torture était pratiquée dans la caserne Sidi Fredj qui était sous le commandement de Betchine (1). Il a reconnu, aussi, que le beau-fils de Chadli, Kaddour Lahouel qui était wali [préfet] de Tipaza, y avait assisté. Aujourd'hui personne ne veut évoquer ce douloureux épisode. Car ils seront nombreux à devoir répondre de la mort de 500 jeunes manifestants. Et notamment le général Khaled Nezzar, qui sur la place du 1er-Mai ordonnait aux soldats de ne pas hésiter à tirer au canon…

N. O. - Comment, en tant qu'officier, avez-vous vécu ces événements ? 
H. Aboud. - Chargé du Moyen-Orient, je n'étais pas en prise directe avec ce dossier. Dans la soirée du 5 octobre je m'étais rendu à Tunis où je devais rencontrer Abou Iyad, à l'époque numéro deux de l'OLP (2). Je suis revenu à Alger trois jours plus tard. J'avais remarqué que la DGPS (nom officiel de la Sécurité militaire de septembre 1987 à octobre 1988) était coupée de la présidence. Mais le général Ayat, en tant que patron des services, se devait de suivre les événements. Il avait mis en place une cellule d'analyse que j'ai intégrée le 9 octobre. On travaillait sur la base des informations qui nous parvenaient des bureaux de sécurité des grandes villes. En analysant ces informations nous avions conclu que les pénuries étaient organisées et que la manifestation qui devait se dérouler de manière pacifique avait tourné à l'émeute. D'où intervention de l'armée et le bain de sang. C'était dans les plans des conspirateurs. Au peuple qui criait famine, on a donné le multipartisme et une démocratie de façade à défaut de pain, de logements et de travail. Et on l'a entraîné dans le bourbier islamiste et dans une guerre qui dure depuis dix ans.

(1) " Mémoires du général Khaled Nezzar ", Editions Chihab (Algérie).
(2) Abou Iyad sera assassiné le 14 janvier 1991 à Tunis par un dissident palestinien.

3. Pourquoi le pouvoir a aidé les islamistes

En septembre 1989, le Front islamique du Salut est officiellement reconnu. Prospérant sur la colère et la misère, il remporte les élections municipales de juin 1990. Puis il enlève le premier tour des élections législatives anticipées de décembre 1991. Mais le 11 janvier, l'armée fait un coup de force : elle contraint le président Chadli Bendjedid à démissionner et annule le second tour des législatives. Les islamistes vont alors se lancer dans une lutte armée qui se poursuit aujourd'hui encore.

N. O. - Lors de la révolte d'octobre 1988, les notes des agents sur le terrain font-elles état d'une activité des islamistes ? 
H. Aboud. - Non, rien.

N. O. - Pourtant on les voit à la tête des manifestations ? 
H. Aboud. - Le 9 octobre le ministre de l'Intérieur Hadi Khédiri a appelé le dirigeant islamiste le plus respecté : cheikh Sahnoun, chef de la Dawa, la Ligue islamique. C'est ainsi qu'on a fait intervenir les islamistes, qu'on leur a donné du poids. Lors d'une réunion secrète Hadi Khédiri a demandé au cheikh Sahnoun d'organiser une manifestation à Belcourt. Plus tard le ministre s'est justifié en disant qu'il avait appelé le cheikh Sahnoun pour calmer la foule. Il n'y avait pas, alors, de force islamiste organisée. Les émeutes d'octobre n'étaient pas l'œuvre des islamistes. On leur a donné les dividendes d'octobre.

N. O. - Pourquoi le pouvoir fait-il appel à cheikh Sahnoun ? 
H. Aboud. -Parce que le Front des Forces socialistes (FFS, social-démocrate), le Parti de l'Avant-Garde socialiste (PAGS, communiste) et le Mouvement démocratique algérien (MDA, " Benbelliste "), c'est la gauche, le " socialisme ". Or, le pouvoir a besoin d'une force, organisée sur le terrain, qui prenne en charge la nouvelle " revendication " en faveur du libéralisme. Une force qui a toujours milité contre le socialisme, appelé au libéralisme. C'est le cas de l'organisation de cheikh Sahnoun. Oui, octobre 1988 a été une grande manipulation.

N. O. - Le pouvoir a-t-il tenté d'infiltrer les groupes armés islamistes lorsqu'ils sont apparus ? 
H. Aboud. - Dès 1989, il y avait des vols d'explosifs, des attaques. A ce moment j'étais sous-directeur à la division Evaluation et Analyse de la Sécurité militaire. Etant donné les bonnes relations que notre service entretenait avec le Hezbollah libanais et le Djihad islamique palestinien, nous avions suggéré l'infiltration des premiers noyaux islamistes par ces deux organisations. Mais la présidence n'a pas donné suite.

N. O. - Cela signifie-t-il que le pouvoir ne voulait pas s'opposer à la montée des islamistes ? 
H. Aboud. - Bien sûr. C'est ce que montrent clairement la légalisation, quelques mois après sa création, du Front islamique du Salut (FIS) en contradiction avec la loi du 5 juillet 1989, puis la bizarre liberté d'action dont il a bénéficié. Lorsque les Tunisiens ont proposé, dans le cadre de la coopération, de filer Ghanouchi [le chef des islamistes tunisiens] quand il venait rencontrer les gens du FIS, les services algériens ont refusé au nom de la démocratie… Les Tunisiens n'en revenaient pas. L'ambassadeur de l'Arabie Saoudite allait au siège du FIS, il invitait ses dirigeants. On savait pourtant que le FIS était financé par l'Arabie Saoudite. On laissait faire. On ne bougeait pas.

N. O. - Pourquoi ? 
H. Aboud. - A l'époque, les partis qui avaient un certain poids politique étaient le FFS de Aït Ahmed, le PAGS, le MDA. Aït Ahmed représentait un danger. S'il avait remporté les élections, quel alibi le pouvoir aurait-il trouvé pour le renverser ? Or il y avait un consensus entre les clans : le pouvoir ne devait pas leur échapper.

N. O. - C'est ainsi que le FIS a remporté les élections municipales de juin 1990 ? 
H. Aboud. - Lors de cette consultation, j'étais chargé de centraliser les informations pour la Sécurité militaire. Des rapports étaient envoyés toutes les heures aux décideurs (président de la République, chef du gouvernement, etc.) Il était fait état de nombreuses irrégularités. Les élections auraient dû être annulées dans à peu près 60% des bureaux de vote. Le soir, lors de la proclamation des résultats, Mohamed Betchine, qui était à l'époque patron des services, s'attendait à ce que le ministre de l'Intérieur Mohamed Mohamedi prononce l'annulation du scrutin. En fait il s'est contenté de proclamer les résultats. Ils ont été à deux doigts d'en venir aux mains. Betchine ne comprenait pas le jeu des clans, parce que, jusque-là, il n'était qu'un pion. C'est ainsi que le FIS a gagné, pris les mairies. Et qu'il n'y a pas eu de réaction de l'armée, ni de l'état-major, ni de qui que ce soit.

N. O. - C'était un pari risqué…
H. Aboud. - Les décideurs pensaient avoir donné des miettes au FIS. Ils pensaient alors que le FIS n'avait pas de pouvoir et qu'il allait échouer dans la gestion des mairies. Après les municipales, le pouvoir a tenté de disperser les forces islamistes pour que la situation reste gérable. Ils ont par exemple demandé à Mahfoud Nahnah de créer le Hamas, un parti islamiste. A l'époque j'étais au cabinet de Betchine, j'ai vu Nahnah entrer dans le bureau du patron. Et deux jours après on a appris la création du Hamas… Aujourd'hui ce parti continue de collaborer avec le pouvoir.

N. O. - Pourquoi le FIS s'est-il prêté au jeu ? 
H. Aboud. - Les généraux, les clans au pouvoir ont tout fait pour amener le FIS à la faute, pour pouvoir le décapiter. Après quoi le FIS est allé jusqu'à refuser de participer aux législatives. Il n'a finalement donné son accord qu'après avoir reçu l'assurance que les élections se dérouleraient dans de bonnes conditions. En fait le pouvoir tablait sur un " mitch-mitch " : 30% pour le FLN, 30% pour le FFS, 30% pour le FIS. Le pouvoir misait aussi sur un bon score du Hamas. Il espérait même que le parti de Nahnah serait la seconde force islamiste ou damerait le pion au FIS. Mais les généraux se sont trompés dans leurs calculs. La situation est devenue ingérable. En fait, ils ont tout fait pour que ce soit le FIS qui l'emporte. Parce qu'il était plus facile, pour eux, de justifier, aux yeux de l'opinion internationale, un arrêt du processus démocratique après une victoire des " obscurantistes " plutôt qu'après une victoire des démocrates.

N. O. - Mais le FIS avait échappé au contrôle du pouvoir…
H. Aboud. - Oui, le pouvoir l'a tellement laissé faire qu'il a fini par perdre tout contrôle sur un parti qu'il croyait utiliser contre les forces démocratiques. Dès que le FIS a été pris en charge par des pays étrangers, le pouvoir a totalement perdu son contrôle.

N. O. - Comment ? 
H. Aboud. - Voilà un exemple. Lors d'une visite en Arabie Saoudite, en septembre 1990, le président Chadli s'était plaint au roi Fahd de l'aide que le FIS recevait de son pays, en donnant naïvement beaucoup trop de détails sur ce qu'il savait grâce à nos rapports. Le roi lui a proposé d'envoyer à Alger le chef de ses services de renseignement pour éclaircir l'affaire. Lorsqu'il est arrivé à Alger en octobre, le chef des services saoudiens a voulu savoir de quelles informations nous disposions pour prouver que l'ambassade du royaume aidait le FIS. Je n'allais pas lui dire : nous avons placé des écoutes sur les téléphones de l'ambassade, photocopié des passeports diplomatiques, passé la valise diplomatique aux rayons X… Alors nous lui avons parlé des gens qui allaient en Afghanistan via l'Arabie Saoudite. Il a répondu que cela n'avait rien à voir avec les autorités saoudiennes. Dans la soirée, il a été reçu par le général Larbi Belkheir, directeur de cabinet du président Chadli. J'ai assisté à l'audience. De quoi ont-ils parlé ? De tout sauf du sujet qui nous intéressait. Le Saoudien a dit : " On a tenu une réunion avec les responsables de vos services mais finalement, il n'y a rien. " Et Larbi Belkheir lui a répondu : " Non, il n'y a rien, absolument rien. " Et il s'est mis à demander des nouvelles des multiples membres de la famille royale. A l'issue de cette audience Larbi Belkheir m'a dit : " Tout ça, ce sont des bobards de vos services. " Je lui ai répondu que le financement du FIS par l'Arabie Saoudite était prouvé et qu'au Conseil maghrébin de Sécurité tous les services étaient unanimes pour dire que les Saoudiens manipulaient les différentes organisations islamistes dans le Maghreb.

N. O. - En novembre 1991, un mois avant les élections législatives, une caserne de l'armée a été attaquée à Guemmar par un commando du FIS. Pourquoi les autorités n'ont-elles pas saisi cette occasion pour dissoudre le parti islamiste ? 
H. Aboud. - Parce que le pouvoir ne voulait pas dissoudre le FIS ! Le FIS était une carte entre ses mains. Une carte qui lui a servi et qu'il utilise encore à ce jour. L'attaque de Guemmar n'était qu'une conséquence du laxisme affiché par le pouvoir. En réalité, la lutte contre le terrorisme n'a jamais été menée de manière organisée en Algérie. Lorsque deux tonnes d'explosifs ont été volées dans la carrière de Texana, le dossier a été classé. Lorsque les armes destinées aux islamistes ont commencé à pénétrer par la frontière est, par le Mali et la Libye, le réseau a été rapidement découvert : les contrebandiers avaient été infiltrés par un adjudant des services de sécurité. Qu'ont décidé le chef du gouvernement, la présidence ? Ils ont dit à Betchine : " C'est un coup monté par tes services. " Et l'adjudant qui avait infiltré le réseau a été mis aux arrêts. Il a même failli être déféré au tribunal militaire comme traître et trafiquant d'armes !

4. Le complot pour assassiner le président Boudiaf ?

Le 29 juin 1992, le président Mohammed Boudiaf, au pouvoir depuis cinq mois, est assassiné en public à Annaba par un officier des services de sécurité de l'armée, le sous-lieutenant Lambarek Boumaraafi. La commission d'enquête conclura à un complot, évoquant sans autre précision la responsabilité de " la mafia politico-financière ".

N. O. - Pourquoi le président Boudiaf a-t-il été assassiné ? 
H. Aboud. - Parce qu'il échappait au contrôle de ceux qui l'avaient installé au pouvoir, parce qu'il devenait ingérable. Boudiaf avait fait arrêter, sans se poser de questions, Hadj Bettou, le gros bonnet du trabendo (contrebande) dans le sud du pays. Il ne connaissait évidemment pas les relations de Hadj Bettou et les prolongements de cette affaire. Au cours de l'enquête, la gendarmerie avait découvert dans des entrepôts 1,75 milliard de francs en armes et marchandises de contrebande. Cette découverte faisait peser sur Boudiaf un danger mortel : il avait touché, sans le savoir, à un homme du système, à l'un de ceux qui l'avaient ramené au pouvoir. Qu'arrive-t-il, d'ailleurs, à Hadj Bettou après son arrestation ? Ce n'est pas à la justice civile, comme on pourrait le penser, qu'est remis ce gros bonnet de la contrebande, mais à la justice militaire. Ce qui veut tout dire. D'ailleurs où est-il actuellement, ce Hadj Bettou ? Je peux vous dire qu'il est libre depuis longtemps et qu'il vit tranquillement en Algérie où il poursuit ses " activités ".

N. O. - Lorsque le président Boudiaf a été assassiné vous aviez quitté les services et l'armée. Comment pouvez-vous affirmer ce que vous dites ? 
H. Aboud. - J'ai toujours été informé - c'est encore le cas aujourd'hui - de ce qui se passe dans les hautes sphères du pouvoir par de nombreux cadres de l'Etat et de l'armée qui me font confiance.

N. O. - Le président Boudiaf a été assassiné lors d'une réunion publique à Annaba par un homme qui a jeté deux grenades avant d'ouvrir le feu. Pourquoi, selon vous, les commanditaires de son assassinat ont-ils choisi une telle méthode ? 
H. Aboud. - Pour faire passer leur message. C'était un coup psychologique. Un coup mafieux, qui signifiait " avis au suivant ". Aujourd'hui, tous les présidents ont peur.

N. O. - Comment peut-on être sûr qu'il y a eu complot ? 
H. Aboud. - Quand le chef de l'Etat se déplace dans le pays, il est toujours accompagné par le ministre de l'Intérieur. Surtout lorsqu'il doit rencontrer dix-huit walis, ce qui était le cas de Boudiaf lors de ce voyage. L'absence du ministre de l'Intérieur, Larbi Belkheir, est donc un premier point troublant. Deuxième point troublant : lorsque le chef de l'Etat se déplace à l'intérieur du pays, le patron des services de sécurité est lui aussi du voyage pour superviser la protection, le dispositif de sécurité. Or ce jour-là, ni Tewfik, ni son adjoint Smaïn ne se sont déplacés. L'essentiel est là. Ni le ministre de l'Intérieur, ni le patron de la Sécurité, ni l'adjoint de ce dernier n'étaient à Annaba. C'était la première fois que cela arrivait. Ensuite, il y a le dispositif de sécurité. Quand le chef de l'Etat est sur le terrain, tous les bâtiments voisins sont investis par le GIS, le Groupe d'Intervention spécialisée. La mission du GIS s'arrête là : encercler le périmètre où va se rendre le président. Ensuite, la Sécurité militaire contrôle le bâtiment dans lequel il doit entrer. Lors de l'assassinat de Boudiaf, ni les "hommes-matelas" qui, au moindre mouvement, doivent plonger sur le président, ni les tireurs d'élite de la protection n'étaient en place. Et alors que le GIS n'a jamais fait partie de la protection rapprochée du président, on a fait en sorte, pour la première fois, qu'il y participe. Ce qui a permis à l'assassin, Boumaarafi, sous-lieutenant au sein de cette unité, d'être dans la salle. Boumaarafi sera d'ailleurs arrêté par la police mais vite récupéré par l'armée. Il a été jugé et condamné à mort. Mais à l'heure actuelle, il est toujours en vie, en prison.

5) Les onze généraux qui contrôlent l'Algérie

A la faveur de la lutte contre les islamistes, un groupe de généraux, anciens officiers de l'armée française, s'est emparé des postes-clés de l'état-major. Malgré les élections présidentielles qui se succèdent, celui-ci reste le véritable siège du pouvoir en Algérie.

