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Abnormal Report
2 août 2017

Le génocide du peuple algérien et rwandais par la France-Israel de Mitterrand !

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Source: Externe

La France et la politique d'éradication algérienne

de destruction et diabolisation de l'islam

et génocide des africains

 

FrancAlgérie : crimes et mensonges d'Etat 1ere partie

 

 

 

C'est l'une de ces zones d'ombre de l'histoire récente de la France, l'une de ces plaies mal refermées qui nourrissent guerres idéologiques et anathèmes. Une de ces passions françaises qui enflamment régulièrement intellectuels, politiques et militants. Elle tient en une question, simple et terrible à la fois : la France porte-t-elle une part de responsabilité dans le génocide rwandais qui fit 800 000 morts en un mois ?

Bientôt dix-huit ans après, la question reste le sujet de violentes controverses qui en disent au moins autant sur les fractures politiques et intimes de la France que sur le génocide de 1994 lui-même.

Quel événement récent suscite des positions aussi tranchées, des haines aussi personnelles, ou déclenche pareille fureur verbale ? Ni la Bosnie ni le Kosovo. Il faut probablement remonter à la guerre d'Algérie - ou se référer, dans une moindre mesure, à la question palestinienne - pour trouver des accusations d'une telle gravité, un tel fossé entre deux camps, que l'on pourraitcaricaturer sous les traits de "l'anti-France" contre la "France éternelle".

A propos du Rwanda, le journaliste Pierre Péan cloue au pilori Bernard Kouchner, adepte d'un "cosmopolitisme anglo-saxon droit-de-l'hommiste et néolibéral". En face, le journaliste Patrick de Saint-Exupéry, ancien grand reporter au Figaro, fondateur de la revue XXI accuse : "Des soldats de notre pays ont formé, sur ordre, les tueurs du troisième génocide du XXe siècle."

Le crime et l'accusation sont si énormes que certains acteurs ont pu paraître perdre la raison dans leur quête d'une vérité définitive. Journalistes et militants associatifs transformés en enquêteurs de police judiciaire, juges qui se prennent pour des historiens, historiens qui se piquent de journalisme d'investigation : le Rwanda rend-il fou ?

Il a en tout cas occasionné de sérieux déraillements, tant la volonté de faire coïncider la vérité historique avec des convictions personnelles a viré à l'obsession chez certains. Si la question d'une "complicité" française dans le génocide constitue le véritable épicentre de cette lourde controverse, celle-ci a dérivé, depuis longtemps, vers une autre question essentielle, spectaculaire mais terriblement simplificatrice au regard du génocide lui-même : qui a abattu, le 6 avril 1994, l'avion du président rwandais Juvénal Habyarimana, un Hutu ? Comme si cet événement qualifié par certains de "déclencheur ", avait fini par prendre la place du génocide lui-même.

Or l'enquête judiciaire menée par le juge français Marc Trévidic sur ce crash, qui a marqué le début du génocide des Tutsi, vient de connaître un rebondissement peut-être décisif. En 2006, le juge d'instruction Jean-Louis Bruguière, qui ne s'est jamais rendu au Rwanda, avait désigné comme auteur de l'attentat Paul Kagamé, chef de la rébellion tutsi basée en Ouganda et aujourd'hui président du Rwanda. L'expertise inédite menée à Kigali sous la houlette du juge Trévidic, qui a succédé à Jean-Louis Bruguière, paraît incriminer le camp adverse. Selon son rapport rendu public le 10 janvier, les extrémistes hutu auraient assassiné leur propre président, soupçonné d'avoir accepté de partager le pouvoir avec le camp adverse lors d'un sommet, à Arusha (Tanzanie), d'où il rentrait, ce 6 avril.

 

     

Le système de la Françalgérie est sans doute un des secrets les mieux gardés de la ve République. C’est un système complexe dont le cœur est l’argent, celui des « commissions » prélevées par les généraux du « cabinet noir » sur les échanges commerciaux avec l’étranger.

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Depuis 1999, le voile d’opacité recouvrant l’atroce guerre civile qui ensanglante l’Algérie depuis 1992 commence à se déchirer. Après les documentaires de France 2 sur le massacre de Bentalha et de Canal Plus sur l’assassinat du chanteur Matoub Lounès [1][1] J.-B. Rivoire et J.-P. Billault, Bentalha, autopsie..., après les livres de Nesroulah Yous et du lieutenant Habib Souaïdia [2][2] N. Yous, Qui a tué à Bentalha ?, La Découverte, ..., d’autres témoignages ont confirmé, et au-delà, ce qu’attestaient déjà ces documents : la responsabilité écrasante, dans cette tragédie interminable, des hauts responsables de l’armée (dirigée par le général Mohammed Lamari) et des services secrets (le Département de renseignement et de sécurité, DRS, successeur de la Sécurité militaire [3][3] Sur le rôle de la SM, voir l’impressionnant dossier..., dirigé par les généraux Mohamed Médiène, dit « Tewfik », et Smaïl Lamari, dit « Smaïn »). Avec les généraux Larbi Belkheir et Khaled Nezzar, les véritables « parrains », ce sont eux que l’on a appelé les « janviéristes », car ils ont été les organisateurs du coup d’État de janvier 1992.

•La manipulation de la violence islamiste
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Deux de ces témoignages, émanant d’anciens officiers du DRS, ont particulièrement frappé l’opinion. Celui du colonel Mohamed Samraoui, d’abord, qui, lors d’une longue interview à la chaîne arabe El Djazira, le 5 août 2001, a notamment déclaré, détails à l’appui : « Les GIA [Groupes islamistes armés], c’est la création du pouvoir : ils ont tué des officiers, des médecins, des journalistes et beaucoup d’autres. […] L’intérêt des généraux est d’appliquer la politique de la terreur pour casser les revendications légitimes du peuple, celle de partager le pouvoir. » Celui du commandant Hichem Aboud, ensuite : si son livre La mafia des généraux, paru en février 2002, pèche souvent par omission, il n’en contient pas moins de nombreuses révélations qui confirment les nombreux témoignages délivrés depuis 1994 dans la presse occidentale, jusque-là anonymement, par d’anciens membres des forces de sécurité.