N. O. - Comment interprétez-vous ce qui se passe actuellement en Kabylie ? 
H. Aboud. - Ce qui se passe en Kabylie n'est que l'expression d'un ras-le-bol contre l'injustice et le mépris du pouvoir. Ce rejet ne concerne pas seulement la Kabylie mais toute l'Algérie. Il faut arrêter de ghettoïser la revendication berbère. Tout le peuple algérien est berbère et la révolte kabyle est celle de tous les Algériens. Elle met dans l'embarras le pouvoir des généraux qui ne trouvent plus d'étiquette assez infamante à lui coller pour la discréditer. L'Algérie souffre d'une crise dont les coupables ne sont autres que ces mafieux qui agissent dans l'ombre.

N. O. - Craignez-vous une manipulation ? 
H. Aboud. - A défaut de discréditer cette révolte, les généraux tentent de la récupérer. Cette mafia ne lâche rien. Elle veut détourner à son profit toute revendication populaire pour mieux l'étouffer. Mais quoi qu'il en soit les revendications berbères et démocratiques sont légitimes. Et les manipulateurs finiront par se brûler à force de jouer avec le feu.

N. O. - Pensez-vous, comme d'autres adversaires du régime algérien, que certains massacres de civils attribués aux islamistes sont en fait l'œuvre des militaires ? 
H. Aboud. - Certains prétendent en effet que les militaires se sont maquillés, transformés en barbus pour aller commettre des massacres. Je doute fort que ce soit le cas. Les militaires ont mené des opérations de représailles. Ils les assument, ils en sont fiers. De quoi s'agit-il ? En général, de commandos qui se rendent au domicile de terroristes présumés, le soir. Ils frappent à la porte. Et le premier qui ouvre reçoit une balle dans la tête. C'est une stratégie - que je ne justifie pas mais que j'explique parce que je la connais - qui vise à isoler les terroristes de leur milieu. Un des officiers qui avaient lancé ces premières opérations de représailles m'a dit : " Comme cela, ils ne vont plus s'amuser à nous tuer le matin et rentrer le soir dormir tranquillement chez eux. " Ce ne sont pas des massacres mais des opérations de représailles ciblées.

N. O. - Mais il reste la question des massacres ? 
H. Aboud. - Dans le cas des massacres qui, comme celui de Bentahla, sont commis tout près d'une caserne militaire sans qu'il y ait la moindre intervention des soldats, on peut dire qu'il y a une complicité passive de l'armée. Les militaires se disent : " Ils ont voté pour le FIS, qu'ils se démerdent avec les islamistes ! " Le pouvoir est totalement indifférent au fait qu'un village qui a hébergé, nourri des groupes armés, se fasse massacrer. Le pouvoir ne protège pas ses populations : là est sa première responsabilité. Car le fait que les islamistes commettent des massacres lui permet de justifier tous les abus de ce qu'il appelle " la lutte antiterroriste ".

N. O. - Comme beaucoup vous parlez de pouvoir et de mafia sans les identifier…
H. Aboud. - De tout temps on a parlé de pouvoir occulte, de " cabinet noir ", du pouvoir des généraux. Mais on ne les cite jamais. Même des détenteurs du pouvoir dénoncent le pouvoir et la mafia. Dans ses discours l'ancien président Zeroual dénonçait ce " régime pourri ". Mais il n'y a rien changé puisqu'il en faisait partie.

N. O. - Selon vous, qui dirige réellement l'Algérie ? 
H. Aboud. - Pour avoir connu certains hommes de ce pouvoir et d'autres qui leur sont proches, je peux dire que ce pouvoir est composé de onze généraux majors. Certains sont en activité, d'autres officiellement à la retraite. Neuf d'entre eux étaient des sous-officiers ou officiers de l'armée française durant la guerre d'Algérie qui ont rejoint les rangs de l'Armée de Libération entre 1958 et 1961. Seuls les généraux Smaïn et Tewfik - les actuels patrons des " services " - n'ont pas servi sous le drapeau français. Deux seulement ont fait des études universitaires : les généraux Mohamed Touati, président du conseil de sécurité nationale à la présidence, et Aït Abdessalem, directeur des fabrications militaires. Ce sont les " têtes pensantes ", les éminences grises de la mafia. Les connaisseurs du système politique algérien les qualifient de " conseillers diaboliques de l'ombre ". Les autres membres du " club des onze " sont : 
- Khaled Nezzar, officiellement à la retraite, mais qui vient en France avec un passeport diplomatique et un ordre de mission. Il est, aujourd'hui, le porte-parole du " club ". C'est le grand parrain.
- Larbi Belkheir, directeur de cabinet du président Bouteflika dont il est le sponsor. Il était le directeur de cabinet du président Chadli.
- Abbas Gh'ziel, officiellement à la retraite mais qui est conseiller militaire de Bouteflika.
- Abdelmalek Guenaïzia, officiellement à la retraite. Il vient de rentrer d'un séjour de sept ans en Suisse où il était ambassadeur. C'est le " chef comptable " des comptes helvétiques.
- Le général Mohamed Lamari, chef d'état-major.
- Fodil Chérif, chef de la 1re région militaire.
- Sahab Abdelmadjid, chef de la 4e région militaire. C'est lui qui surveille le " tuyau ", comme disent les Algériens. C'est-à-dire le pétrole.
- Le général Mohamed Mediene dit Tewfik, chef de la Direction du Renseignement et de la Sécurité, la DRS, [ex-Sécurité militaire, la police politique du régime].
- Le général Smaïn Lamari, directeur du contre-espionnage, numéro deux de la DRS.

N. O. - Mais qui est le général Aït Abdessalem, qui n'apparaît nulle part ? 
H. Aboud. - A cause de son passé dans l'armée française lors de la guerre de libération, il s'est toujours fait discret. Il est le seul à avoir été réellement officier avant de rejoindre l'ALN, à quelques mois du cessez-le-feu du 19 mars 1962. Il a toujours été dans l'ombre du général Khaled Nezzar. C'est à ses côtés qu'il a fait la campagne d'Egypte lors de la guerre du Kippour en 1973. Il était son conseiller opérationnel à la fin des années 80 au commandement des forces terrestres.

N. O. - A eux seuls, ces onze généraux contrôlent l'Algérie ? 
H. Aboud. - Autour de ces onze décideurs il y a le groupe des sous-traitants : les autres chefs des régions militaires et une pléthore de généraux à la tête des directions sensibles de l'armée. Il ne faut pas oublier non plus Tounsi Ali, le patron de la police. Le général Betchine " joue en solo " car il n'a pas su dépasser le stade de la guerre des clans et s'imprégner de la nouvelle donne, à savoir adopter une politique consensuelle entre les clans.

N. O. - Quel est, dans ces conditions, le rôle du président Bouteflika ? 
H. Aboud. - Savez-vous dans quelles conditions Bouteflika a été choisi ? Quelques mois avant l'élection, il y a eu une réunion au domicile du général Larbi Belkheir, entre Bouteflika et les " décideurs ", avec à leur tête les généraux Khaled Nezzar, Tewfik et Mohammed Lamari. Ils lui ont tracé une ligne rouge dont Bouteflika parle souvent dans ses discours. En substance, ils lui ont dit de ne pas toucher à l'armée et de déléguer ses pouvoirs de chef suprême des forces armées et de ministre de la Défense au chef d'état-major de l'armée. Ils ont justifié cela par le fait que le pays est en état de guerre.

N. O. - Les généraux étaient tous d'accord sur le choix de Bouteflika ? 
H. Aboud. - Non, des divergences sérieuses sont même apparues. Certains voulaient avoir un homme aussi manipulable que les précédents, facile à dominer. D'autres voulaient quelqu'un de plus crédible, quitte à ce qu'il soit moins manipulable, mais en verrouillant autour de lui. C'est d'ailleurs le scénario qui a été retenu. Et en deux ans, le président Bouteflika, qui a des capacités extraordinaires, n'a rien pu faire. Il est phagocyté.

N. O. - A l'époque du président Chadli les militaires semblaient divisés en différents clans. Est-ce toujours le cas ? 
H. Aboud. - Aujourd'hui, ces clans ont évolué et constituent une véritable mafia. Il y a un consensus entre eux, ils ne se font plus la guerre. Ces hommes sont à des postes-clés, on ne peut plus les déloger. Ils choisissent les ministres, les walis, les directeurs des entreprises publiques les plus importantes. En somme, tous les postes sensibles sont entre les mains d'hommes qui leur doivent obéissance.

N. O - Mais d'autres généraux sont parfois inquiétés, notamment pour des affaires de corruption…
H. Aboud. - Tous ceux qui ne font pas partie du " club des onze " peuvent être sacrifiés. Par exemple, le général Ghenim, qui était secrétaire général du ministère de la Défense, a été radié il y a quelques mois mais il se retrouve aujourd'hui chez lui et il va s'occuper de ses affaires. C'était le " général du médicament ". Il les importait et les vendait principalement aux hôpitaux militaires. Il y a eu un scandale autour de ses semi-remorques qui venaient de Tunisie et il a été prié de se retirer. Il y a le général de la bière et du vin, celui des armes, celui du sucre, celui du foncier, celui du rond à béton… Des trafiquants, il y en a partout. Des sergents, des adjudants, des gendarmes, mais aussi des civils. Le " trabendo " est devenu l'activité numéro un en Algérie.

N. O. - Surtout dans l'armée ? 
H. Aboud. - Non, il y a des généraux, des colonels, des officiers et des cadres de l'Etat qui n'ont que leur salaire ou leur retraite. Ils sont intègres mais impuissants devant ces mafieux. A titre d'exemple, je cite les généraux Hachichi Zine El Abidine, Rachid Benyellès et Hocine Benhadid. D'après ce que je sais, ils ne sont pas compromis. C'est dire que l'armée n'est pas totalement pourrie. Je connais des commandants, des lieutenants-colonels, des capitaines qui n'ont jamais eu de logement en dehors des habitations de service. Il y a quelques semaines des gendarmes ont contraint, à coups de grenades lacrymogènes, des retraités de l'armée à quitter les logements de service à Bab Ezzouar (Alger). Ces officiers retraités n'avaient pas d'autres 
logements. Ils n'ont rien à voir avec ces généraux mafieux et fortunés.

 

 

Comment la France et ses GIAs ont frappé en 1995 Paris pour garder le controle du gaz et du petrole algerien

Les attentats de Paris en 1995 : Plusieurs sources credibles affirment que le nouveau proces de Rachid Ramda pourrait faire tomber Sarkosy dans les jours et semaines qui viennent si celui-ci ne dedommage pas les victimes algeriennes du terrorisme francais et de ses GIAs. Rachid Ramda est a l'Algerie ce que Ali Megrahi est a la Libye dans l'affaire de Lockerbie, tous les elements materiels prouvent que les generaux Lamari, Tewfik de la DST-DRS n'ont pu agir qu'avec l'assistance, la couverture du gouvernement francais... Il s'avere aujourd'hui que Lamari, liquidé car essayant de negocier sa retraite en Amerique du Sud, au Paraguay, Tewfik et le larbin Ali Tounsi sont des harkis de la DST en Algerie...




Les attentats de Paris 1995 : ce qu'écrivaient en 2004 les auteurs de Françalgérie, crimes et mensonges d'États