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Il explique ainsi, notamment : « Comment ces généraux, qui disent sortir des grandes écoles de guerre françaises et russes, n’arrivent-ils pas en dix ans à éliminer des bandes armées commandées par des tôliers, des marchands de poulets et autres repris de justice ? […] Ce n’est plus un secret pour personne : le terrorisme intégriste est leur produit, leur instrument et leur allié le plus sûr pour maintenir leur domination sur le peuple algérien. La politique de l’infiltration et de la manipulation est l’arme absolue utilisée par les services du général Tewfik. Les groupes terroristes sont créés et dissous au gré des conjonctures et des événements [4][4] H. Aboud, La mafia des généraux, Lattès, 2002, ... […].

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L’intégrisme n’a jamais constitué un ennemi pour la mafia des généraux. Bien au contraire, ils s’en servent pour perpétuer leur pouvoir, perpétrer leurs crimes et réprimer toute opposition à leurs desseins. Que d’assassinats, commis à la faveur de cette ambiance marquée par la violence et le terrorisme, et mis sur le compte des GIA, qui n’est en fait qu’un produit sorti de leurs laboratoires [5][5] Idem, p. 186. […].

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Évidemment, l’énumération des assassinats commis par la mafia des généraux ne peut absoudre les groupes islamiques armés de leurs crimes. Cependant, il est utile de rappeler qu’une fraction de ces groupes est la création des services dirigés par le général-major Tewfik [6][6] Ibid., p. 192. […]. Il faut rappeler que les GIA se distinguent par l’absence d’un commandement unifié. Plusieurs bandes de criminels repris de justice ont pris eux aussi l’étiquette GIA pour perpétrer vols, racket, viols et assassinats. Cependant, les GIA de Djamel Zitouni et de ses successeurs sont, sans le moindre doute, l’œuvre du duo Tewfik-Smaïl [7][7] Ibid., pp. 194-195.. »

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On peut être certain que d’autres témoignages de ce type viendront, à l’avenir, compléter ce tableau, même si les généraux d’Alger ne ménagent aucun effort pour effacer les traces de leurs crimes, notamment en liquidant régulièrement ceux qu’ils ont chargé de les commettre et qui « en savent trop ».

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Dans ce contexte, seuls ceux, désormais très minoritaires, qui ont choisi de se boucher yeux et oreilles peuvent continuer à croire que la tragédie algérienne ne s’explique que par la lutte sans merci, comme on nous le raconte depuis dix ans, entre des « démocrates sincères » et des islamistes « afghans ». D’ailleurs, ces dernières années, les analyses n’avaient pas manqué, expliquant comment la dérive dans la folie sanguinaire du « cabinet noir » algérien s’inscrivait dans une tradition historique de manipulation de la violence [8][8] Voir notamment : L. Addi, « L’armée algérienne confisque....

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On peut comprendre que l’opinion occidentale – et française en particulier –, abusée par une entreprise de désinformation à large échelle (j’y reviendrai), a pu pendant si longtemps rester relativement indifférente au drame à huis clos qui se déroule à deux heures d’avion de Paris. En revanche, cette explication ne tient pas pour les gouvernements français qui se sont succédé dans la période : ceux-ci sont en effet parfaitement informés, par les services de renseignement (DST et DGSE), de la nature réelle de la « sale guerre », de la torture généralisée, des « escadrons de la mort », de l’amnistie de fait accordée aux terroristes par la loi de « concorde civile » (1999), de la misère dans laquelle a été plongée la population, de la corruption qui gangrène le corps social et permet à une infime minorité de s’enrichir scandaleusement. La DGSE dispose de longue date de moyens d’écoute sophistiqués qui lui permettent d’intercepter les communications des forces de sécurité algériennes ; quant à la DST, ses liens « historiques » avec la SM lui ont toujours assuré un excellent niveau d’information sur les actes et les motivations de ses interlocuteurs. Et au-delà, les liens entre responsables politiques et économiques des deux pays sont permanents : il n’est pas exagéré de dire que pour les véritables dirigeants algériens, la capitale de leur pays est Paris, où certains séjournent presque plus souvent qu’à Alger…

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Mais alors, pourquoi le silence de la France, « patrie des droits de l’homme » ? Pourquoi, comme l’indiquait un récent appel d’intellectuels européens et algériens, tout au long de ces années, les autorités françaises et européennes ont-elles « préféré “faire comme si…”. Comme si les gouvernements successifs issus depuis 1992 de coups de force ou d’élections truquées représentaient authentiquement la démocratie algérienne. Comme si la lutte contre les groupes armés islamistes, à quelques “bavures” près, avait été menée avec les armes du droit. Comme si l’économie algérienne était une économie “normale” [9][9] « L’Algérie après le 11 septembre : et les droits de... » ?

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La réponse à cette question n’est pas simple et implique plusieurs niveaux d’explication étroitement imbriqués, que l’on pourrait résumer en cinq actes : complicité historique, cynisme d’État, chantage au terrorisme, agit-prop médiatique, corruption et « rétrocorruption ».

•Complicité historique et cynisme d’État
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Le premier facteur est d’ordre contextuel. Il tient aux liens étroits qui se sont tissés depuis l’indépendance entre les dirigeants algériens et les dirigeants français. À droite, les gaullistes ont su, par-delà les tensions périodiques, entretenir des relations solides avec Alger, sur fond d’intérêts communs bien compris, de l’exploitation des hydrocarbures au front anti-américain sur la scène internationale. Les partis de la gauche officielle (PCF et PS), quant à eux, avaient à se faire pardonner leur attitude durant la guerre de libération, lors de laquelle ils avaient soutenu la violence d’État contre les « moudjahidine », ce qui explique le constat dressé par l’historien (et ancien militant du PSU) Bernard Ravenel, dans un article remarquablement documenté : « Dans la décennie 1971-1981, la gauche française tout entière a donné son soutien acritique au système de pouvoir construit par Boumediene. Ce faisant, elle lui a attribué un surcroît de légitimité. […] En se limitant pour l’essentiel au niveau de relation acritique d’État à État, la gauche française, avec des nuances mais globalement au moins jusqu’en 1988, a légitimé le système de pouvoir algérien. À ce titre, elle a sa part de responsabilité dans les malheurs et les drames d’aujourd’hui [10][10] B. Ravenel, « La gauche française au miroir de l’Algérie.... » Enfin, il ne faut pas oublier les véritables liens d’amitié qui ont pu se nouer, pendant la guerre d’Algérie, entre la minorité de gauche et d’extrême gauche qui apporta courageusement son soutien au FLN, et ses dirigeants de l’époque. Des liens souvent gardés intacts et qui ont pu jouer un rôle important dans le soutien apporté par la France à l’Algérie officielle ces dernières années, et dans l’aveuglement d’une partie de la gauche intellectuelle sur la vraie nature du pouvoir militaire.

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Le deuxième niveau d’explication est celui que l’on peut parfois entendre dans les salons feutrés du Quai d’Orsay : l’Algérie est un fournisseur important de la France et de plusieurs États de l’Union européenne pour le gaz et le pétrole, et il est donc important, pour assurer la sécurité de ces approvisionnements, qu’elle ne soit pas « déstabilisée » par l’islamisme radical. D’autant qu’une telle déstabilisation aurait un « effet domino » sur les deux pays voisins, Maroc et Tunisie, où la « menace islamiste » est également présente. Cette crainte était très forte en 1989-1991, au moment de la montée en puissance du Front islamique de salut (FIS), au point que l’armée française décida en 1991 des manœuvres militaires sur les côtes languedociennes, sur le thème : comment faire face à un afflux de « boat people » algériens chassés par une dictature islamiste ? La version moins euphémisée de cette doctrine, comme le relevait l’appel précité, est la suivante : « Face au “péril vert”, mieux vaut soutenir des militaires notoirement corrompus et sanguinaires (c’est la “doctrine Nixon” : “C’est un fils de pute, mais c’est notre fils de pute”, appliquée au cas du dictateur chilien Pinochet) ». Mais cette explication, si elle joue à l’évidence un rôle, est loin d’être la plus décisive. À elle seule, elle ne saurait en effet justifier un soutien aussi constant et déterminé à l’une des dictatures les plus brutales de ces dernières décennies. D’une certaine façon, il s’agit surtout d’un discours de justification – parfois sincère, parfois franchement cynique – principalement porté par le « deuxième cercle » du pouvoir : celui des « experts », intellectuels et journalistes influents fascinés par la raison d’État.

•Chantage au terrorisme
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Au sein du « premier cercle » des décideurs politiques français, d’autres raisons jouent un rôle plus important. La première est certainement le chantage au terrorisme exercé sur la France par les généraux d’Alger, surtout depuis 1994.

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Rappelons les faits, tels que les évoquait en 1996 Lucile Provost : « Depuis septembre 1993, date à laquelle deux géomètres français avaient été tués dans l’ouest de l’Algérie, les attentats dirigés contre la France n’ont pas cessé. Certains ont été particulièrement spectaculaires comme l’enlèvement de trois fonctionnaires consulaires à Alger en octobre 1993, le meurtre de cinq agents de l’ambassade (dont trois gendarmes) par un commando armé en août 1994, ou le détournement d’un Airbus d’Air France en décembre 1994. Les attentats sur le sol français à l’été et à l’automne 1995 sont ensuite venus nourrir les craintes d’une exportation de la violence. Après une demi-année de relative tranquillité, le rapt puis l’exécution en mai 1996 de sept moines, dans la région de Médéa, suivis de l’assassinat de Monseigneur Pierre Claverie, évêque d’Oran, le 1er août 1996, ont montré encore une fois que ni le régime ni les groupes armés n’avaient renoncé à faire de la France un des enjeux de leur lutte [11][11] L. Provost, « Poursuite de la violence, impasses.... » La plupart de ces crimes ont été attribués aux Groupes islamistes armés. Pourtant, les informations qui ont filtré depuis montrent qu’ils relèvent pour l’essentiel d’une « stratégie de la tension » mise en œuvre par les Services algériens, par islamistes manipulés interposés, pour faire pression sur la France et prévenir toute tentation de sa part de leur retirer son soutien.