Chapitre 23


Terreur sur l'Europe



En autorisant fin 1994 le président Zéroual à organiser une élection présidentielle l'année suivante, les généraux éradicateurs ont obtenu qu'il mette fin à ses initiatives dialoguistes et ils ont pu réactiver la « lutte antiterroriste ». Leur objectif : « Nettoyer le terrain » pour la présidentielle, s'assurer qu'aucun islamiste ni aucun démocrate crédible ne viendront remettre en cause leur pouvoir. Mais ce qu'ils n'ont pas prévu, c'est l'accord de Rome. En s'engageant publiquement à respecter la démocratie, les représentants du FIS basés en Europe et aux États-Unis ont fait la preuve de leur pragmatisme et ils ont contribué à convaincre la communauté internationale qu'ils pouvaient légitimement participer à un processus de paix. Autre souci pour le « clan éradicateur », on l'a vu, les dirigeants du FIS se démarquent de plus en plus clairement du GIA et condamnent désormais systématiquement les attentats attribués à Djamel Zitouni (1).
En ce printemps 1995, l'opinion internationale risque donc de comprendre que sous la férule de ce dernier, le GIA n'est plus qu'une « organisation écran » du DRS. Pour les patrons des « services », il devient donc essentiel de neutraliser les représentants du parti d'Abassi Madani qui militent en Europe en faveur des accords de Rome et d'empêcher des pays comme la France de basculer en faveur du dialogue. À l'époque, trois pays sont particulièrement surveillés par le DRS : la Grande-Bretagne, d'où les militants du FIS développent une importante propagande contre le régime, la France, où vit encore le cheikh Abdelbaki Sahraoui, le très respecté cofondateur du FIS, et l'Allemagne, où est installé Rabah Kébir, porte-parole du mouvement.
Jusque-là cantonné au territoire algérien, le GIA de Djamel Zitouni va désormais être utilisé par le DRS pour éliminer des opposants en Europe et organiser des attentats de nature à inciter l'Occident à se radicaliser à nouveau contre l'islamisme.
Le GIA débarque à Londres
Depuis l'interruption du processus électoral, en janvier 1992, beaucoup d'opposants algériens sont réfugiés en Grande-Bretagne. À Londres, les hommes du DRS surveillent particulièrement des sympathisants islamistes comme Kamel Rebika ou Abdallah Messaï, qui distribuent en Angleterre le bulletin du FIS. Pour contrôler leurs activités, les services sont prêts à tout : « À chaque fois que des sympathisants à nous allaient chercher des papiers à l'ambassade, se souvient Messaï, les autorités leur demandaient de devenir des indicateurs de la Sécurité militaire en donnant des informations sur nous et nos activités. Un jour, ajoute l'ancien sympathisant du FIS en souriant, ils ont appelé l'épouse d'un de nos militants en lui disant : “La police va venir, il faut jeter tous vos carnets d'adresse à la poubelle, tout ce que vous avez, tous les documents qui contiennent des indications.” La pauvre, elle était un peu naïve, elle a pris peur, elle a tout jeté dans la poubelle de la rue. Le soir, quand son mari est revenu à la maison, il a cherché à récupérer les documents dans la poubelle (les éboueurs n'étaient pas encore passés), mais il n'a rien trouvé ! Les gens de l'ambassade étaient venus les récupérer (2)… »
À partir de 1994, les méthodes du DRS se professionnalisent. Sur ordre du général Toufik Médiène, de nouvelles équipes sont formées et envoyées en Europe : « On les appelait les “équipes d'investigation et d'intervention”, nous a expliqué l'ex-adjudant Abdelkader Tigha. Elles étaient spécialisées dans le recueil de renseignement, les filatures, les identifications et les photographies. » Se faisant parfois passer pour des employés d'Air Algérie, les agents du général Médiène interviennent en Belgique, en Allemagne, en France ou en Grande-Bretagne, avec des objectifs précis : « À Londres, raconte Tigha, le capitaine Abdelhak et cinq autres éléments sillonnaient chaque jour les mosquées de la capitale. Ils photographiaient les suspects et les suivaient partout. Il y avait des ordres du général Médiène pour liquider des opposants sur le sol européen dès que l'occasion se présenterait. »
Dans les mosquées de Londres, les hommes du capitaine Abdelhak croisent Abdallah Messaï, dont l'activité consiste à récolter de l'argent auprès des fidèles pour « aider les familles des moudjahidines », mais aussi à diffuser auprès de la communauté internationale les vrais communiqués islamistes en provenance d'Algérie : « On était parmi les seuls à distribuer au journal El-Hayat et au monde entier des bulletins réguliers informant des combats qui se déroulaient en Algérie, se souvient Messaï. Car il y avait des combats tous les jours, des morts tous les jours. Il ne faut pas oublier cela (3). On recevait les communiqués par fax et si on les croyait authentiques, on les distribuait. »
À partir de juillet 1994 et de l'assassinat des marins italiens (voir supra , chapitre 22), les groupes armés dont Messaï et ses compagnons distribuent la propagande commencent à se démarquer du GIA, qu'ils accusent d'être infiltré par le DRS : « À l'époque, estime Messaï, El-Ansar , le “bulletin du GIA” disait qu'il fallait commettre des attentats à Paris, massacrer les impies. Nous, on était contre ce genre d'actions dès le départ. On pensait que les membres de ces GIA n'étaient pas de vrais moudjahidines mais qu'ils travaillaient en fait pour la Sécurité militaire. Beaucoup étaient probablement des abrutis qui travaillaient pour le régime sans même s'en rendre compte. »
En 1995, estimant qu'il devient évident que le GIA est infiltré par les services, Messaï et ses compagnons commencent à rassembler les communiqués dans lesquels leurs groupes s'en sont démarqués (4). Devenus gênants, ils sont bientôt contactés par un étrange Algérien : Réda Hassaine. « Ce monsieur est venu nous voir pour tenter de discréditer l'un des groupes dont nous diffusions les communiqués. C'était un groupe qui avait toujours soutenu l'Armée islamique du salut [bras armé du FIS], qui s'était toujours opposé aux assassinats d'étrangers et d'enfants. Hassaine prétendait que ce groupe collaborait en fait avec les services algériens, comme pour tenter de le discréditer à nos yeux. En fait, nous étions certains que le groupe en question ne collaborait pas avec les services. On en a donc conclu que celui qui travaillait pour les services, c'était Hassaine lui-même. Il l'a d'ailleurs reconnu par la suite (5). Il était là pour introduire la pagaille dans les milieux islamistes de Londres, pour semer la confusion et brouiller les pistes… » Prudents, Messaï et ses compagnons évitent de tomber dans le piège tendu par Réda Hassaine : « Si on avait cru ce qu'il nous racontait, estime Kamel Rebika, autre militant du FIS, seuls les faux communiqués du GIA auraient été diffusés. »
À une période qu'ils situent vers 1994-1995, Messaï et Rebika apprennent par des sympathisants d'Alger que le DRS vient d'envoyer à Londres plusieurs dizaines d'agents. Leur mission : agiter l'épouvantail du GIA en Europe et empêcher les représentants du FIS d'en révéler la vraie nature à l'opinion internationale : « On nous a dit que c'était pour nous faire taire, pour nous empêcher de nous attaquer au GIA, se souvient Abdallah Messaï. On a commencé à avoir peur de se faire assassiner, on s'est mis à faire attention. Quelques semaines plus tard, devant la mosquée de Regent's Park, de jeunes Algériens que nous ne connaissions pas se sont mis à distribuer El-Ansar en criant des slogans comme : “Vive le GIA ! Le FIS est fini ! Les élections de 1991 étaient illégales devant l'islam ! Pas de dialogue !” Ils critiquaient le FIS, faisaient pression sur nous, nous insultaient, nous menaçaient. Certains d'entre eux soutenaient le GIA alors qu'ils n'étaient même pas Algériens. »
Au fil des jours, les mystérieux agitateurs débarqués d'Alger se font de plus en plus provocants, allant jusqu'à distribuer devant la mosquée de Regent's Park des bulletins ordonnant de tuer tous les juifs et tous les chrétiens : « Non seulement c'était totalement contraire à l'islam, se souvient Messaï, mais surtout, c'était de nature à nous discréditer vis-à-vis de la police. Les Anglais ne pouvaient pas accepter que de tels tracts soient distribués sur la place publique. Le plus étonnant, c'est que ces jeunes se réclamant du GIA se déplaçaient librement. C'était extraordinaire. Nous, on n'avait aucune possibilité d'aller en Algérie. On avait peur. Eux, ils se déplaçaient librement, allaient et venaient et disaient publiquement à Londres : “Non au dialogue, il faut tuer tout le monde”. »
Pour renforcer l'efficacité de leurs opérations de guerre psychologique, les généraux donnent des consignes très strictes à leurs attachés militaires en poste à l'étranger : « Quand je recevais des émissaires d'Alger, se souvient l'ex-colonel Samraoui, alors en poste en Allemagne, ils nous demandaient de relayer un discours selon lequel le régime algérien était un rempart susceptible d'empêcher l'islamisme d'atteindre l'Europe. Mais en fait, le contexte était difficile pour les généraux éradicateurs. Nous n'avions pas vraiment le soutien de la communauté internationale (6). »
Pour populariser son combat et discréditer plus encore les islamistes, le « clan Belkheir » a besoin de l'aide de la « société civile ». En avril 1995, l'une des plus célèbres opposantes algériennes à l'islamisme, Khalida Messaoudi, lui apporte un soutien déterminant en publiant avec une journaliste du Nouvel Observateur , Élisabeth Schemla, un livre d'entretien intitulé Une Algérienne debout . Brûlot anti-FIS surfant sur la peur de l'islam, l'ouvrage devient vite un best-seller. C'est un avertissement aux dirigeants politiques français favorables à un compromis avec les islamistes.
Le « cri » de Khalida Messaoudi
Professeur de mathématiques, Khalida Messaoudi est originaire de Sidi Ali-Moussa, à une vingtaine de kilomètres de Tizi-Ouzou. Femme courageuse, elle mène dans les années 1990, avec une petite minorité d'intellectuels francophones ayant tendance à monopoliser la parole algérienne dans les médias français, une croisade anti-islamiste à la tonalité très « éradicatrice » (7). Élevée dans une famille de marabouts prônant un islam traditionnel, celui des zaouïas, elle a grandi avec une mère qui n'avait pas le droit de sortir de chez elle, et qui ne l'a jamais fait en trente ans.
Dès les premières pages de son livre, Khalida Messaoudi livre quelques clés laissant entrevoir combien le sort réservé à sa mère a déterminé son propre engagement politique : « Les familles maraboutiques, explique-t-elle, sont les plus atroces pour les femmes. Car ces castes ne tolèrent pas qu'elles travaillent à l'intérieur de la maison, sauf pour cuisiner. Le reste — tout le reste — aller chercher de l'eau à la fontaine ou du bois, faire les commissions, laver —, des femmes non marabouts le font pour elles, si bien que ma mère ne mettait jamais le nez dehors. […] Ce qu'elle a accepté pour elle, intériorisé, elle savait que j'étais en mesure, moi, de le refuser et c'était sa revanche sur le destin (8) ! » En Kabylie, le droit coutumier relève pour Khalida Messaoudi de ce qu'elle appelle le « fondamentalisme berbère », qu'elle juge « encore plus obscurantiste que le Coran », notamment en ce qui concerne l'héritage.
À la fin des années 1980, c'est en luttant contre le code de la famille, un texte adopté par le pouvoir à partir d'une vision particulièrement rétrograde de l'islam (voir supra , chapitre 3), que Khalida Messaoudi se fait connaître. En 1992, considérant que l'armée est finalement le meilleur rempart contre le « totalitarisme islamiste », elle cautionne l'interruption du processus électoral et devient le symbole des féministes francophones les plus éradicatrices. Car si Khalida Messaoudi reconnaît dans son livre que, par certains aspects, le FIS a libéré les femmes (en leur permettant de se marier sans avoir à solliciter le consentement des familles, en supprimant l'obligation de la dot, progrès considérable « dans une société de jeunes chômeurs sans le sou », mais aussi en leur accordant une « parole politique que le FLN ne leur a jamais accordée et qui, sous sa forme démocratique, est trop difficile à conquérir »), elle voue aux islamistes, qu'elle qualifie systématiquement d'« intégristes », une haine qui semble inextinguible. Au nom de cette haine, elle va fermer les yeux sur la généralisation de la torture, sur l'hyperviolence de la répression et sur les crimes du haut commandement militaire (alors qu'elle le pense impliqué dans l'assassinat du président Boudiaf) et accepter de cautionner le régime en siégeant jusqu'en janvier 1994 au Conseil consultatif national.
En avril 1995, alors que les accords de Rome viennent d'être signés, son livre justifie de facto la logique purement éradicatrice des généraux. Pour elle, interrompre les élections était un « devoir patriotique », les assassinats d'intellectuels sont l'œuvre exclusive des islamistes qui ne pensent qu'à « tuer l'intelligence, la création, l'alternative républicaine, la vie » et le soutien du président François Mitterrand aux accords de Rome est un « cadeau empoisonné ». « En fait, résumait en 1995 Rémy Leveau dans une allusion à Khalida Messaoudi et à ses amis éradicateurs, le pouvoir militaire s'est constamment servi de ces intellectuels pour donner, en Algérie comme à l'extérieur, un visage présentable à son action répressive, notamment pour justifier sa politique antiterroriste (9). »
Le livre de Khalida Messaoudi s'achève d'ailleurs sur un message en forme d'avertissement à la France et aux hommes politiques comme Alain Juppé, François Mitterrand, François Léotard ou Valéry Giscard d'Estaing qui exprimèrent le souhait qu'un compromis politique puisse mettre fin à la crise algérienne : « L'Amérique, dont les intérêts géostratégiques et économiques font depuis longtemps l'allié des États islamiques, s'accommoderait parfaitement d'une victoire des intégristes. Il ne faudrait pas que, par surenchère pour défendre son propre leadership en Algérie, la France verse à son tour dans la compromission avec les islamistes. Je me permets de rappeler que cette mouvance a déjà clairement choisi Washington. Je ne suis pas pour autant en train de dire que Paris doit continuer à soutenir le régime algérien. Je m'étonne au contraire que la France, républicaine et laïque, tarde à assumer et à soutenir ses alliés naturels : les démocrates qui résistent en Algérie et qui refusent toute alliance avec le “fascislamisme” (10). »
Contre la vérité, la torture
Si à l'époque, comme l'écrit Khalida Messaoudi, une partie de la classe politique française « tarde à soutenir » ces « démocrates » qui disent ne pas soutenir les généraux mais seulement leur option « éradicatrice », c'est notamment parce que, en France, des voix d'horizons politiques différents s'élèvent de plus en plus pour que Paris prenne ses distances à l'égard de la dérive sanguinaire du pouvoir. Fin février 1995, Bruno Étienne, professeur à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence et spécialiste internationalement reconnu du monde arabo-musulman, publie ainsi dans Libération une tribune qui énonce crûment quelques vérités. Alors qu'il est pied-noir et qu'il a lui-même contribué à la formation de la plupart des généraux algériens, l'universitaire critique les éradicateurs et la place démesurée qui leur est faite dans les médias français. Les qualifiant de « commandos médiatiques », il accuse les chaînes de télévision françaises de les « mettre en vedette » et de « surfer sur la peur de l'islam » pour des raisons d'audimat. Dans une ultime charge visant notamment les dirigeants du RCD de Saïd Sadi, le chercheur d'Aix-en-Provence conclut que « les Français n'ont pas encore admis que l'Algérie indépendante était arabe et musulmane et que les laïcs qui causent à la télé ne représentent personne (11) ».
En mars, les Cahiers de l'Orient publient « La grande peur bleue », un article particulièrement lucide des journalistes Rabah Attaf et Fausto Giudice sur la dérive répressive du haut commandement militaire algérien et sur l'aveuglement des médias français à ce sujet (12).
Le 27 avril 1995 (le jour même où, en Algérie, une cinquantaine de cadavres mutilés et décapités sont découverts dans la région de Jijel, à la suite de rafles des forces de sécurité (13), à deux semaines du second tour de l'élection présidentielle qui va voir triompher Jacques Chirac, des intellectuels français choqués par le fait que la France a vendu des hélicoptères au régime algérien emboîtent le pas à Bruno Étienne : ils lancent un « appel pour la paix et la démocratie en Algérie » et demandent que le gouvernement français « suspende toute aide militaire au pouvoir algérien ». Début mai 1995, enfin, le journaliste Éric Laurent signe dans L'Esprit libre , une nouvelle revue libérale, un article radical contre le « soutien aveugle » que la France apporte à la « junte militaire algérienne ». Proposant de « couper les ponts » avec le régime, l'auteur écrit notamment : « L'État français, libéral paraît-il, acquiesce non seulement à la ruine économique de son ancienne colonie, mais à la pire des prévarications. D'un point de vue froid et cynique, le jeu en vaut-il la chandelle ? Même pas. C'est à peine si nos industriels ne perdent pas d'argent dans ces affaires honteuses, tandis que notre diplomatie secrète se fait […] totalement ridiculiser. »
Et l'auteur de conclure : « Notre soutien aveugle à la dictature, même modéré par quelques timides protestations verbales, n'a eu que des effets négatifs. Adopter une autre politique, même à très haut risque, à condition qu'elle soit claire et partagée par tous les services concernés, ne pourrait être pire (14). » Véritable appel à lâcher le régime des généraux, cet article aurait particulièrement marqué Alain Juppé, à quelques jours de sa nomination à Matignon.
Même si toutes ces voix restent très minoritaires dans le paysage médiatique français, elles inquiètent au plus haut point les généraux « janviéristes ». En témoigne en cette période un épisode obscur de la « sale guerre », aussi atroce que tant d'autres, mais particulièrement significatif. Le 6 avril 1995, un certain Mohamed Benmerakchi, chauffeur de taxi, est arrêté à 2 heures du matin à son domicile, à Alger, par des policiers cagoulés et transféré au centre de Châteauneuf.
Son crime : il avait été accidentellement balayé par les caméras de la BBC pour un documentaire télévisé réalisé par le journaliste britannique Phil Rees sur la tragédie algérienne, rediffusé le 17 décembre 1994 par Canal Plus. Le terrorisme d'État algérien y était notamment dénoncé par le docteur Salah-Eddine Sidhoum, chirurgien orthopédiste et militant des droits de l'homme, que Benmerakchi aidait modestement, en lui servant de chauffeur. Trois mois plus tôt, le 5 septembre, le docteur Sidhoum avait déjà adressé une lettre ouverte au président Zéroual, pour dénoncer cinquante-trois cas concrets de tortures et d'exécutions sommaires, ce qui lui avait valu d'être inculpé pour « soutien aux terroristes ». Le lendemain même de la diffusion de ce reportage sur la chaîne française, le 18 décembre, trois hommes d'un escadron de la mort du DRS débarquaient à l'aube au domicile du docteur Sidhoum. Il n'était pas chez lui. Il n'y reviendra plus, et plongera pour plusieurs années dans la clandestinité (15).
Mais son chauffeur, Mohamed Benmerakchi, qui apparaissait dans le documentaire, est donc arrêté quatre mois plus tard : « Ils étaient tous cagoulés. Certains portaient des combinaisons noires, d'autres étaient en civil. […] L'un d'eux, le plus calme, me lança : “Alors, Canal Plus ? On va s'occuper de toi !” Je compris alors très vite qu'il s'agissait de mon apparition dans ce documentaire (16). » Emmené au commissariat de Chateauneuf, Mohamed Benmerakchi est violemment torturé à l'électricité pendant quarante jours : « C'était horrible. Lors des décharges, je sentais comme si mes yeux allaient sortir de leurs orbites. Au même moment, un autre tortionnaire jetait de l'eau sale et froide sur mon corps. Je sursautais malgré mes attaches. Je perdais encore une fois connaissance. » Ignorant où se cache le docteur Sidhoum, Benmerakchi est finalement relâché dans un état lamentable.
Pour les journalistes de télévision étrangers désireux d'enquêter en Algérie, cette affaire est un avertissement sans ambiguïté : comment recueillir des témoignages susceptibles de mettre en cause les autorités quand les témoins risquent d'être torturés après la diffusion ? C'est ce qui explique que, depuis 1992, à de rares exceptions près, seuls les Algériens exilés à l'étranger peuvent s'exprimer plus ou moins librement sur la sale guerre qui ravage leur pays (mais la plupart refusent de le faire, par crainte — justifiée — de représailles contre leur famille restée en Algérie). Les autres, tous les autres, ne peuvent le plus souvent accorder aux télévisions étrangères qui les rencontrent, en présence d'escortes militaires, que des témoignages biaisés.
Un « dialoguiste » à Matignon
À la fin du mois d'avril 1995, il apparaît de plus en plus clairement que, contrairement aux pronostics initiaux, Charles Pasqua et Édouard Balladur, les candidats favoris d'Alger pour la présidentielle française, vont être battus. Entre les deux tours, Rabah Kébir appelle le « futur président de la République française » à « réviser sa position sur la crise algérienne ». Le 10 mai 1995, c'est Jacques Chirac qui est élu président. De Washington, Anouar Haddam, président de la délégation parlementaire du FIS à l'étranger, l'invite à apporter un « soutien actif à la plate-forme de Rome ».
Avec la nomination d'Alain Juppé à Matignon, les « dialoguistes » acquièrent la conviction que la France va enfin s'engager plus fermement en faveur d'un processus de paix en Algérie, perspective qui inquiète les éradicateurs : « Le régime sait pertinemment que la France est le baromètre de l'opinion mondiale sur l'Algérie, explique William Byrd, banquier américain spécialiste de l'Algérie. Les Algériens mettent donc une énergie incroyable à comprendre le système français, à financer ses partis politiques, à détenir des informations sur des hommes politiques qui craignent toujours le scandale, contrairement aux dirigeants algériens qui, eux, sont à la tête d'une dictature. Le dominant n'est pas toujours celui qu'on croit : les Algériens peuvent menacer, ils font peur (17). »
Pour empêcher la France de changer de politique en pleine préparation de l'élection présidentielle algérienne et à quelques semaines d'échéances économiques fondamentales pour Alger (18), le DRS va se servir de la couverture du GIA pour organiser des attentats terroristes en Europe. Neuf ans après les faits, les témoignages de plusieurs anciens officiers du DRS permettent de comprendre le scénario diabolique qui s'est mis en place à l'époque : « La coopération antiterroriste avec les Français ne fonctionnait pas, révèle aujourd'hui l'ex-adjudant Abdelkader Tigha. Début 1995, il y avait bien eu quelques réunions à Lyon en présence de mon frère, haut responsable de la police judiciaire à Blida, et du colonel Achour Boukachabia, chef de la SDCI, la contre-intelligence, mais les infos qu'on avait, qui étaient issues de simples interrogatoires, ne pesaient pas lourd. Du coup, les services français ne voulaient pas nous aider. Ils nous ont dit que nos infos, c'était “de la salade”. Ils expliquaient qu'ils devaient tenir compte de l'opinion publique, des partis politiques, de la justice, qu'ils ne pouvaient pas faire n'importe quoi, arrêter n'importe qui. Les Algériens sont revenus fâchés, déçus. Smaïl Lamari [chef de la DCE et numéro deux du DRS] cherchait un moyen d'inciter les politiques français à nous aider. On avait besoin de renseignement, d'armement, de moyens techniques, de détecteurs de bombes… C'est là qu'on a décidé d'exporter quelques actions sur le sol français (19). »