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Plusieurs phases peuvent être distinguées. Dans les premières années (1993-1994), le moins qu’on puisse dire est que prévaut une certaine confusion, révélatrice des rapports tordus entretenus de longue date entre Services français et algériens. Il est en effet pratiquement établi que les actions les plus spectaculaires contre la France attribuées aux GIA dans cette période sont le résultat de manipulations, parfois élaborées en commun entre la SM et certaines branches des Services français, dans le but de « conduire les autorités françaises à s’engager résolument aux côtés de l’État algérien dans la logique de répression [12][12] Selon les termes de Jocelyne Césari, chercheuse au... ». Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Charles Pasqua, aurait ainsi joué un rôle clé dans l’affaire du « vrai-faux enlèvement » des trois fonctionnaires du consulat français, Jean-Claude et Michèle Thévenot et Alain Fressier, séquestrés le 24 octobre 1993, puis relâchés, par un commando « islamiste » dirigé par un certain Sid Ahmed Mourad (alias Djaafar el-Afghani) : le récit circonstancié de cet épisode par les journalistes Roger Faligot et Pascal Krop n’a fait l’objet d’aucun démenti [13][13] R. Faligot et P. Krop, DST police secrète, Flammarion,.... Cette affaire a en tout cas été le prétexte de l’« opération chrysanthème » du 4 novembre 1993, vaste rafle conduite par la police dans les milieux islamistes de l’Hexagone. De même, à la suite de l’assassinat de cinq Français le 5 août 1994, dix-sept militants et sympathisants islamistes ont été assignés à résidence à Folembray, dans l’Aisne. Et le 12 août 1994, les GIA exigeaient l’arrêt de « tout appui » de Paris au pouvoir algérien, faute de quoi ils menaçaient de « frapper violemment les intérêts français ». L’affaire de l’Airbus, en décembre de la même année, s’inscrit clairement dans cette séquence et relève plus que probablement d’une autre manipulation du DRS.

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En 1995, on change de registre, car les plus hauts responsables politiques français semblent considérer que les généraux algériens sont allés trop loin. Et ils commencent à mesurer leur soutien. La riposte des « groupes islamistes de l’armée » (comme les appelle la rue algérienne, depuis des années) est brutale : du 25 juillet au 17 octobre, sept attentats à la bombe, à Paris (RER Saint-Michel, place de l’Étoile, boulevard Richard-Lenoir, métro Maison-Blanche, RER Musée d’Orsay) et dans la région lyonnaise, tuent dix personnes et font des dizaines de blessés. Dans cette période, on apprend que l’« émir » des GIA, Djamel Zitouni, a adressé, le 19 août, une lettre au président de la République Jacques Chirac l’invitant « à se convertir à l’Islam pour être sauvé » et que, par un communiqué du 7 octobre, il a menacé la France de nouvelles « frappes militaires ». Les autorités françaises reçoivent ces « messages » cinq sur cinq, comme le reconnaît prudemment, dès juillet 1995, un conseiller du Premier ministre Alain Juppé : « C’est sans aucun doute le travail des islamistes. Mais qui est derrière eux ? Peut-être un clan de la Sécurité militaire algérienne ou du pouvoir qui voudrait nous entraîner comme allié dans leur combat contre le terrorisme [14][14] Cité par C. Angéli et S. Mesnier, Sale temps pour... ? »

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Certains responsables français se poseront cette même question après le martyre des sept moines de Tibhérine en mai 1996. Henri Tincq, le journaliste chargé des questions religieuses au quotidien Le Monde, s’en fera l’écho dans une enquête publiée en juin 1998 : « La version officielle de la responsabilité unique de groupes islamiques armés est mise en doute, aussi bien dans des cercles ecclésiastiques à Rome que par d’anciens officiers de la sécurité algérienne. Selon des témoignages récents, la sécurité avait infiltré les ravisseurs des moines et, parce qu’elle n’aurait pas supporté que les services français entrent eux-mêmes en contact avec les islamistes, l’affaire aurait mal tourné [15][15] H. Tincq, « La sécurité algérienne pourrait être.... »

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Ces doutes, le leader socialiste Lionel Jospin les exprimera plus globalement, en janvier 1997, cinq mois avant sa nomination au poste de Premier ministre. Celui qui est alors le chef de l’opposition de gauche déclare, très lucidement, évoquant le drame algérien : « On continue à hésiter entre le risque de l’indifférence et celui de l’engrenage si on s’exprime trop clairement. Voilà, je crois, les raisons du silence. […] Il n’est pas question d’une capitulation devant des forces qu’on peut à peine identifier, mais nous devons dire que nous ne sommes pas prêts, pour autant, à soutenir le pouvoir algérien quoi qu’il fasse. […] Un gouvernement, qu’il soit de droite ou de gauche en France, peut se demander si certains, ici ou là, ne pourraient pas être tentés de frapper si nous nous exprimions plus nettement. […] On peut certes espérer qu’en ne disant rien on sera moins touché. Mais on peut aussi se dire que, si le conflit ne trouve pas de solution, l’accumulation de ces violences est lourde de conséquences pour le futur. Il faut donc faire des choix [16][16] Interview à Libération, 27/01/1997.… »

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Et pourtant, en septembre 1997, trois mois après son entrée en fonction et quelques jours après les grands massacres de civils à Raïs et Sidi-Youcef, le même Lionel Jospin déclare : « Même si nous ressentons un sentiment d’horreur et de compassion […], avons-nous toujours à nous sentir coupables ? La France n’est plus responsable de ce qui meurtrit l’Algérie aujourd’hui. Au plan officiel, le gouvernement français est contraint dans son expression [souligné par nous]. Prendrait-il des initiatives qu’elles ne seraient pas reçues, nous le savons [17][17] Interview au Monde, 16/09/1997.. » Ce revirement spectaculaire, rarement relevé à l’époque, s’explique très trivialement : dès la constitution du gouvernement de Lionel Jospin en juin 1997, de discrets émissaires de la SM ont expliqué en substance au Quai d’Orsay et à certains responsables français que si le gouvernement français « s’exprimait plus nettement », il leur serait bien difficile d’empêcher que « certains, ici ou là », soient « tentés de frapper ». En termes plus crus, que les « Groupes islamistes de l’armée » pourraient à nouveau porter leur guerre sur le territoire français. Là encore, le message a été reçu. Et le gouvernement a cédé au chantage. Au lieu de mobiliser la puissance de ses services de police pour traquer les islamistes de l’armée présents sur le territoire français (agents directs de la SM ou militants islamistes manipulés), il a déclenché une opération diplomatique d’envergure, en particulier au sein de l’ONU, pour contrer la revendication d’une « commission d’enquête internationale ».

•Agit-prop médiatique
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Car la manifestation du 10 novembre 1997 à Paris, à l’initiative de l’association « Un jour pour l’Algérie » et de nombreuses ONG, a mis en avant le mot d’ordre de commission d’enquête internationale pour la vérité sur les massacres et les violations des droits de l’homme en Algérie, visant aussi bien le terrorisme islamique que le pouvoir. Des milliers de personnes sont descendues dans la rue, et la manifestation a eu un impact considérable. Face à cette initiative, les militaires algériens ont pris peur : si la pression de l’opinion internationale parvenait à imposer une « opération vérité » susceptible de mettre à jour les manipulations de la violence qu’ils exerçaient depuis des années, la base même de leur pouvoir et de leur richesse risquait d’être gravement ébranlée. Ils ont donc déclenché une contre-offensive d’envergure, leurs alliés civils multipliant les contacts avec des personnalités et des intellectuels français [18][18] Voir F. Gèze et S. Mellah, « Crimes contre l’humanité.... C’est dans ce climat que se sont inscrits un meeting à la Mutualité le 20 janvier 1998 et une émission sur la chaîne franco-allemande Arte, le lendemain, qui ont donné l’un et l’autre un large écho aux thèses des courants « éradicateurs » proches du pouvoir.

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Dès la fin 1997, plusieurs dignitaires du régime (dont Ali Haroun, ancien dirigeant de la Fédération de France du FLN) sont venus discrètement à Paris délivrer la bonne parole à quelques personnalités politiques et intellectuelles, surtout de gauche, jugées influentes. Alors même que les tueries redoublaient (plus de mille victimes dans une série de massacres dans l’Ouest du pays), cette démarche était suivie d’un véritable ballet de visites, officielles ou non, de personnalités françaises et européennes en Algérie (dont Claude Cheysson, Yvette Roudy, Francis Wurtz, Jack Lang), qui toutes sont revenues en affirmant les mêmes convictions : « Il est clair que ce sont les islamistes, ces fous de Dieu, qui tuent [19][19] Yvette Roudy, El Watan, 01/03/1998. », et face à eux, « seule la contre-violence est possible [20][20] Claude Cheysson, L’Express, 22/01/1998. ».

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Les philosophes Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann, les premiers, ont ramené de leur visite des reportages qui ne passeront pas inaperçus [21][21] B.-H. Lévy, « Choses vues en Algérie », Le Monde, ... – et vaudront à leurs auteurs un hommage empoisonné du « parrain » des « janviéristes », le général Khaled Nezzar (« Ils ont par leur courage fait connaître la vérité », écrira-t-il début février dans El Watan, avant d’assurer « ces hommes de courage et de conviction » de « son plus grand respect » et de sa « plus haute considération [22][22] Cité par J.-P. Tuquoi, « Les succès de communication... »).

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Mais l’offensive n’a pas été que médiatique. Ainsi, Jack Lang, le président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, qui réclamait en novembre 1997 la commission d’enquête internationale (c’était le bon sens, disait alors également Bernard-Henri Lévy), a-t-il déclaré trois mois plus tard, curieusement, le contraire. C’est qu’entre-temps Jack Lang a rencontré à Alger les dignitaires du pouvoir, il a donné des interviews lénifiantes dans la presse locale et il est revenu en France, expliquant que la commission d’enquête était inutile. De même, en février 1998, la préparation d’une délégation de parlementaires européens a fait l’objet d’une bagarre feutrée – mais très vive – entre les représentants des ONG de défense des droits de l’homme et les « éradicateurs » algériens et européens (principalement français et belges). Ces derniers ont reconnu certaines « bavures » du pouvoir, tout en soulignant que l’essentiel était de ne pas déstabiliser l’armée, dernier « rempart » contre l’islamisme. Après la visite, la conclusion du président de la délégation sera sans surprise : les forces de sécurité « ne sont pas impliquées dans les massacres mais constituent une armée mal entraînée et mal équipée pour lutter contre les formes mutantes de terrorisme [23][23] Cité par M. Scotto, « Les députés européens qui se... ». Une complaisance que la journaliste algérienne Salima Ghezali, qui venait justement de recevoir du Parlement européen le prix Sakharov des droits de l’homme, jugera en ces termes : « Ainsi l’Europe continue, sans surprise, à ne pas se définir et, en fait, à soutenir le régime algérien à l’instigation de Paris [24][24] Le Soir de Bruxelles, 14/02/1998.. »

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De fait, dans le même temps, les diplomates français s’activeront discrètement et efficacement dans les couloirs de l’ONU pour torpiller définitivement la revendication d’une commission d’enquête internationale pour connaître les commanditaires des massacres, qu’avait pourtant soutenue James Rubin, le porte-parole du Département d’État américain [25][25] Daily Press Briefing released by the Office of the.... Ce sinistre « succès diplomatique » montrait une nouvelle fois à quel point la France donne le « la » au niveau mondial sur le « dossier algérien » : tout se passe comme si, aux yeux des États démocratiques occidentaux, l’Algérie restait, quarante ans après son indépendance, une « affaire intérieure » française.

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Cette remarquable entreprise de verrouillage a enfin été complétée, en France même, par la liquidation « en douceur » des dizaines de comités de solidarité avec l’Algérie qui s’étaient créés à l’époque. Cette opération a été pilotée par les hommes de la Sécurité militaire présents sur le territoire : des militants « éradicateurs » français et algériens, sans doute pas toujours conscients d’être ainsi manipulés, ont été invités par des relais civils de la SM à rejoindre ces comités qui, sous leur influence, ont progressivement abandonné le mot d’ordre de commission d’enquête internationale – parfois au prix de vifs déchirements – et ont presque tous disparu en quelques mois, dans la confusion et le découragement des militants sincères.