« À l'origine de ce plan, il y avait Smaïl Lamari et Ali Benguedda, le responsable des services opérationnels de la DCE », précise le capitaine Ouguenoune, à l'époque officier de la DCSA à l'ambassade d'Algérie à Paris. Après la nomination d'Alain Juppé à Matignon, le plan concocté par les services opérationnels de la DCE se précise : il s'agit, d'une part, d'éliminer directement certains hauts dirigeants du FIS réfugiés en Europe et, d'autre part, de manipuler de jeunes Maghrébins un peu perdus pour les inciter à commettre des attentats en France. Dans les deux cas, c'est Djamel Zitouni, « émir national » du GIA, qui va servir de couverture aux opérations de guerre psychologique menées en Europe par le DRS.
À la fin du mois de mars 1995, une fatwa signée par le chef du GIA est publiée dans El-Ansar , ordonnant aux représentants du FIS à l'étranger de cesser leurs activités (20). Le 10 mai, comme pour marquer les esprits le jour même de l'accession de Jacques Chirac à la présidence de la République, le GIA annonce qu'il revendique l'assassinat de coopérants français tués cinq jours auparavant en Algérie (à Ghardaïa), des assassinats « déplorés » par le FIS. Quarante-huit heures plus tard, au moment même où les agents du DRS engagent au sein du GIA une purge décisive contre les islamistes qu'ils ne contrôlent pas (voir chapitre précédent), un nouveau communiqué signé « Zitouni » menace de mort plusieurs représentants du FIS en exil s'ils « ne s'abstiennent pas dans les six mois de parler au nom de la lutte et de rencontrer des officiels des pays hôtes (21) » : « Cette fameuse liste avait été faite à Ben-Aknoun, dans les locaux du DRS, nous a révélé l'ex-colonel B. Ali. Il fallait éliminer les “intellectuels” du FIS, tous ceux qui pensaient et qui réfléchissaient (22). »
Sur la liste du DRS, on trouve des responsables islamistes favorables au dialogue et dont beaucoup ont pris — plus ou moins tôt — leurs distances à l'égard de la violence du GIA. C'est le cas du vieux cheikh Abdelbaki Sahraoui, un modéré du FIS qui dirige la mosquée de la rue Myrha, à Paris ; de Rabah Kébir, le président de l'Instance exécutive du FIS à l'étranger ; de Anouar Haddam, président de la délégation parlementaire du FIS en exil ; de Ahmed Zaoui, dirigeant du FIS qui a échappé à des rafles menées à Bruxelles au printemps ; d'Abdellah Anas, d'Abdelkader Sahraoui, des enfants d'Abassi Madani, etc. Le 15 juin, un nouveau communiqué signé « Zitouni » annonce « exclure de ses rangs » Abassi Madani et Ali Benhadj, comme s'ils étaient membres du GIA (23)
À la mi-mai 1995, le nouveau ministre français de l'Intérieur, Jean-Louis Debré, est informé par ses services de renseignement qu'un certain Abdallah Kronfel, alias Yahia Rihane, doit prendre contact à Paris avec un de ses homologues islamistes (24). Soupçonné d'avoir été mêlé au détournement de l'Airbus d'Air France en décembre 1994, Kronfel a la réputation d'être un dangereux terroriste. Et très curieusement, le 1 er juillet, juste après l'échec d'une nouvelle tentative de dialogue entre le président Zéroual et les dirigeants du FIS, un journaliste du quotidien pro-gouvernemental algérien La Tribune , réputé proche des services de sécurité, annonce qu'« un commando venu de Bosnie aurait eu pour mission de perpétrer des attentats dans la capitale française et aurait reçu comme instruction d'éliminer des islamistes condamnés à mort par le GIA comme Abdelbaki Sahraoui et Moussa Kraouche (25) ».
Aussitôt, ces mystérieux « terroristes » annoncés par La Tribune passent à l'action. À Paris, plusieurs personnalités algériennes exilées, connues pour avoir pris leurs distances à l'égard du régime, reçoivent de mystérieuses menaces de mort. C'est notamment le cas de l'historien Mohammed Harbi, et aussi du réformateur Ghazi Hidouci, ancien ministre de l'Économie du gouvernement Hamrouche : « Un jour, deux individus habillés comme des islamistes sont venus déposer dans ma boîte aux lettres des menaces de mort et un petit cercueil, raconte Hidouci. Plusieurs services français sont alors venus m'interroger sur l'affaire. Je me souviens notamment d'un représentant du ministère français de la Défense. Il est venu plusieurs fois, et il a fini par nous révéler qu'il travaillait pour la DGSE. Quand je lui ai demandé ce qu'il pensait de ces menaces de mort du GIA, il a souri. Pour lui, il était clair que mes mystérieux visiteurs travaillaient en réalité pour la Sécurité militaire algérienne (26)… »
Et en cet été 1995, les mystérieux terroristes arrivés d'Alger ne se contentent pas de diffuser des menaces de mort…
L'assassinat du cheikh Sahraoui
Le 11 juillet 1995, vers 18 h 20, deux hommes armés pénètrent dans la mosquée de la rue Myrha, dans le 18 e arrondissement de Paris. Ce jour-là, les policiers des Renseignements généraux qui surveillent habituellement les abords de ce lieu de culte sensible ne sont pas présents (27) : « Les deux hommes ont fait leur prière, puis l'un d'eux a demandé à voir le cheikh [Abdelbaki Sahraoui] en tête-à-tête dans un petit bureau, raconte Brahim Younsi, alors proche collaborateur du cheikh. Après quelques minutes de discussion, il a sorti un fusil de son sac et l'a tué à bout portant. Quand il a tenté de quitter les lieux, un proche de l'imam l'a ceinturé, puis a tenté de fermer la sortie de la mosquée. C'est là que le complice du tueur a tiré à son tour, abattant le fidèle (28). » Après l'assassinat, les deux tueurs (décrits par des témoins comme « Arabes, sans aucun doute Algériens et âgés de trente-cinq à quarante ans ») courent quelques centaines de mètres et braquent un véhicule qui sera retrouvé rue du Nord, dans le XVIII e arrondissement de Paris (29). Entendue par la police, la conductrice du véhicule reçoit l'ordre de ne pas communiquer avec la presse (30).
Vieux militant nationaliste, cofondateur du FIS, Abdelbaki Sahraoui, âgé de quatre-vingt-cinq ans, était un islamiste modéré. Depuis deux ans, il était président honorifique de l'Instance exécutive du FIS à l'étranger. Partisan d'un dialogue avec le président Zéroual, il entretenait des contacts réguliers avec Abassi Madani, mais aussi avec les autorités françaises, qui appréciaient sa modération et qui le consultaient même en cas de crise grave, comme lors du détournement de l'Airbus d'Air France en décembre 1994. Opposé depuis toujours au transfert du conflit algérien sur le territoire français, le cheikh Sahraoui acceptait volontiers les invitations de la télévision française, comme en 1994, quand il participa à un débat animé par Pierre Thivolet sur la chaîne française Arte avec Omar Belhouchet, le patron d' El-Watan .
Le vieux cheikh était devenu embarrassant pour les éradicateurs. Dans les mois précédant son assassinat, il avait multiplié les déclarations montrant qu'il avait compris la vraie nature du GIA : le 9 mai 1994, par exemple, suite à l'assassinat dans la Casbah de deux religieux français, Henri Vergès et Paul-Hélène Saint-Raymond (crime qualifié de « contraire à la loi islamique » par Rabah Kébir), il avait estimé dans une lettre que les auteurs du meurtre « appartiennent sans doute aux tenants de l'éradication, hostiles à toute perspective de règlement politique du conflit dans lequel on cherche délibérément à entraîner la France (31) ». Quelques mois plus tard, en août, réagissant au regroupement illégal de vingt-six islamistes algériens dans une caserne de Folembray par le ministère français de l'Intérieur (voir supra , chapitre 20), le vieux cheikh contredit publiquement Charles Pasqua et les éradicateurs d'Alger : estimant que les assignés à résidence n'ont commis aucun délit, il affirme qu'il ne s'agit pas de terroristes et qu'« aucune menace terroriste ne pèse sur la France (32) ». Le 30 octobre 1994, il condamne l'assassinat de deux religieuses espagnoles à Bab-el-Oued, Esther Paniaqua et Caridad Maria. Fin décembre, après le détournement de l'Airbus d'Air France, il se démarque une nouvelle fois du GIA de Djamel Zitouni et appelle au calme, ce qui lui vaut les critiques des extrémistes (33).
Bref, depuis plusieurs mois, Sahraoui est la preuve vivante qu'il existe des dirigeants islamistes modérés avec lesquels il est possible de dialoguer. Il gêne donc la stratégie de diabolisation du FIS adoptée par Charles Pasqua et les éradicateurs d'Alger. Quant à ses déclarations laissant entendre que le GIA est probablement manipulé par le DRS, elles sont encore plus dérangeantes. Selon Hubert Coudurier, auteur d'un ouvrage remarqué sur la diplomatie secrète de Jacques Chirac, Sahraoui était en « étroite relation » avec certains services français qu'il risquait d'éclairer sur l'« origine des attentats à venir (34) » (d'après certains témoignages, le cheikh Sahraoui leur servait même d'intermédiaire dans le cadre d'un dialogue avec le mouvement islamiste (35)).
Le vieil imam était-il sur le point de révéler aux autorités françaises l'identité des véritables commanditaires du GIA ? Rue Myrha, en tout cas, ses fidèles sont persuadés qu'il a été tué par des agents du DRS : « Vous ne trouverez pas un seul fidèle qui pense que le cheikh a été tué par des islamistes, déclare au Monde le principal collaborateur de l'imam assassiné. Ils n'auraient pas touché au cheikh. Même ceux qui n'étaient pas d'accord avec lui, qui le trouvaient trop modéré, le respectaient. Quant aux groupes d'ultras, ils sont de toute façon noyautés par la Sécurité militaire. Les services sont capables de tout. En France, ils sont chez eux. Rappelez-vous Mécili [voir supra , chapitre 4] : ils avaient le meurtrier, mais comme c'était un agent algérien, Pasqua l'a fait expulser vers l'Algérie, autrement dit, il l'a relâché (36). »
Et les proches de l'imam ne sont pas les seuls à soupçonner le DRS d'avoir commandité son assassinat. Le lendemain du crime, un policier français spécialiste des mouvements islamistes confie lui aussi ses doutes à une journaliste de Libération : « Soit on a affaire à des gens d'un réseau inconnu sur notre sol, soit à des hommes venus d'un pays étranger et déjà repartis ou sur le point de le faire (37). »
Revendiqué par un communiqué signé « Zitouni » et salué depuis Londres par Abou Hamza, l'un des responsables du bulletin El-Ansar , l'assassinat du cheikh Sahraoui va être perçu par de nombreux islamistes algériens comme une opération ayant bénéficié de l'aval de certains services secrets européens. En 1997, lors d'un tournage à Londres, un fidèle de la mosquée de Finsbury Park laisse éclater sa colère devant notre caméra : « L'Europe est d'accord avec ce type d'attentat, elle les couvre ! La France dit qu'elle ne sait pas qui a tué l'imam Sahraoui à Paris. Or Abou Hamza [animateur du bulletin El-Ansar et dirigeant de la mosquée londonienne de Finsbury Park] a déclaré ici à Londres : “C'est nous qui l'avons tué parce que c'est un démocrate.” Pourquoi la DST ne vient-elle pas chercher Abou Hamza ? Les Anglais non plus ne font rien : il passe son temps à faire des déclarations provocatrices ici à Londres, et ils ne lui disent rien (38). »
Dans son livre, l'ex-colonel Samraoui propose une explication à cette étrange impunité : selon lui, Abou Hamza était dès cette époque manipulé par son homologue de Londres, le colonel Ali Derdouri, chef d'antenne du DRS dans la capitale britannique (39). Une semaine après l'assassinat du vieux cheikh, le 17 juillet, le quotidien algérien La Tribune publie un nouvel article. Cette fois, le journaliste prétend révéler le nom du commanditaire de l'assassinat du cheikh Sahraoui : il s'agirait d'un certain Abdessabour, qui pourrait être Abdelkrim Dénèche, un opposant islamiste algérien réfugié en Suède dont le nom a déjà été communiqué aux autorités françaises par le DRS (40).
Selon cette version, le FIS serait responsable de l'assassinat de… l'un de ses fondateurs ! Pour les enquêteurs français, le dirigeant cité par La Tribune « existe », mais il ne s'est « jamais manifesté en France » et « rien ne permet de dire qu'il est impliqué dans le double crime de la rue Myrha (41) ». Les deux meurtres de la rue Myrha ne seront jamais élucidés.
Quelques semaines plus tard, alors que Paris est secoué par l'une des plus graves campagnes d'attentats jamais organisée en France, c'est au tour de Rabah Kébir, un autre dirigeant islamiste important qui figurait sur la liste de Djamel Zitouni, d'être visé par un projet d'assassinat. Mais cette fois, l'ex-colonel Samraoui, chargé d'organiser l'attentat, décide de s'y opposer et de déserter.
L'affaire Rabah Kébir
Arrivé à Bonn quelques mois après le coup d'État de 1992, Rabah Kébir, le représentant de l'Instance exécutive du FIS à l'étranger, est le type même de l'opposant embarrassant. Tout comme le cheikh Sahraoui, il condamne régulièrement les assassinats d'étrangers imputés au GIA et va à l'encontre de l'image sanguinaire que les éradicateurs d'Alger voudraient donner du FIS. Discrètement mais inlassablement, Kébir milite pour que la communauté internationale comprenne qu'un compromis politique est possible en Algérie et qu'elle cesse de soutenir inconditionnellement le régime. En novembre 1994, la participation de son parti à la première rencontre de Rome démontre que contrairement à ce qu'affirment les généraux éradicateurs, le FIS est capable de s'engager dans un processus de paix.
À la fin de l'année 1994, l'ex-colonel Samraoui, alors attaché militaire à l'ambassade d'Algérie à Bonn, reçoit l'ordre de surveiller le représentant du FIS de très près : « On a mis en place un dispositif pour recueillir un maximum d'informations sur Rabah Kébir (habitation, entourage, fréquentations…) et préparer des attentats contre lui et Abdelkader Sahraoui (un de ses adjoints, à ne pas confondre avec le cheikh Abdelbaki Sahraoui assassiné à Paris le 11 juillet 1995). Pour Rabah Kébir, on a fait venir progressivement sept ou huit officiers pour préparer l'opération. Puis, on a fait venir le général Bendjelti, avec le chef de cabinet du général Smaïn [Smaïl Lamari, patron de la DCE]. Moi, je ne pensais pas qu'ils voulaient aller jusqu'à l'assassinat. On parlait d'infliger un “coup” aux islamistes. Le mot d'exécution n'avait pas été prononcé. Puis, en septembre 1995, Smaïn est venu une deuxième fois avec le colonel Ali Benguedda, dit “petit Smaïn”, et le colonel Rachid Laâlali, dit “Attafi”, mes prédécesseurs au poste d'attaché militaire à Bonn qui connaissaient parfaitement la ville. Pendant quarante-huit heures, Smaïn a consulté les dossiers et il m'a dit : “Si tout est prêt, on peut passer à l'étape finale : l'exécution de Rabah Kébir et de Abdelkader Sahraoui” (42). »
Dans son livre, l'ex-colonel Samraoui révèle que le général Smaïn avait été jusqu'à réfléchir à la façon dont l'assassinat devrait être présenté à l'opinion publique : « Il hésitait entre un “règlement de comptes” entre factions rivales du FIS […] (il était prêt à diffuser des tracts et des faux communiqués en ce sens, dans lesquels le GIA revendiquerait ces assassinats) et un crime “sans mobile” (qui compliquerait selon lui la tâche des enquêteurs). Il voulait me charger de cette mission : “Tu t'occupes de cette affaire, tu as carte blanche. Salah [le commandant Salah Kermad] se chargera de mettre à ta disposition deux Yougoslaves si tu choisis la seconde solution, sinon j'ai un Palestinien qui peut s'acquitter de la besogne”(43). »
Confronté à une mission qui lui semble aller trop loin, l'ex-colonel Samraoui exprime alors ses réticences au patron de la DCE, mais celui-ci insiste : « C'est tout réfléchi, il faut clouer le bec à ces salauds qui mettent l'Algérie à feu et à sang, et nous empêchent d'obtenir le soutien international. Le spectre de l'intégrisme et la formule de l'instauration d'une république islamique en Algérie déstabilisant le Maghreb et constituant une base pour d'éventuelles attaques contre l'Occident ne semblent pas convaincre nos partenaires européens. Il faut un événement fort pour secouer leur conscience, comme ce fut le cas avec les Français (44). » Le général Smaïn Lamari faisait évidemment référence à la campagne d'attentats dans le RER parisien qui avait terrorisé les Français dans les semaines précédentes…
En septembre 1995, alors que l'opération consistant à assassiner Rabah Kébir entre dans sa phase finale, Samraoui décide de s'y opposer : « J'ai mis Smaïn en garde contre ce genre d'opérations, j'ai attiré son attention sur les conséquences qu'elle pourrait avoir. Je lui ai dit : “Ici, vous êtes en Allemagne, pas en France. Là-bas, vous avez des amis : Yves Bonnet, Jean-Charles Marchiani, peut-être Charles Pasqua, vous pouvez être protégés. Mais ici, vous n'avez personne.” Il a vu que je n'étais pas chaud. Et puis je savais qu'en cas d'échec, je servirai le fusible. Après quelques minutes de silence, le général Smaïn, le regard foudroyant, dit d'un ton grave : “Je prends acte de ton refus, mais je ne sais pas s'il est motivé par une question de principe ou par incapacité à conduire cette mission.” Devant mon refus d'organiser l'assassinat de Rabah Kébir, ils ont repris l'avion. À partir de là, je savais qu'ils ne me rateraient pas (45). »
Le 12 février 1996, après avoir sollicité en vain une entrevue avec le président Liamine Zéroual, l'ex-colonel Samraoui déserte, puis obtient l'asile politique en Allemagne. En juillet 2002, sollicité comme témoin lors du procès Nezzar à Paris, il révélera l'« affaire Rabah Kébir » à la justice française (46). Mais en cet été 1995, l'affaire Kébir est encore confidentielle. Ce qui traumatise les Français, ce sont les attentats qui ensanglantent le RER parisien.
Des attentats dans le RER parisien
Le 25 juillet 1995, à l'heure de la sortie des bureaux, une très violente explosion secoue une rame de RER qui pénètre dans la station Saint-Michel, à Paris. En quelques minutes, le quartier est bouclé par la police. Dans le ciel, un hélicoptère de la sécurité civile évacue les blessés vers les hôpitaux de la capitale. Le soir, les Français découvrent au journal de 20 heures l'horreur de l'attentat : dans la rame visée par l'explosion, sept voyageurs ont été tués et près de quatre-vingts sont blessés. Dans un café du boulevard Saint-Michel aménagé à la hâte en centre de tri, des dizaines de passagers ensanglantés ont passé leur après-midi à recevoir les premiers soins. Dans la soirée, les images de voyageurs blessés et traumatisés par l'explosion heurtent profondément les téléspectateurs des journaux télévisés. Dans leurs tentatives d'identifier les commanditaires de l'attentat, les médias évoquent une piste serbe, puis islamiste. Montrés du doigt, les représentants du FIS en Europe « condamnent avec force l'horrible attentat (47) ».
À l'époque, Jean-Louis Debré lui-même aurait été surpris par l'attentat : « Ses services s'attendaient à des opérations contre de hauts responsables islamistes, mais pas contre des Français », explique dans son livre Hubert Coudurier (48). Le soir même de l'explosion de Saint-Michel, le ministre de l'Intérieur est reçu par le président Chirac qui lui lance : « Je veux connaître les auteurs !
— Monsieur le président, je vais vous dire la différence entre un énarque et moi : je suis incapable de vous dire qui a fait le coup », aurait répondu Jean-Louis Debré (49)… Ancien juge d'instruction, le ministre de l'Intérieur suit l'enquête de près, y consacrant plusieurs soirées par semaine en compagnie du juge Jean-François Ricard. Le 31 juillet, les services algériens, qui semblent particulièrement bien renseignés sur les projets des commandos de Zitouni, affirment à leurs homologues français que deux groupes du GIA sont présents en France et que des commandos suicides pourraient être lancés contre l'Arc de triomphe ou la tour Eiffel. Concernant l'assassinat du cheikh Sahraoui, ils réaffirment qu'il a été commandité par Abdelkrim Dénèche, un opposant islamiste algérien réfugié en Suède.
Trois semaines plus tard, le 17 août, la série noire continue avec un nouvel attentat à la bombe place de l'Étoile à Paris. Dix-sept passants sont blessés. Un mois après le premier attentat de Saint-Michel, le ministre de l'Intérieur, Jean-Louis Debré, n'a toujours aucune piste sérieuse susceptible d'être présentée à l'opinion. Le surlendemain de ce deuxième attentat, une lettre surréaliste parvient à l'ambassade de France à Alger. Signée « Zitouni », elle demande à Jacques Chirac de se « convertir à l'islam » et de « reconsidérer ses positions sur le dossier algérien ». Pour la population française, prise en otage depuis plusieurs semaines par ce qu'elle croit être un « terrorisme islamiste », ce « communiqué du GIA » ordonnant à Jacques Chirac de se convertir à l'islam est évidemment une provocation majeure qui contribue à créer en France une atmosphère de psychose et d'islamophobie.
Et la série noire continue : le 26 août, un nouvel engin explosif est découvert le long de la voie TGV de Cailloux-sur-Fontaine, dans le Rhône. Le 31, la police judiciaire perquisitionne les domiciles de deux jeunes de Chasse-sur-Rhône, David Vallat et Joseph Jaime, où elle trouve des armes et de quoi fabriquer des engins explosifs. Les enquêteurs se mettent alors sur la piste d'un troisième homme : Khaled Kelkal.
Au cours de la première semaine de septembre, nouveaux attentats : le 3 septembre, l'explosion d'une bombe blesse quatre personnes à Paris, boulevard Richard-Lenoir ; le lendemain, une autre bombe est désamorcée dans le XV e arrondissement de Paris ; et le 7, une voiture piégée explose devant une école juive de Villeurbanne (Rhône), faisant quatorze blessés. (Cette violence, qui bouleverse la France, est comme un écho de celle, beaucoup plus meurtrière, qui déchire alors l'Algérie. Pour ne citer que quelques cas : le 2 septembre, l'explosion d'une bombe à Meftah fait plus de trente morts et une centaine de blessés ; le 3, deux religieuses de la Congrégation Notre-Dame-des-Apôtres, sont tuées à Alger ; entre le 3 et le 10, quatre journalistes sont assassinés, quarante militaires sont tués dans une embuscade près de Batna, etc. (50)).
Le 17 septembre, deux campeurs suspects signalés à une brigade de gendarmerie lyonnaise s'enfuient précipitamment. Derrière eux, ils abandonnent un sac contenant un fusil Winchester qui se révélera être l'arme ayant servi à tuer l'imam Sahraoui quelques semaines auparavant. Moqué depuis plus d'un mois par une partie de la presse française qui lui reproche son inefficacité, Jean-Louis Debré croit tenir enfin des coupables : il lance une chasse à l'homme contre Kelkal et son acolyte. Quelques jours plus tard, le jeune beur lyonnais est repéré près d'un arrêt de bus au lieu-dit Maison-Blanche, dans les Monts du Lyonnais. Est-il vraiment le responsable du réseau terroriste qui met la France à feu et à sang depuis deux mois, comme l'a laissé entendre à plusieurs reprises Jean-Louis Debré ? Pour le savoir, il faudrait le juger, ou au moins pouvoir l'interroger. Mais dans les heures qui suivent son signalement, le 29 septembre, Kelkal est blessé par balle, puis achevé par les gendarmes. Arrivé sur place dans leur sillage, un journaliste reporter d'images de M6 filmera la fin de l'exécution. Sur la cassette, alors que Kelkal est blessé à terre, on entend distinctement l'un des gendarmes dire à son collègue : « Finis-le ! » (51).
À la suite de cet épisode, le dirigeant socialiste Lionel Jospin s'interroge sur LCI sur la responsabilité de Kelkal dans l'ensemble des attentats. Furieux, Jean-Louis Debré passe alors un « savon » à l'un des responsables politiques de la chaîne câblée (52). Mais le 17 octobre, signe que Lionel Jospin s'était posé une bonne question, une nouvelle bombe explose dans le RER parisien, entre les stations Musée d'Orsay et Saint-Michel. Cette fois, il s'agit d'une bouteille de gaz. On relève une trentaine de blessés.
Le 1 er novembre, enfin, Boualem Bensaïd, un homme que la police considère comme l'un des principaux responsables de la campagne terroriste, est arrêté à Paris. Avec Ali Touchent, son principal complice toujours en fuite, il aurait coordonné la campagne d'attentats.