•La SM en France
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Cet épisode illustre un autre élément essentiel du fonctionnement de la « Françalgérie » : la France est sans doute la seule grande démocratie au monde à tolérer sur son sol la présence d’une force policière nombreuse d’un État étranger. La SM dispose en effet en France, en permanence, de plusieurs centaines d’agents et de milliers d’indicateurs. Leur rôle premier est la surveillance serrée de la communauté algérienne immigrée. Dans les années post-indépendance, ils l’assuraient sous le couvert de l’Amicale des Algériens en Europe. Depuis les années quatre-vingt, avec l’enracinement des immigrés dans la société française, cette structure est tombée en déshérence, mais la fonction de surveillance, visant à éviter toute structuration d’une opposition au pouvoir dans l’immigration, est toujours une priorité de la SM. Ses agents sont bien sûrs présents dans les dix-huit consulats, mais ils usent aussi de diverses « couvertures » civiles. Traditionnellement coordonnée par un colonel en poste au consulat de Paris, leur action consiste à repérer les opposants, à neutraliser les plus actifs (par la récupération ou les menaces sur la famille restée au pays), à infiltrer et noyauter tous les regroupements, même les plus anodins (c’est ainsi qu’à l’automne 2001, la « branche française » de la SM a réussi à infiltrer et à faire scissionner l’Association des taxis kabyles de Paris, qui commençait à se mobiliser contre la répression en Kabylie…). Ce contrôle policier explique dans une large mesure la crainte dans laquelle vivent les Algériens de France et leur faible mobilisation face aux horreurs que vivent leurs familles restées au pays, dont ils connaissent pourtant parfaitement les responsables. Depuis le début de la « seconde guerre d’Algérie », la SM en France a également joué un rôle actif pour relayer, auprès de la presse et de la classe politique françaises, les opérations de désinformation concoctées dans les bureaux algérois du service d’action psychologique du DRS, dirigé jusqu’à la fin 2001 par le fameux colonel Hadj Zoubir.

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Toutes ces actions sont parfaitement connues des services français de renseignement, et en particulier de la DST, qui entretient de longue date les meilleurs rapports avec la SM (rappelons simplement l’assassinat en plein Paris, le 8 avril 1987, de l’opposant Ali Mécili : arrêté deux mois plus tard par la brigade criminelle, son assassin, Abdelmalek Amellou, sera identifié comme un agent de la SM, commanditaire de l’opération ; Amellou sera pourtant relâché, après intervention à « haut niveau » et pourra regagner Alger sans encombres [26][26] Voir H. Aït-Ahmed, L’Affaire Mécili, La Découverte, ...…).

•Corruption et « rétrocorruption »
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Mais le cœur de ce système complexe de la « Françalgérie » est sans conteste l’argent, celui des « commissions » prélevées par les généraux du « cabinet noir » sur les échanges commerciaux avec l’étranger.

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On le sait, l’économie algérienne est totalement dépendante des exportations de pétrole et de gaz, qui représentent 97 % des exportations (et 60 % des recettes fiscales de l’État). La production nationale de biens de consommation est sinistrée et l’essentiel doit être importé. Depuis les années quatre-vingt, la poignée de généraux qui contrôlent le pouvoir a fait passer à une échelle industrielle le « système des commissions » consistant à prélever à leur profit, par divers mécanismes occultes, 10 % à 15 % de ces flux d’exportation et d’importation [27][27] Voir à ce sujet l’une des très rares études documentées.... Ce que résume sobrement en ces termes l’ancien ministre du Commerce Smaïl Goumeziane : « De l’aveu même du président de la République, le commerce extérieur du pays serait entre les mains de dix à quinze personnes. […] Par ce biais, on estime qu’un milliard et demi à deux milliards de dollars fuient le pays chaque année. En trente ans, ce sont ainsi quelque 30 à 40 milliards de dollars de richesse nationale qui s’en sont allés se loger offshore dans les comptes numérotés de quelques banques internationales vertueuses, ou s’investir hors du pays dans l’hôtellerie, dans l’immobilier ou dans le négoce international [28][28] S. Goumeziane, « Économie algérienne : enjeux et.... »

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Cette corruption est le moteur fondamental de la « sale guerre » que les « décideurs » militaires mènent contre leurs compatriotes : sa fonction première est de briser et d’« éradiquer » tous les germes qui pourraient entraîner le peuple dans une révolution risquant de mettre fin à leurs privilèges et de tarir définitivement les sources de leur fortune. Or, ce « moteur » ne pourrait fonctionner sans complicités en France, premier partenaire commercial de l’Algérie, comme l’a rappelé Lucile Provost : « C’est en premier lieu par rapport à la France, aux firmes françaises, aux intermédiaires qui travaillent avec elles, que le pouvoir algérien organise la mise sous contrôle de l’économie. C’est le plus naturel. Les entreprises françaises sont sur place, les hommes se connaissent. Ce sont donc de véritables réseaux d’influence politico-économiques qui se sont mis en place avec l’ancienne métropole et existent encore aujourd’hui. Les Français ont d’ailleurs bénéficié, comme les Algériens, des retombées de cette économie de la dépendance. Les contrats sur l’Algérie étaient réputés particulièrement rentables, la surfacturation étant couramment de l’ordre de 30 % à 40 %. […] Les liens entre affaires et politique ne se sont jamais démentis, que ce soit à droite ou à gauche [29][29] L. Provost, La Seconde Guerre d’Algérie, Flammarion,.... » Pour dire cela plus brutalement : comme l’a montré l’« affaire Elf » à propos de la Françafrique, il n’est pas concevable que ce système de corruption franco-algérien, fondé sur les commissions, puisse fonctionner depuis plus de vingt ans sans que des « rétrocommissions » venues d’Algérie alimentent les corrupteurs français et les caisses des partis politiques, ainsi encouragés à fermer les yeux. Un système qui, assurément, fonctionne encore en 2002. Malheureusement, il est impossible d’en dire plus, car ce système est sans doute l’un des secrets les mieux gardés de la ve République. Bien sûr, aucune enquête n’a jamais été menée, alors même que les services de renseignement n’ignorent rien des nombreuses propriétés françaises des « janviéristes » et de leurs associés (chaînes de restaurants, hôtels, immeubles, boîtes de nuit, etc.). Et que les bureaux du ministère des Finances connaissent depuis des années les bénéficiaires algériens des commissions versées par les entreprises françaises, puisque celles-ci doivent les déclarer au Trésor pour les déduire de leurs impôts, comme l’a souligné le journaliste belge Baudouin Loos : « La France est l’un des rares pays européens à autoriser le versement de commissions par ses entreprises dans les transactions commerciales internationales [30][30] B. Loos, « L’Europe et l’Algérie », Institut européen.... »

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Le sang de dizaines de milliers d’Algériens a été versé pour que ce système de corruption perdure à l’abri du secret. On comprend donc que ceux qui cherchent à le percer risquent leur vie. L’exemple emblématique en est – rien moins – celui du président Mohammed Boudiaf, assassiné le 29 juin 1992 : il est désormais attesté que les généraux du « cabinet noir », qui l’avaient convaincu de prendre la tête de l’État après le putsch de janvier 1992, ont organisé son assassinat parce qu’il avait décidé d’enquêter en profondeur sur leurs circuits de corruption. Boudiaf avait envoyé à Paris, en juin 1992, cinq officiers de confiance pour obtenir du Premier ministre Pierre Bérégovoy les informations détenues par ses services sur ces circuits et leurs bénéficiaires [31][31] Mouvement algérien des officiers libres (MAOL), «.... Fin de non recevoir. De retour à Alger, les cinq hommes ont été assassinés, bien sûr par des « islamistes »… Quelques jours après, c’était le tour de Boudiaf lui-même. Dix ans plus tard, rien n’a bougé sur ce plan, le secret reste bien gardé. Mais l’Algérie est exsangue, et le « système » est au bout du rouleau, au point que ses protagonistes, après les révélations des livres et des films de 2000-2001, se déchirent (clan Belkheir contre clan Tewfik) au grand jour, non sans relancer les tueries aveugles d’islamistes manipulés pour tenter de donner le change.

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Il est plus que probable, dans ce contexte, que des « traîtres » commencent à « lâcher le morceau » pour se préserver. Et dès lors, on peut parier sans risque que, si la vérité sur la « Françalgérie » éclate, cela deviendra en France un scandale politique majeur, au côté duquel l’« Affaire Elf » fera figure de bluette… Le seul vœu qui puisse être formulé, dans cette perspective, est que cela permette d’engager l’indispensable nettoyage des réseaux de la « Françalgérie », dont les membres français (politiques et hommes d’affaires) ont permis trop longtemps aux généraux d’Alger d’agir impunément. •

 

 

  La femme de Mitterand était issue d'une famille juive cosaque originaire de Turquie et avait la nationalité israélienne comme Attali ou Sarkozy ou Hollande.

 

   Le fils de Mitterand aurait personelement abattu l'avion président Kagamé avec un missile méthode utilisé par Mitterand pour abattre l'hélicopère de Thierry Sabine lors du Paris Dakar et le chanteur Daniel Balavoine?

 La famille Mitterand franco-israélienne aurait financé radio milles collines appelant au génocide des Tutsis et l'assemblée nationale aurait voté l'achat des machettes !

Les deux "vérités" judiciaires, diamétralement opposées, que la même procédure semble avoir tour à tour établies, reflètent les thèses inconciliables défendues par les deux camps en présence dans le débat public français.

Les uns avaient applaudi le juge Bruguière. Pour eux, aucun doute : la France n'a rien à se reprocher. C'est Paul Kagamé qui, en assassinant le président hutu Habyarimana, a déclenché le massacre de ses frères tutsi.

Les autres mettent tous leurs espoirs dans la nouvelle enquête du juge Trévidic : la désignation des extrémistes hutu - dont certains cadres militaires furent formés et encadrés par Paris de 1990 à 1994 - comme auteurs de l'attentat, exonère les rebelles tutsi du Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagamé, en guerre contre le régime Habyarimana depuis 1990. Cette autre "vérité" laisse planer l'hypothèse d'une complicité de la France dans l'événement qui donna le signal du génocide.

La controverse inclut la question du lien entre l'attentat et le génocide. Curieusement, la focalisation sur un crash qui a fait douze victimes, a presque fini par reléguer au second plan le massacre de 800 000 personnes. Alors que les historiens ont établi que l'extermination de la minorité tutsi avait été préparée (établissement de listes, appels radiophoniques à l'élimination,formation des milices extrémistes hutu Interahamwe qui ont joué un rôle majeur dans le génocide), les pro-Bruguière tendent à faire de l'attentat la cause essentielle, voire unique, des massacres, qui auraient débuté "en réaction".

Insensiblement, le mystère de l'attentat s'est transposé en mystère sur les auteurs du génocide. Convaincus de la culpabilité de Paul Kagamé dans l'assassinat du président, ceux qui refusent de mettre en cause la France le désignent comme le responsable du génocide de son propre peuple. L'actuel président aurait sacrifié les Tutsi de l'intérieur pour conquérir le pouvoir, comme l'expliquait le juge Bruguière dans son ordonnance de novembre 2006, qui, sortant du cadre judiciaire développait une analyse historique aux allures de pamphlet.