Ali Touchent : une taupe des services algériens chez les islamistes
Emmené à la Division nationale antiterroriste, Bensaïd y est sévèrement interrogé : « Je donne un faux nom, on me tabasse, on me dit que la Sécurité militaire algérienne se trouve dans le bureau d'à côté, qu'ils savent tout et qu'ils veulent une histoire (53). » Le lendemain, un nouveau groupe est interpellé, cette fois à Lille. Le 4 novembre, c'est Rachid Ramda, présenté par la police comme le financier des attentats, qui est arrêté en Grande-Bretagne. En apparence, donc, le réseau terroriste qui prend le gouvernement Juppé en otage depuis plusieurs mois est enfin tombé. Mais bizarrement, Ali Touchent, qui est le véritable coordinateur de la campagne d'attentats, échappe miraculeusement à toutes les arrestations. Neuf ans après les faits, plusieurs témoignages permettent de mieux comprendre les liens qu'il entretenait avec les réseaux islamistes, mais surtout avec le DRS.
Originaire du quartier Chevalley, à Alger, Touchent fréquente dans les années 1980 la mosquée Al-Arkam, celle où prêche Mohamed Saïd, dont il est un fervent admirateur. Au début des années 1990, il arrive en France dans le but d'y étudier, mais rencontre bientôt des difficultés pour faire renouveler son titre de séjour. Fiché par les Renseignements généraux, repéré par la DST, il est contacté à Paris début 1993 par le DRS : « Il a été sollicité par un de nos officiers à Paris pour des renseignements tout à fait anodins », affirme aujourd'hui l'ex-colonel Samraoui, qui précise qu'à partir de cette époque, Ali Touchent accepta de coopérer et d'entretenir des contacts réguliers avec les services algériens (54). En contrepartie, il a bénéficié de la régularisation de sa situation vis-à-vis du service national et obtenu le renouvellement de sa carte de séjour en France.
D'après Samraoui, l'« agent Touchent » était « traité » en Europe par un de ses collègues, le colonel « Habib » Souamès, patron du DRS à l'ambassade d'Algérie à Paris. Au cours de l'année 1993, Souamès a ainsi permis à Touchent de se rendre à plusieurs reprises en Algérie. À cette période, le jeune homme a même bénéficié de la part des services de son pays d'une aide financière pour se marier et faire venir son épouse en France (55). Samraoui explique que la mission de Touchent était « d'infiltrer » les milieux islamistes européens pour le compte du DRS. Fin 1993, il a ainsi apporté sa contribution à l'« opération Chrysanthème », l'une des premières rafles organisées en France contre les islamistes algériens, en informant le DRS de la présence d'islamistes radicaux dans un foyer Sonacotra de L'Haÿ-les-Roses, en région parisienne (voir supra , chapitre 18). En 1994, il infiltre les milieux islamistes belges, et notamment l'entourage d'Ahmed Zaoui, un haut responsable du FIS qui embarrasse Alger. Le 1 er mars 1995, cette opération d'infiltration se solde par de nombreuses arrestations à Bruxelles, mais Zaoui, lui, est expulsé vers la Suisse.
Protégé par le DRS, Touchent échappe comme d'habitude à la police : « Nous donnions aux services occidentaux des informations sur les réseaux montés par Touchent, mais pas sur Touchent lui-même », nous a expliqué Abdelkader Tigha, ex-sous-officier du DRS et témoin direct de la manipulation du GIA. « Du coup, il a toujours échappé aux arrestations. Évidemment, nous n'avons jamais révélé aux services occidentaux que c'était notre agent. Concrètement, il était manipulé par le CPMI de Ben-Aknoun, mais comme c'était nous, au CTRI, qui détenions le “dossier GIA”, nous avions aussi notre mot à dire sur les actions ordonnées à Touchent. C'est nous qui avons exporté des attentats en France. On a dit : “Il faut faire quelque chose sur Paris” (56). »
En avril 1995, nommé « responsable du GIA en Europe », Touchent reconstitue à Chasse-sur-Rhône un « réseau » composé de jeunes Maghrébins désireux d'en découdre. Certains vivent dans la région lyonnaise, mais d'autres lui sont envoyés d'Algérie, soit par Djamel Zitouni, soit directement par le DRS, qui a supervisé la constitution du réseau : d'après le capitaine Ouguenoune, qui travaillait alors à Paris sous les ordres du colonel Souamès, deux agents chargés de coordonner au moins deux des attentats de l'été 1995 furent envoyés en France par le DRS. Quant aux jeunes recrutés dans la région de Lyon, ils auraient également été manipulés, mais à leur insu : « Les jeunes comme Khaled Kelkal ignoraient que Touchent travaillait pour nous, nous a expliqué Tigha. Manipuler l'ensemble du groupe aurait été trop risqué : en cas d'arrestation, ils auraient pu dire : “C'est le capitaine Abdelhafid Allouache, du CTRI de Blida, qui nous a envoyés !” Cela aurait fait scandale (57)… »
Des attentats « pédagogiques »
Aujourd'hui, le capitaine Ouguenoune affirme que c'est son propre chef, le colonel Souamès, qui coordonnait la campagne d'attentats depuis Paris avec Ali Touchent (58). Au printemps 1995, les réunions se multiplient à Bron, dans la banlieue lyonnaise, ou à Gonesse, en région parisienne, entre Ali Touchent et ses jeunes recrues. De « taupe » chargé d'infiltrer des réseaux islamistes, l'agent du DRS se mue en agent provocateur : il incite les membres de son réseau à commettre des attentats en France, pour le plus grand profit des généraux du clan éradicateur.
Systématiquement attribués par la presse aux « islamistes du GIA », les attentats de l'été 1995 vont en effet mettre en difficulté le gouvernement d'Alain Juppé et rendre intenable sa position nuancée sur le dossier algérien. Comment, en effet, relativiser la violence islamiste et prendre de la distance avec le régime des généraux dans un contexte où, chaque semaine, des Français meurent ou sont blessés dans des attentats réputés être l'œuvre d'islamistes algériens fanatiques ? Pour Abdelkrim Ghemati, un membre important de l'Instance exécutive du FIS à l'étranger, c'était précisément l'objectif recherché par le DRS : « Il s'agissait d'entretenir au sein de l'opinion publique un malaise, une crainte, une peur viscérale de tout ce qui peut ressembler à un islamiste (59). »
Pour les exilés du FIS, alors fréquemment assimilé au GIA par les médias, ces attentats sont évidemment catastrophiques. Le 9 octobre 1995, suite à un second « communiqué du GIA » revendiquant les attentats, Anouar Haddam le qualifie de « faux » et de « manipulation grossière ». Mostafa Brahami, ancien député islamiste réfugié en Suisse, nous a confirmé que le FIS n'avait à l'époque « aucun intérêt stratégique à se priver de sa base islamiste en France ni à se couper des aides financières qu'il pouvait recevoir de ce pays (60) ». « Pour nous, renchérit Mustapha Habès, élu du FIS en 1991 et désormais réfugié en Europe, la France était un portail de respiration. Ces attentats semaient la pagaille sur un terrain qui n'était pas le nôtre. C'était une catastrophe pour les islamistes s'efforçant de combattre le régime d'Alger (61). »
La Sécurité militaire algérienne, commanditaire des attentats de Paris ? L'hypothèse ne choque pas le juge Alain Marsaud, ancien chef du service central de lutte antiterroriste : « Dans les années 1980, on s'est rendu compte que le terrorisme d'État utilisait des “organisations écran”. En l'espèce, on peut considérer qu'à un moment ou à un autre, le GIA a été une organisation écran [du DRS] pour porter le feu en France, pour prendre la France en otage (62)… »
« Alger avait intérêt à ce que les pays d'Europe prennent des positions plus dures contre les islamistes, confirme aujourd'hui un proche conseiller de Charles Pasqua. Tout le monde sait que Touchent a été manipulé. » Proche des services de renseignement et spécialiste des « coup tordus », cet homme de l'ombre ajoute : « Entre deux attentats, les voyous qui les commettent doivent bien vivre : il faut manger, se déplacer, voyager, acheter des armes, trouver des logements, acheter des passeports… Un type comme cela, cela peut coûter 40 000 francs, 50 000 francs par mois. Si vous en avez dix, cela fait 500 000 francs par mois, soit 6 millions pour un an (900 000 euros). C'est le bénéfice d'une grosse PME (63). » Laissant entendre que les islamistes étaient incapables de financer de telles opérations, l'ancien conseiller du ministre de l'Intérieur conclut : « Il n'y a pas de mystère, vous savez, dans la vie… » Pour cet homme parfaitement informé — et cela ne le choque pas outre mesure —, le doute n'est pas permis : les attentats de Paris ont bien été une opération de guerre psychologique organisée et financée par le DRS.
« Les services algériens utilisent la carotte et le bâton, déplore aujourd'hui Hocine Aït-Ahmed, président du FFS. La carotte en achetant des complicités avec des valises, et le bâton en menaçant, de manière très sophistiquée, de créer de la violence en France (64). » Une méthode qui s'est révélée fort efficace en cet été 1995. Le 17 août, Jean-Louis Debré a ainsi interdit d'importation en France du Livre blanc sur la répression en Algérie , un ouvrage très précisément documenté sur les violations des droits de l'homme commises par les forces de sécurité en Algérie depuis 1992, que nous avons déjà souvent cité, publié par des militants proches du FIS exilés en Suisse. Et après les attentats de 1995, pratiquement plus aucun responsable politique français n'osera critiquer le régime algérien comme si, au fond, ils avaient compris qu'Alger était derrière les attentats.
La France, otage ou complice ?
En ce début juillet 2002, l'homme qui s'enfuit à grandes enjambées dans les couloirs du Palais de justice de Paris n'a pas l'habitude de se laisser contrarier par des journalistes. Bien que retiré des affaires, le général Khaled Nezzar est l'un des principaux barons du régime algérien. Lors des émeutes d'octobre 1988, on l'a vu (voir supra , chapitre 5), il avait ordonné à ses troupes de tirer sur la foule, provoquant la mort de plusieurs centaines de jeunes à Alger. Mis en cause à ce sujet en mai 2001 par l'ex-lieutenant Habib Souaïdia, ancien officier des forces spéciales de l'armée, lors d'un débat télévisé sur « La Cinquième », il avait décidé de porter plainte en diffamation. Conscient que la justice de son propre pays n'avait plus aucune crédibilité à l'étranger, c'est à la justice française qu'il demandait de le rétablir dans son honneur et de lui reconnaître un rôle positif dans l'histoire récente de l'Algérie (il sera sèchement débouté par le tribunal, nous y reviendrons).
Mais devant la 17 e chambre du tribunal correctionnel de Paris, le vieux général a perdu de sa superbe. Confronté au fil des jours aux témoignages terribles des victimes de la répression qui sévit depuis 1988, visé par des plaintes pour torture, il quitte chaque soir la salle d'audience par une porte dérobée, comme pour échapper aux journalistes. Ce jour-là, nous le rattrapons dans l'un des couloirs du Palais de justice pour le questionner sur le rôle du DRS dans les attentats de Paris en 1995. Estomaqué par la question, le général Nezzar revient sur ses pas, avec une terrible rage dans le regard. Mais à notre grande surprise, loin de nier que des liens aient pu exister entre le GIA et le DRS, il renvoie la balle aux autorités françaises : « Allez voir vos services, ils connaissent très bien le problème, je m'excuse…
— Vous voulez dire que les services secrets français sont au courant ?
— Ils doivent être au courant
— C'est ce qui se confirme dans notre enquête, effectivement…
— Alors allez les voir, confirmez et condamnez-nous (65)… »
Certains hauts responsables français savaient-ils dès 1995, comme le laisse entendre le général Nezzar, que les organisateurs des attentats de Paris, officiellement membres du GIA, travaillaient en réalité pour le DRS ? Plusieurs indices convergents le confirment. Dans l'entourage d'Alain Juppé, dès les premiers attentats, les soupçons se portent sur les services algériens : « C'est sans aucun doute le travail des islamistes, confie à l'époque l'un des conseillers du Premier ministre. Mais qui est derrière eux ? Peut-être un clan de la Sécurité militaire algérienne ou du pouvoir qui voudrait nous entraîner comme allié dans leur combat contre le terrorisme (66) ? » Le 19 août 1995, l'outrancier communiqué de Zitouni, ordonnant à Jacques Chirac de se « convertir à l'islam » et de « changer de politique sur l'Algérie », apporte de l'eau au moulin de ceux qui soupçonnent le GIA de servir de couverture au DRS (67).
Dans le courant du mois d'août, d'autres indices montrent que le DRS entretient des liens étranges avec les commandos terroristes agissant en France. À la veille de chaque attentat, un mystérieux Algérien prévient par exemple un inspecteur des Renseignements généraux que « quelque chose va se passer » : « À la fin, on trouvait cela un peu particulier, se souvient Jean Lebeschu, alors officier aux Renseignements généraux de la Préfecture de police de Paris. Dès que cet individu appelait, il disait que cela allait péter (68). » À la fin de l'été, cet officier des RG acquiert la certitude que l'Algérien qui renseigne son collègue sur les attentats est un officier du DRS : « Il en avait la méthodologie et la volonté, il n'a jamais été arrêté, on n'en a jamais parlé, donc c'est fatalement un type couvert par notre hiérarchie. Il faisait partie de l'entente entre les services algériens et nous-mêmes (69). »
Cette hypothèse ne surprend pas l'ancien magistrat antiterroriste Alain Marsaud : « Cela ne sert à rien de commettre des attentats si vous ne faites pas passer le message et si vous ne forcez pas la victime à céder. Cela s'obtient par la mise en place d'une diplomatie parallèle destinée à bien faire comprendre d'où vient la menace et comment on peut y mettre fin en contrepartie de certains avantages (70)… » Selon l'ancien chef du service central de lutte antiterroriste, c'est donc à une véritable prise d'otage du gouvernement Juppé que se seraient livrés les chefs du DRS par GIA interposé. Et la manipulation n'aurait pas échappé à la DST.
Fin août 1995, Abbas Aroua, un universitaire proche du FIS et vivant à Genève, se rend en France pour y distribuer quelques exemplaires du Livre blanc sur la répression en Algérie , cet ouvrage collectif qui vient d'être interdit d'importation en France par les services de Jean-Louis Debré : « Je comptais en remettre quelques exemplaires à des journalistes », nous a raconté l'intellectuel algérien. Arrêté dans le TGV, il se voit confisquer les exemplaires qu'il transporte et est conduit au commissariat de Pontarlier, où on lui annonce qu'il va être interrogé par la DST. « J'ai attendu trois heures, et un policier français en civil est arrivé, relate Abbas Aroua. Toute notre discussion a porté sur les attentats qui ensanglantaient Paris. Je lui ai dit : “Les commanditaires, ce sont vos amis de la Sécurité militaire !
— Oui, nous avons établi l'implication des services algériens et nous l'avons signalé dans un rapport que nous avons remis aux autorités”, m'a-t-il répondu en substance (71). »
Une révélation aujourd'hui partiellement confirmée par Alain Marsaud : « C'est vrai qu'une des réflexions de la DST, cela a été de constater que dès qu'on remontait les réseaux Kelkal, on tombait sur des gens des services officiels algériens (72). »
Jean-Louis Debré, le ministre français de l'Intérieur, est évidemment informé de ces soupçons devenus certitudes. À la mi-septembre, alors que la France est prise en otage depuis près de deux mois par le terrorisme du GIA, il décide de dénoncer publiquement, par une manœuvre oblique, les manipulations du DRS. Il invite des journalistes à déjeuner au ministère de l'Intérieur et leur fait passer un message : « Il se demandait si une manipulation des autorités algériennes était possible, se souvient Dominique Gerbaud, à l'époque journaliste à la Nouvelle République du Centre-Ouest et président de l'Association de la presse présidentielle. Cela nous a semblé être une information de toute première importance, en tout cas une information nouvelle (73). » Le lendemain de ce déjeuner, les journalistes invités par le ministre de l'Intérieur publient ses propos selon lesquels, suite aux attentats, « la Sécurité militaire algérienne voulait que l'on parte sur de fausses pistes pour qu'on élimine des gens qui la gênent » (74).
Repris à la « Une » du Monde , ces propos du ministre de l'Intérieur provoquent la colère d'Alger. Jean-Louis Debré va alors faire semblant de ne pas avoir dit ce qu'il a dit. Dans son entourage, on « dément formellement l'existence de l'interview » et on se « réserve d'examiner toutes les suites judiciaires que mérite cette affaire (75) ». Mais quelque temps plus tard, Debré confirme ses propos à Hubert Coudurier : « Il m'a dit qu'il avait fait ses déclarations sciemment, que c'était une manière de faire passer un message aux autorités algériennes pour qu'elles arrêtent de nous “bourrer le mou”, nous a expliqué le directeur de rédaction du Télégramme de Brest . Pour des raisons diplomatiques, Debré a démenti ensuite ses propos. Mais le message était passé (76)… » Confronté à ses propres déclarations lors d'une rencontre filmée en octobre 2002, Jean-Louis Debré n'a pas souhaité nous répondre…
Selon Hubert Coudurier, Jean-Louis Debré aurait donc clairement signifié aux autorités algériennes qu'elles étaient allées trop loin dans l'instrumentalisation du GIA… Suite à cet épisode, Alain Juppé lui-même aurait donné des consignes pour que les enquêteurs français « limitent à l'extrême », voire « coupent tout contact » avec les services algériens de renseignement (77). En octobre 1995, le conseiller diplomatique du président Jacques Chirac à l'Élysée, Dominique de Villepin, l'aurait même encouragé à accepter une rencontre avec le président Zéroual pour lui renouveler le message de Jean-Louis Debré sur le thème : « Arrêtez de nous raconter des histoires (78). »
À l'époque, l'ancien Premier ministre algérien Abdelhamid Brahimi recueille les confidences d'un proche du président français, qui lui confirme que Paris a parfaitement compris que le DRS était derrière les attentats et qu'un messager envoyé par Chirac à Zéroual fin 1995 était chargé de faire passer le message. Difficilement vérifiable, ce témoignage est cependant à rapprocher de deux visites effectuées à l'époque à Alger : celle du sénateur Xavier de Villepin, chargé de rencontrer les décideurs algériens pour déterminer les responsabilités des uns et des autres ; et celle de Philippe Seguin, le président de l'Assemblée nationale, le 22 décembre 1995. Arrivé dans l'avion présidentiel de Jacques Chirac, ce dernier est porteur d'un message du président français à son homologue algérien.
Cette visite fait d'ailleurs l'objet d'un communiqué commun diffusé par l'agence officielle du régime, l'APS. Mais le soir même, l'Élysée minimise étrangement la rencontre entre le président Zéroual et Philippe Seguin en diffusant un communiqué affirmant que ce dernier n'était porteur d'aucun message de Jacques Chirac (79). Pourquoi un tel communiqué ? Le message de Jacques Chirac à Liamine Zéroual devait-il rester confidentiel ? D'après Abdelhamid Brahimi, la teneur de ce mystérieux message était explosive : « Mon informateur m'a affirmé que le message du président Chirac disait notamment que la France n'accepterait jamais à l'avenir que la Sécurité militaire organise des attentats en France (80). »
Conscient de l'instrumentalisation du GIA par le DRS, Paris va pourtant protéger Alger. D'abord en laissant croire que les islamistes algériens sont bien responsables des attentats, ensuite en laissant fuir Ali Touchent, pourtant considéré par les enquêteurs comme le principal organisateur de la campagne terroriste. Comment expliquer, en effet, que Touchent, connu par la DST depuis la découverte de papiers d'identité portant sa photo lors de l'« opération Chrysanthème » en novembre 1993, ait systématiquement échappé à toutes les arrestations depuis cette date ? Comment comprendre qu'en novembre 1995, sur les soixante « islamistes » répertoriés dans l'album des services de police, la photo de Touchent soit accompagnée de la simple mention : X, dit « Tarek », comme si les services français ne le connaissaient pas ? Qui cherchait à le dissimuler à la justice française ? La police savait pourtant que l'« émir » du GIA en France partageait la chambre de Boualem Bensaïd boulevard Ornano, dans le XVIII e arrondissement de Paris, puis rue Félicien-David, dans le XVI e . Comment expliquer qu'après les attentats, Touchent, présenté par Alger comme le numéro un du GIA en Europe, ait pu se réfugier… en Algérie, alors même qu'il était recherché par toutes les polices et que son portrait était largement diffusé ?
« C'est nous qui l'avons aidé à regagner Alger », sourit aujourd'hui l'ex-adjudant Abdelkader Tigha. Une fois en Algérie, Touchent s'installe, sans se cacher, dans une cité d'Alger réservée aux policiers et située dans un quartier hautement sécurisé (81). À l'annonce de sa mort, en février 1998, les enquêteurs français ne prennent même pas la peine de se rendre sur place pour vérifier son décès : « Les services français savaient que Touchent était un agent du DRS chargé d'infiltrer les groupes de soutien aux islamistes à l'étranger, a expliqué dans son livre l'ex-colonel Samraoui. Profitant de l'intimité de leurs relations avec la DST, le général Smaïl Lamari et le colonel Habib lui fournissaient de vrais “tuyaux” sur le mouvement islamique en France et sur les éléments “dangereux” identifiés par les taupes du DRS, dont Ali Touchent ; en échange de ces précieuses informations, la DST apportait sa collaboration (y compris la protection des sources, ce qui explique pourquoi Ali Touchent n'a jamais été inquiété sur le territoire français) et son soutien pour neutraliser les vrais islamistes (82). »
Confronté à ces très graves accusations lors du procès des responsables présumés des attentats de Paris en octobre 2002, Roger Marion, ancien responsable de la Division nationale antiterroriste, a confirmé qu'il était « possible » qu'il y ait eu « rétention d'informations par un service ou un autre » sur le cas de « Tarek » (Ali Touchent) et que les informations existantes sur lui avaient peut-être été « portées tardivement » à la connaissance de la police, une façon de reconnaître que Touchent avait probablement été protégé par la DST. Suite à ces déclarations calamiteuses, Jean-François Clair, numéro deux du contre-espionnage français, a reconnu des contacts avec le frère de Touchent, mais pas avec l'organisateur des attentats lui-même, qui n'aurait pas été identifié avant le 11 novembre 1995 (83). « Ce qui semble le plus probable, estime aujourd'hui l'ex-colonel Samraoui, c'est que les responsables de la DST, aveuglés par leurs relations étroites avec Smaïn et consorts, n'ont rien fait pour les empêcher, ne soupçonnant sans doute pas que leurs homologues algériens étaient prêts à aller aussi loin. Et ensuite, la DST a tout fait pour jeter le voile sur cette attitude (84). »
Mais le plus étonnant, dans toute cette histoire, est que la vérité de ce secret d'État sera connue assez rapidement, de la façon la plus officielle, sans que les médias français s'en émeuvent particulièrement. Ainsi, lors du procès des membres du réseau de Chasse-sur-Rhône, ouvert à Paris le 26 novembre 1997, Hamid Herda et Joseph Jaime, anciens complices d'Ali Touchent, l'accusèrent de les avoir utilisés pour le compte du DRS, ce qui fut bien peu relevé à l'époque (85).
« Il faudrait que les familles des victimes se manifestent et demandent aux politiques français d'arrêter de soutenir les criminels au pouvoir à Alger, lance aujourd'hui Abdelkader Tigha. Il faudrait reconnaître les responsabilités des services, voire dédommager les victimes, comme dans l'affaire de Lockerbie ou de la Libye ! On voit bien que ce n'est pas le père de Nicolas Sarkozy qui fut kidnappé avec les moines de Tibhirine, ni la fille de Jacques Chirac qui est décédée dans les attentats du RER. Sinon, cela ne se serait pas passé comme cela (86) ! »
       

Le système de la Françalgérie est sans doute un des secrets les mieux gardés de la ve République. C’est un système complexe dont le cœur est l’argent, celui des « commissions » prélevées par les généraux du « cabinet noir » sur les échanges commerciaux avec l’étranger.

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Depuis 1999, le voile d’opacité recouvrant l’atroce guerre civile qui ensanglante l’Algérie depuis 1992 commence à se déchirer. Après les documentaires de France 2 sur le massacre de Bentalha et de Canal Plus sur l’assassinat du chanteur Matoub Lounès [1][1] J.-B. Rivoire et J.-P. Billault, Bentalha, autopsie..., après les livres de Nesroulah Yous et du lieutenant Habib Souaïdia [2][2] N. Yous, Qui a tué à Bentalha ?, La Découverte, ..., d’autres témoignages ont confirmé, et au-delà, ce qu’attestaient déjà ces documents : la responsabilité écrasante, dans cette tragédie interminable, des hauts responsables de l’armée (dirigée par le général Mohammed Lamari) et des services secrets (le Département de renseignement et de sécurité, DRS, successeur de la Sécurité militaire [3][3] Sur le rôle de la SM, voir l’impressionnant dossier..., dirigé par les généraux Mohamed Médiène, dit « Tewfik », et Smaïl Lamari, dit « Smaïn »). Avec les généraux Larbi Belkheir et Khaled Nezzar, les véritables « parrains », ce sont eux que l’on a appelé les « janviéristes », car ils ont été les organisateurs du coup d’État de janvier 1992.

•La manipulation de la violence islamiste
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Deux de ces témoignages, émanant d’anciens officiers du DRS, ont particulièrement frappé l’opinion. Celui du colonel Mohamed Samraoui, d’abord, qui, lors d’une longue interview à la chaîne arabe El Djazira, le 5 août 2001, a notamment déclaré, détails à l’appui : « Les GIA [Groupes islamistes armés], c’est la création du pouvoir : ils ont tué des officiers, des médecins, des journalistes et beaucoup d’autres. […] L’intérêt des généraux est d’appliquer la politique de la terreur pour casser les revendications légitimes du peuple, celle de partager le pouvoir. » Celui du commandant Hichem Aboud, ensuite : si son livre La mafia des généraux, paru en février 2002, pèche souvent par omission, il n’en contient pas moins de nombreuses révélations qui confirment les nombreux témoignages délivrés depuis 1994 dans la presse occidentale, jusque-là anonymement, par d’anciens membres des forces de sécurité.

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Il explique ainsi, notamment : « Comment ces généraux, qui disent sortir des grandes écoles de guerre françaises et russes, n’arrivent-ils pas en dix ans à éliminer des bandes armées commandées par des tôliers, des marchands de poulets et autres repris de justice ? […] Ce n’est plus un secret pour personne : le terrorisme intégriste est leur produit, leur instrument et leur allié le plus sûr pour maintenir leur domination sur le peuple algérien. La politique de l’infiltration et de la manipulation est l’arme absolue utilisée par les services du général Tewfik. Les groupes terroristes sont créés et dissous au gré des conjonctures et des événements [4][4] H. Aboud, La mafia des généraux, Lattès, 2002, ... […].

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L’intégrisme n’a jamais constitué un ennemi pour la mafia des généraux. Bien au contraire, ils s’en servent pour perpétuer leur pouvoir, perpétrer leurs crimes et réprimer toute opposition à leurs desseins. Que d’assassinats, commis à la faveur de cette ambiance marquée par la violence et le terrorisme, et mis sur le compte des GIA, qui n’est en fait qu’un produit sorti de leurs laboratoires [5][5] Idem, p. 186. […].

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Évidemment, l’énumération des assassinats commis par la mafia des généraux ne peut absoudre les groupes islamiques armés de leurs crimes. Cependant, il est utile de rappeler qu’une fraction de ces groupes est la création des services dirigés par le général-major Tewfik [6][6] Ibid., p. 192. […]. Il faut rappeler que les GIA se distinguent par l’absence d’un commandement unifié. Plusieurs bandes de criminels repris de justice ont pris eux aussi l’étiquette GIA pour perpétrer vols, racket, viols et assassinats. Cependant, les GIA de Djamel Zitouni et de ses successeurs sont, sans le moindre doute, l’œuvre du duo Tewfik-Smaïl [7][7] Ibid., pp. 194-195.. »

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On peut être certain que d’autres témoignages de ce type viendront, à l’avenir, compléter ce tableau, même si les généraux d’Alger ne ménagent aucun effort pour effacer les traces de leurs crimes, notamment en liquidant régulièrement ceux qu’ils ont chargé de les commettre et qui « en savent trop ».

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Dans ce contexte, seuls ceux, désormais très minoritaires, qui ont choisi de se boucher yeux et oreilles peuvent continuer à croire que la tragédie algérienne ne s’explique que par la lutte sans merci, comme on nous le raconte depuis dix ans, entre des « démocrates sincères » et des islamistes « afghans ». D’ailleurs, ces dernières années, les analyses n’avaient pas manqué, expliquant comment la dérive dans la folie sanguinaire du « cabinet noir » algérien s’inscrivait dans une tradition historique de manipulation de la violence [8][8] Voir notamment : L. Addi, « L’armée algérienne confisque....

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On peut comprendre que l’opinion occidentale – et française en particulier –, abusée par une entreprise de désinformation à large échelle (j’y reviendrai), a pu pendant si longtemps rester relativement indifférente au drame à huis clos qui se déroule à deux heures d’avion de Paris. En revanche, cette explication ne tient pas pour les gouvernements français qui se sont succédé dans la période : ceux-ci sont en effet parfaitement informés, par les services de renseignement (DST et DGSE), de la nature réelle de la « sale guerre », de la torture généralisée, des « escadrons de la mort », de l’amnistie de fait accordée aux terroristes par la loi de « concorde civile » (1999), de la misère dans laquelle a été plongée la population, de la corruption qui gangrène le corps social et permet à une infime minorité de s’enrichir scandaleusement. La DGSE dispose de longue date de moyens d’écoute sophistiqués qui lui permettent d’intercepter les communications des forces de sécurité algériennes ; quant à la DST, ses liens « historiques » avec la SM lui ont toujours assuré un excellent niveau d’information sur les actes et les motivations de ses interlocuteurs. Et au-delà, les liens entre responsables politiques et économiques des deux pays sont permanents : il n’est pas exagéré de dire que pour les véritables dirigeants algériens, la capitale de leur pays est Paris, où certains séjournent presque plus souvent qu’à Alger…

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Mais alors, pourquoi le silence de la France, « patrie des droits de l’homme » ? Pourquoi, comme l’indiquait un récent appel d’intellectuels européens et algériens, tout au long de ces années, les autorités françaises et européennes ont-elles « préféré “faire comme si…”. Comme si les gouvernements successifs issus depuis 1992 de coups de force ou d’élections truquées représentaient authentiquement la démocratie algérienne. Comme si la lutte contre les groupes armés islamistes, à quelques “bavures” près, avait été menée avec les armes du droit. Comme si l’économie algérienne était une économie “normale” [9][9] « L’Algérie après le 11 septembre : et les droits de... » ?

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La réponse à cette question n’est pas simple et implique plusieurs niveaux d’explication étroitement imbriqués, que l’on pourrait résumer en cinq actes : complicité historique, cynisme d’État, chantage au terrorisme, agit-prop médiatique, corruption et « rétrocorruption ».

•Complicité historique et cynisme d’État
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Le premier facteur est d’ordre contextuel. Il tient aux liens étroits qui se sont tissés depuis l’indépendance entre les dirigeants algériens et les dirigeants français. À droite, les gaullistes ont su, par-delà les tensions périodiques, entretenir des relations solides avec Alger, sur fond d’intérêts communs bien compris, de l’exploitation des hydrocarbures au front anti-américain sur la scène internationale. Les partis de la gauche officielle (PCF et PS), quant à eux, avaient à se faire pardonner leur attitude durant la guerre de libération, lors de laquelle ils avaient soutenu la violence d’État contre les « moudjahidine », ce qui explique le constat dressé par l’historien (et ancien militant du PSU) Bernard Ravenel, dans un article remarquablement documenté : « Dans la décennie 1971-1981, la gauche française tout entière a donné son soutien acritique au système de pouvoir construit par Boumediene. Ce faisant, elle lui a attribué un surcroît de légitimité. […] En se limitant pour l’essentiel au niveau de relation acritique d’État à État, la gauche française, avec des nuances mais globalement au moins jusqu’en 1988, a légitimé le système de pouvoir algérien. À ce titre, elle a sa part de responsabilité dans les malheurs et les drames d’aujourd’hui [10][10] B. Ravenel, « La gauche française au miroir de l’Algérie.... » Enfin, il ne faut pas oublier les véritables liens d’amitié qui ont pu se nouer, pendant la guerre d’Algérie, entre la minorité de gauche et d’extrême gauche qui apporta courageusement son soutien au FLN, et ses dirigeants de l’époque. Des liens souvent gardés intacts et qui ont pu jouer un rôle important dans le soutien apporté par la France à l’Algérie officielle ces dernières années, et dans l’aveuglement d’une partie de la gauche intellectuelle sur la vraie nature du pouvoir militaire.

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Le deuxième niveau d’explication est celui que l’on peut parfois entendre dans les salons feutrés du Quai d’Orsay : l’Algérie est un fournisseur important de la France et de plusieurs États de l’Union européenne pour le gaz et le pétrole, et il est donc important, pour assurer la sécurité de ces approvisionnements, qu’elle ne soit pas « déstabilisée » par l’islamisme radical. D’autant qu’une telle déstabilisation aurait un « effet domino » sur les deux pays voisins, Maroc et Tunisie, où la « menace islamiste » est également présente. Cette crainte était très forte en 1989-1991, au moment de la montée en puissance du Front islamique de salut (FIS), au point que l’armée française décida en 1991 des manœuvres militaires sur les côtes languedociennes, sur le thème : comment faire face à un afflux de « boat people » algériens chassés par une dictature islamiste ? La version moins euphémisée de cette doctrine, comme le relevait l’appel précité, est la suivante : « Face au “péril vert”, mieux vaut soutenir des militaires notoirement corrompus et sanguinaires (c’est la “doctrine Nixon” : “C’est un fils de pute, mais c’est notre fils de pute”, appliquée au cas du dictateur chilien Pinochet) ». Mais cette explication, si elle joue à l’évidence un rôle, est loin d’être la plus décisive. À elle seule, elle ne saurait en effet justifier un soutien aussi constant et déterminé à l’une des dictatures les plus brutales de ces dernières décennies. D’une certaine façon, il s’agit surtout d’un discours de justification – parfois sincère, parfois franchement cynique – principalement porté par le « deuxième cercle » du pouvoir : celui des « experts », intellectuels et journalistes influents fascinés par la raison d’État.

•Chantage au terrorisme
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Au sein du « premier cercle » des décideurs politiques français, d’autres raisons jouent un rôle plus important. La première est certainement le chantage au terrorisme exercé sur la France par les généraux d’Alger, surtout depuis 1994.

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Rappelons les faits, tels que les évoquait en 1996 Lucile Provost : « Depuis septembre 1993, date à laquelle deux géomètres français avaient été tués dans l’ouest de l’Algérie, les attentats dirigés contre la France n’ont pas cessé. Certains ont été particulièrement spectaculaires comme l’enlèvement de trois fonctionnaires consulaires à Alger en octobre 1993, le meurtre de cinq agents de l’ambassade (dont trois gendarmes) par un commando armé en août 1994, ou le détournement d’un Airbus d’Air France en décembre 1994. Les attentats sur le sol français à l’été et à l’automne 1995 sont ensuite venus nourrir les craintes d’une exportation de la violence. Après une demi-année de relative tranquillité, le rapt puis l’exécution en mai 1996 de sept moines, dans la région de Médéa, suivis de l’assassinat de Monseigneur Pierre Claverie, évêque d’Oran, le 1er août 1996, ont montré encore une fois que ni le régime ni les groupes armés n’avaient renoncé à faire de la France un des enjeux de leur lutte [11][11] L. Provost, « Poursuite de la violence, impasses.... » La plupart de ces crimes ont été attribués aux Groupes islamistes armés. Pourtant, les informations qui ont filtré depuis montrent qu’ils relèvent pour l’essentiel d’une « stratégie de la tension » mise en œuvre par les Services algériens, par islamistes manipulés interposés, pour faire pression sur la France et prévenir toute tentation de sa part de leur retirer son soutien.

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Plusieurs phases peuvent être distinguées. Dans les premières années (1993-1994), le moins qu’on puisse dire est que prévaut une certaine confusion, révélatrice des rapports tordus entretenus de longue date entre Services français et algériens. Il est en effet pratiquement établi que les actions les plus spectaculaires contre la France attribuées aux GIA dans cette période sont le résultat de manipulations, parfois élaborées en commun entre la SM et certaines branches des Services français, dans le but de « conduire les autorités françaises à s’engager résolument aux côtés de l’État algérien dans la logique de répression [12][12] Selon les termes de Jocelyne Césari, chercheuse au... ». Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Charles Pasqua, aurait ainsi joué un rôle clé dans l’affaire du « vrai-faux enlèvement » des trois fonctionnaires du consulat français, Jean-Claude et Michèle Thévenot et Alain Fressier, séquestrés le 24 octobre 1993, puis relâchés, par un commando « islamiste » dirigé par un certain Sid Ahmed Mourad (alias Djaafar el-Afghani) : le récit circonstancié de cet épisode par les journalistes Roger Faligot et Pascal Krop n’a fait l’objet d’aucun démenti [13][13] R. Faligot et P. Krop, DST police secrète, Flammarion,.... Cette affaire a en tout cas été le prétexte de l’« opération chrysanthème » du 4 novembre 1993, vaste rafle conduite par la police dans les milieux islamistes de l’Hexagone. De même, à la suite de l’assassinat de cinq Français le 5 août 1994, dix-sept militants et sympathisants islamistes ont été assignés à résidence à Folembray, dans l’Aisne. Et le 12 août 1994, les GIA exigeaient l’arrêt de « tout appui » de Paris au pouvoir algérien, faute de quoi ils menaçaient de « frapper violemment les intérêts français ». L’affaire de l’Airbus, en décembre de la même année, s’inscrit clairement dans cette séquence et relève plus que probablement d’une autre manipulation du DRS.

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En 1995, on change de registre, car les plus hauts responsables politiques français semblent considérer que les généraux algériens sont allés trop loin. Et ils commencent à mesurer leur soutien. La riposte des « groupes islamistes de l’armée » (comme les appelle la rue algérienne, depuis des années) est brutale : du 25 juillet au 17 octobre, sept attentats à la bombe, à Paris (RER Saint-Michel, place de l’Étoile, boulevard Richard-Lenoir, métro Maison-Blanche, RER Musée d’Orsay) et dans la région lyonnaise, tuent dix personnes et font des dizaines de blessés. Dans cette période, on apprend que l’« émir » des GIA, Djamel Zitouni, a adressé, le 19 août, une lettre au président de la République Jacques Chirac l’invitant « à se convertir à l’Islam pour être sauvé » et que, par un communiqué du 7 octobre, il a menacé la France de nouvelles « frappes militaires ». Les autorités françaises reçoivent ces « messages » cinq sur cinq, comme le reconnaît prudemment, dès juillet 1995, un conseiller du Premier ministre Alain Juppé : « C’est sans aucun doute le travail des islamistes. Mais qui est derrière eux ? Peut-être un clan de la Sécurité militaire algérienne ou du pouvoir qui voudrait nous entraîner comme allié dans leur combat contre le terrorisme [14][14] Cité par C. Angéli et S. Mesnier, Sale temps pour... ? »

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Certains responsables français se poseront cette même question après le martyre des sept moines de Tibhérine en mai 1996. Henri Tincq, le journaliste chargé des questions religieuses au quotidien Le Monde, s’en fera l’écho dans une enquête publiée en juin 1998 : « La version officielle de la responsabilité unique de groupes islamiques armés est mise en doute, aussi bien dans des cercles ecclésiastiques à Rome que par d’anciens officiers de la sécurité algérienne. Selon des témoignages récents, la sécurité avait infiltré les ravisseurs des moines et, parce qu’elle n’aurait pas supporté que les services français entrent eux-mêmes en contact avec les islamistes, l’affaire aurait mal tourné [15][15] H. Tincq, « La sécurité algérienne pourrait être.... »

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Ces doutes, le leader socialiste Lionel Jospin les exprimera plus globalement, en janvier 1997, cinq mois avant sa nomination au poste de Premier ministre. Celui qui est alors le chef de l’opposition de gauche déclare, très lucidement, évoquant le drame algérien : « On continue à hésiter entre le risque de l’indifférence et celui de l’engrenage si on s’exprime trop clairement. Voilà, je crois, les raisons du silence. […] Il n’est pas question d’une capitulation devant des forces qu’on peut à peine identifier, mais nous devons dire que nous ne sommes pas prêts, pour autant, à soutenir le pouvoir algérien quoi qu’il fasse. […] Un gouvernement, qu’il soit de droite ou de gauche en France, peut se demander si certains, ici ou là, ne pourraient pas être tentés de frapper si nous nous exprimions plus nettement. […] On peut certes espérer qu’en ne disant rien on sera moins touché. Mais on peut aussi se dire que, si le conflit ne trouve pas de solution, l’accumulation de ces violences est lourde de conséquences pour le futur. Il faut donc faire des choix [16][16] Interview à Libération, 27/01/1997.… »

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Et pourtant, en septembre 1997, trois mois après son entrée en fonction et quelques jours après les grands massacres de civils à Raïs et Sidi-Youcef, le même Lionel Jospin déclare : « Même si nous ressentons un sentiment d’horreur et de compassion […], avons-nous toujours à nous sentir coupables ? La France n’est plus responsable de ce qui meurtrit l’Algérie aujourd’hui. Au plan officiel, le gouvernement français est contraint dans son expression [souligné par nous]. Prendrait-il des initiatives qu’elles ne seraient pas reçues, nous le savons [17][17] Interview au Monde, 16/09/1997.. » Ce revirement spectaculaire, rarement relevé à l’époque, s’explique très trivialement : dès la constitution du gouvernement de Lionel Jospin en juin 1997, de discrets émissaires de la SM ont expliqué en substance au Quai d’Orsay et à certains responsables français que si le gouvernement français « s’exprimait plus nettement », il leur serait bien difficile d’empêcher que « certains, ici ou là », soient « tentés de frapper ». En termes plus crus, que les « Groupes islamistes de l’armée » pourraient à nouveau porter leur guerre sur le territoire français. Là encore, le message a été reçu. Et le gouvernement a cédé au chantage. Au lieu de mobiliser la puissance de ses services de police pour traquer les islamistes de l’armée présents sur le territoire français (agents directs de la SM ou militants islamistes manipulés), il a déclenché une opération diplomatique d’envergure, en particulier au sein de l’ONU, pour contrer la revendication d’une « commission d’enquête internationale ».

•Agit-prop médiatique
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Car la manifestation du 10 novembre 1997 à Paris, à l’initiative de l’association « Un jour pour l’Algérie » et de nombreuses ONG, a mis en avant le mot d’ordre de commission d’enquête internationale pour la vérité sur les massacres et les violations des droits de l’homme en Algérie, visant aussi bien le terrorisme islamique que le pouvoir. Des milliers de personnes sont descendues dans la rue, et la manifestation a eu un impact considérable. Face à cette initiative, les militaires algériens ont pris peur : si la pression de l’opinion internationale parvenait à imposer une « opération vérité » susceptible de mettre à jour les manipulations de la violence qu’ils exerçaient depuis des années, la base même de leur pouvoir et de leur richesse risquait d’être gravement ébranlée. Ils ont donc déclenché une contre-offensive d’envergure, leurs alliés civils multipliant les contacts avec des personnalités et des intellectuels français [18][18] Voir F. Gèze et S. Mellah, « Crimes contre l’humanité.... C’est dans ce climat que se sont inscrits un meeting à la Mutualité le 20 janvier 1998 et une émission sur la chaîne franco-allemande Arte, le lendemain, qui ont donné l’un et l’autre un large écho aux thèses des courants « éradicateurs » proches du pouvoir.

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Dès la fin 1997, plusieurs dignitaires du régime (dont Ali Haroun, ancien dirigeant de la Fédération de France du FLN) sont venus discrètement à Paris délivrer la bonne parole à quelques personnalités politiques et intellectuelles, surtout de gauche, jugées influentes. Alors même que les tueries redoublaient (plus de mille victimes dans une série de massacres dans l’Ouest du pays), cette démarche était suivie d’un véritable ballet de visites, officielles ou non, de personnalités françaises et européennes en Algérie (dont Claude Cheysson, Yvette Roudy, Francis Wurtz, Jack Lang), qui toutes sont revenues en affirmant les mêmes convictions : « Il est clair que ce sont les islamistes, ces fous de Dieu, qui tuent [19][19] Yvette Roudy, El Watan, 01/03/1998. », et face à eux, « seule la contre-violence est possible [20][20] Claude Cheysson, L’Express, 22/01/1998. ».

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Les philosophes Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann, les premiers, ont ramené de leur visite des reportages qui ne passeront pas inaperçus [21][21] B.-H. Lévy, « Choses vues en Algérie », Le Monde, ... – et vaudront à leurs auteurs un hommage empoisonné du « parrain » des « janviéristes », le général Khaled Nezzar (« Ils ont par leur courage fait connaître la vérité », écrira-t-il début février dans El Watan, avant d’assurer « ces hommes de courage et de conviction » de « son plus grand respect » et de sa « plus haute considération [22][22] Cité par J.-P. Tuquoi, « Les succès de communication... »).

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Mais l’offensive n’a pas été que médiatique. Ainsi, Jack Lang, le président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, qui réclamait en novembre 1997 la commission d’enquête internationale (c’était le bon sens, disait alors également Bernard-Henri Lévy), a-t-il déclaré trois mois plus tard, curieusement, le contraire. C’est qu’entre-temps Jack Lang a rencontré à Alger les dignitaires du pouvoir, il a donné des interviews lénifiantes dans la presse locale et il est revenu en France, expliquant que la commission d’enquête était inutile. De même, en février 1998, la préparation d’une délégation de parlementaires européens a fait l’objet d’une bagarre feutrée – mais très vive – entre les représentants des ONG de défense des droits de l’homme et les « éradicateurs » algériens et européens (principalement français et belges). Ces derniers ont reconnu certaines « bavures » du pouvoir, tout en soulignant que l’essentiel était de ne pas déstabiliser l’armée, dernier « rempart » contre l’islamisme. Après la visite, la conclusion du président de la délégation sera sans surprise : les forces de sécurité « ne sont pas impliquées dans les massacres mais constituent une armée mal entraînée et mal équipée pour lutter contre les formes mutantes de terrorisme [23][23] Cité par M. Scotto, « Les députés européens qui se... ». Une complaisance que la journaliste algérienne Salima Ghezali, qui venait justement de recevoir du Parlement européen le prix Sakharov des droits de l’homme, jugera en ces termes : « Ainsi l’Europe continue, sans surprise, à ne pas se définir et, en fait, à soutenir le régime algérien à l’instigation de Paris [24][24] Le Soir de Bruxelles, 14/02/1998.. »

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De fait, dans le même temps, les diplomates français s’activeront discrètement et efficacement dans les couloirs de l’ONU pour torpiller définitivement la revendication d’une commission d’enquête internationale pour connaître les commanditaires des massacres, qu’avait pourtant soutenue James Rubin, le porte-parole du Département d’État américain [25][25] Daily Press Briefing released by the Office of the.... Ce sinistre « succès diplomatique » montrait une nouvelle fois à quel point la France donne le « la » au niveau mondial sur le « dossier algérien » : tout se passe comme si, aux yeux des États démocratiques occidentaux, l’Algérie restait, quarante ans après son indépendance, une « affaire intérieure » française.

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Cette remarquable entreprise de verrouillage a enfin été complétée, en France même, par la liquidation « en douceur » des dizaines de comités de solidarité avec l’Algérie qui s’étaient créés à l’époque. Cette opération a été pilotée par les hommes de la Sécurité militaire présents sur le territoire : des militants « éradicateurs » français et algériens, sans doute pas toujours conscients d’être ainsi manipulés, ont été invités par des relais civils de la SM à rejoindre ces comités qui, sous leur influence, ont progressivement abandonné le mot d’ordre de commission d’enquête internationale – parfois au prix de vifs déchirements – et ont presque tous disparu en quelques mois, dans la confusion et le découragement des militants sincères.

•La SM en France
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Cet épisode illustre un autre élément essentiel du fonctionnement de la « Françalgérie » : la France est sans doute la seule grande démocratie au monde à tolérer sur son sol la présence d’une force policière nombreuse d’un État étranger. La SM dispose en effet en France, en permanence, de plusieurs centaines d’agents et de milliers d’indicateurs. Leur rôle premier est la surveillance serrée de la communauté algérienne immigrée. Dans les années post-indépendance, ils l’assuraient sous le couvert de l’Amicale des Algériens en Europe. Depuis les années quatre-vingt, avec l’enracinement des immigrés dans la société française, cette structure est tombée en déshérence, mais la fonction de surveillance, visant à éviter toute structuration d’une opposition au pouvoir dans l’immigration, est toujours une priorité de la SM. Ses agents sont bien sûrs présents dans les dix-huit consulats, mais ils usent aussi de diverses « couvertures » civiles. Traditionnellement coordonnée par un colonel en poste au consulat de Paris, leur action consiste à repérer les opposants, à neutraliser les plus actifs (par la récupération ou les menaces sur la famille restée au pays), à infiltrer et noyauter tous les regroupements, même les plus anodins (c’est ainsi qu’à l’automne 2001, la « branche française » de la SM a réussi à infiltrer et à faire scissionner l’Association des taxis kabyles de Paris, qui commençait à se mobiliser contre la répression en Kabylie…). Ce contrôle policier explique dans une large mesure la crainte dans laquelle vivent les Algériens de France et leur faible mobilisation face aux horreurs que vivent leurs familles restées au pays, dont ils connaissent pourtant parfaitement les responsables. Depuis le début de la « seconde guerre d’Algérie », la SM en France a également joué un rôle actif pour relayer, auprès de la presse et de la classe politique françaises, les opérations de désinformation concoctées dans les bureaux algérois du service d’action psychologique du DRS, dirigé jusqu’à la fin 2001 par le fameux colonel Hadj Zoubir.

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Toutes ces actions sont parfaitement connues des services français de renseignement, et en particulier de la DST, qui entretient de longue date les meilleurs rapports avec la SM (rappelons simplement l’assassinat en plein Paris, le 8 avril 1987, de l’opposant Ali Mécili : arrêté deux mois plus tard par la brigade criminelle, son assassin, Abdelmalek Amellou, sera identifié comme un agent de la SM, commanditaire de l’opération ; Amellou sera pourtant relâché, après intervention à « haut niveau » et pourra regagner Alger sans encombres [26][26] Voir H. Aït-Ahmed, L’Affaire Mécili, La Découverte, ...…).

•Corruption et « rétrocorruption »
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Mais le cœur de ce système complexe de la « Françalgérie » est sans conteste l’argent, celui des « commissions » prélevées par les généraux du « cabinet noir » sur les échanges commerciaux avec l’étranger.

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On le sait, l’économie algérienne est totalement dépendante des exportations de pétrole et de gaz, qui représentent 97 % des exportations (et 60 % des recettes fiscales de l’État). La production nationale de biens de consommation est sinistrée et l’essentiel doit être importé. Depuis les années quatre-vingt, la poignée de généraux qui contrôlent le pouvoir a fait passer à une échelle industrielle le « système des commissions » consistant à prélever à leur profit, par divers mécanismes occultes, 10 % à 15 % de ces flux d’exportation et d’importation [27][27] Voir à ce sujet l’une des très rares études documentées.... Ce que résume sobrement en ces termes l’ancien ministre du Commerce Smaïl Goumeziane : « De l’aveu même du président de la République, le commerce extérieur du pays serait entre les mains de dix à quinze personnes. […] Par ce biais, on estime qu’un milliard et demi à deux milliards de dollars fuient le pays chaque année. En trente ans, ce sont ainsi quelque 30 à 40 milliards de dollars de richesse nationale qui s’en sont allés se loger offshore dans les comptes numérotés de quelques banques internationales vertueuses, ou s’investir hors du pays dans l’hôtellerie, dans l’immobilier ou dans le négoce international [28][28] S. Goumeziane, « Économie algérienne : enjeux et.... »

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Cette corruption est le moteur fondamental de la « sale guerre » que les « décideurs » militaires mènent contre leurs compatriotes : sa fonction première est de briser et d’« éradiquer » tous les germes qui pourraient entraîner le peuple dans une révolution risquant de mettre fin à leurs privilèges et de tarir définitivement les sources de leur fortune. Or, ce « moteur » ne pourrait fonctionner sans complicités en France, premier partenaire commercial de l’Algérie, comme l’a rappelé Lucile Provost : « C’est en premier lieu par rapport à la France, aux firmes françaises, aux intermédiaires qui travaillent avec elles, que le pouvoir algérien organise la mise sous contrôle de l’économie. C’est le plus naturel. Les entreprises françaises sont sur place, les hommes se connaissent. Ce sont donc de véritables réseaux d’influence politico-économiques qui se sont mis en place avec l’ancienne métropole et existent encore aujourd’hui. Les Français ont d’ailleurs bénéficié, comme les Algériens, des retombées de cette économie de la dépendance. Les contrats sur l’Algérie étaient réputés particulièrement rentables, la surfacturation étant couramment de l’ordre de 30 % à 40 %. […] Les liens entre affaires et politique ne se sont jamais démentis, que ce soit à droite ou à gauche [29][29] L. Provost, La Seconde Guerre d’Algérie, Flammarion,.... » Pour dire cela plus brutalement : comme l’a montré l’« affaire Elf » à propos de la Françafrique, il n’est pas concevable que ce système de corruption franco-algérien, fondé sur les commissions, puisse fonctionner depuis plus de vingt ans sans que des « rétrocommissions » venues d’Algérie alimentent les corrupteurs français et les caisses des partis politiques, ainsi encouragés à fermer les yeux. Un système qui, assurément, fonctionne encore en 2002. Malheureusement, il est impossible d’en dire plus, car ce système est sans doute l’un des secrets les mieux gardés de la ve République. Bien sûr, aucune enquête n’a jamais été menée, alors même que les services de renseignement n’ignorent rien des nombreuses propriétés françaises des « janviéristes » et de leurs associés (chaînes de restaurants, hôtels, immeubles, boîtes de nuit, etc.). Et que les bureaux du ministère des Finances connaissent depuis des années les bénéficiaires algériens des commissions versées par les entreprises françaises, puisque celles-ci doivent les déclarer au Trésor pour les déduire de leurs impôts, comme l’a souligné le journaliste belge Baudouin Loos : « La France est l’un des rares pays européens à autoriser le versement de commissions par ses entreprises dans les transactions commerciales internationales [30][30] B. Loos, « L’Europe et l’Algérie », Institut européen.... »

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Le sang de dizaines de milliers d’Algériens a été versé pour que ce système de corruption perdure à l’abri du secret. On comprend donc que ceux qui cherchent à le percer risquent leur vie. L’exemple emblématique en est – rien moins – celui du président Mohammed Boudiaf, assassiné le 29 juin 1992 : il est désormais attesté que les généraux du « cabinet noir », qui l’avaient convaincu de prendre la tête de l’État après le putsch de janvier 1992, ont organisé son assassinat parce qu’il avait décidé d’enquêter en profondeur sur leurs circuits de corruption. Boudiaf avait envoyé à Paris, en juin 1992, cinq officiers de confiance pour obtenir du Premier ministre Pierre Bérégovoy les informations détenues par ses services sur ces circuits et leurs bénéficiaires [31][31] Mouvement algérien des officiers libres (MAOL), «.... Fin de non recevoir. De retour à Alger, les cinq hommes ont été assassinés, bien sûr par des « islamistes »… Quelques jours après, c’était le tour de Boudiaf lui-même. Dix ans plus tard, rien n’a bougé sur ce plan, le secret reste bien gardé. Mais l’Algérie est exsangue, et le « système » est au bout du rouleau, au point que ses protagonistes, après les révélations des livres et des films de 2000-2001, se déchirent (clan Belkheir contre clan Tewfik) au grand jour, non sans relancer les tueries aveugles d’islamistes manipulés pour tenter de donner le change.

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Il est plus que probable, dans ce contexte, que des « traîtres » commencent à « lâcher le morceau » pour se préserver. Et dès lors, on peut parier sans risque que, si la vérité sur la « Françalgérie » éclate, cela deviendra en France un scandale politique majeur, au côté duquel l’« Affaire Elf » fera figure de bluette… Le seul vœu qui puisse être formulé, dans cette perspective, est que cela permette d’engager l’indispensable nettoyage des réseaux de la « Françalgérie », dont les membres français (politiques et hommes d’affaires) ont permis trop longtemps aux généraux d’Alger d’agir impunément. •

     

 

La recolonisation de l'Algérie - Conférence de Lounis Aggoun 5/5

 

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