La controverse s'est même déplacée à la période actuelle : les contempteurs du rôle de la France ont tendance à défendre Paul Kagamé et à fermer les yeux sur son inquiétante dérive autoritaire. Celle-ci est au contraire mise en avant par les défenseurs de l'armée française pour appuyer, a posteriori, la responsabilité de l'actuel homme fort de Kigali dans la tragédie de 1994.

Les officiers français engagés au Rwanda et leurs relais politiques et médiatiques, comme Bernard Debré, Hubert Védrine ou Pierre Péan, exècrent l'actuel régime Kagamé. Et n'ont guère apprécié que Nicolas Sarkozy, poussé par son chef de la diplomatie Bernard Kouchner, renoue avec lui en reconnaissant, à Kigali en février 2010, "des erreurs d'appréciation, des erreurs politiques". Alain Juppé, ministre des affaires étrangères en 1994 et mis en cause par Kigali, y a vu un lâchage mortifiant.

Ces deux "versions de l'histoire" ont fini par dessiner deux camps inconciliables, porteurs, chacun, d'une vision du rôle et de la place de la France en Afrique, dans le monde et dans l'histoire. Toutes proportions gardées, l'affaire rwandaise évoque la guerre d'Algérie. Elle soulève des questions comparables : l'articulation entre l'Etat républicain et l'armée ; l'euphémisation d'une véritable guerre coloniale en "opérations de maintien de l'ordre" (Algérie) ou en "soutien à un régime ami attaqué par des rebelles" (Rwanda) ; la rivalité avec les Anglo-Saxons sur le continent africain, connue sous le nom de "syndrome de Fachoda", du nom de l'incident diplomatique survenu au Soudan en 1898, et considéré comme le symbole de l'humiliation de la France par la Grande-Bretagne.

Immenses tragédies humaines, les deux événements ont aussi en commun de s'être achevés en fiasco, par une sévère perte d'influence de Paris dans l'une de ses zones stratégiques. Enfin, un acteur majeur traverse les deux périodes : François Mitterrand. Ses ambiguïtés et ses zones d'ombre, en Algérie comme au Rwanda, brouillent la classique division gauche-droite, d'autant que la tragédie rwandaise est intervenue en pleine cohabitation.

Pour schématiser, les anti-Kagamé regroupent les tenants d'une France civilisatrice et sans reproche, assiégée par l'impérialisme anglo-saxon, chargée d'une mission particulière en Afrique. Les tenants de la responsabilité de la France dans le génocide rwandais insistent, au contraire, sur la tradition contre-insurrectionnelle de son armée, de l'Indochine au Rwanda en passant par l'Algérie et le Cameroun (Une guerre noire, Gabriel Périès et David Servenay, La Découverte, 2007), mais aussi sur la complaisance de ses élites politiques envers le fait colonial ou son avatar contemporain, la Françafrique.

Ainsi, François-Xavier Verschave, longtemps président de l'organisation non gouvernementale Survie, disparu en 2005, a activement lutté pour dénoncer le rôle de la France au Rwanda, avec l'aide de la militante associative Sharon Courtoux. Certains contempteurs de la France officielle vont jusqu'à souligner la constante ambiguïté de François Mitterrand et d'une certaine élite française envers la Shoah, qu'ils considèrent comme le premier génocide auquel la France a été mêlée.

Si les polémiques suscitées par les interventions françaises au Rwanda soulèvent de tels enjeux historiques, les motivations de ceux qui militent d'un côté ou de l'autre traduisent des lignes de fracture tant idéologiques qu'intimes. Pour certains, le génocide des Tutsi renvoie à une expérience personnelle traumatisante. C'est le cas de journalistes et d'humanitaires qui, présents au coeur du drame, ont souffert du syndrome de "Fabrice à Waterloo" (se trouver au milieu du carnage mais ne pas en saisir la dimension sur le moment) et de leur propre impuissance.

"Face à l'ampleur du crime, à l'absolu du génocide, le témoin est conduit à se placer en exigence d'être, lui aussi, un témoin absolu. Mais il ne le peut, écrit Patrick de Saint-Exupéry dans la revue Controverses en novembre 2007, à propos de son travail au Rwanda pour Le Figaro en 1994. (...) Il reste un témoin fragmentaire : quand il voit, il ne voit jamais assez. Il n'a vu (...) que des scènes, qu'un momentIl n'a pas vu la machine de mort à l'oeuvre à l'échelle du pays entier." Depuis lors, ses souvenirs de la colline de Bisesero, refuge des Tutsi assiégés, que l'armée française aurait intentionnellement tardé à secourir selon lui, ne cessent de hanter l'ancien reporter. Son enquête approfondie sur le génocide et l'implication de Paris, publiée en 1998, a été à l'origine de la mission d'information parlementaire mise en place par le député socialiste Paul Quilès. La mission a conclu à des "erreurs d'appréciation" et des "dysfonctionnements institutionnels", mais pas à une culpabilité de la France.

Lorsque Patrick de Saint-Exupéry entend, en 2003, Dominique de Villepin, alors ministre des affaires étrangères et directeur de cabinet d'Alain Juppé en 1994, parler, au pluriel, des"génocides rwandais", induisant l'idée de massacres réciproques entre Hutu et Tutsi, il reprend la plume. Sa colère contre ce "révisionnisme" d'Etat s'exprime dans un pamphlet, à vif et au vitriol, L'Inavouable. La France au Rwanda (Les Arènes, 2004). En 2009, dans la réédition augmentée de son ouvrage (Complices de l'inavouable), il dresse la liste de ceux - ministres, hauts fonctionnaires, militaires - qui ont trempé, selon lui, dans le crime des crimes au Rwanda.

De cette blessure intime, de cette forme de culpabilité ressentie par les témoins, a pu naître une forme de militantisme thérapeutique à base d'anti-impérialisme et de solidarité avec les victimes, ou de mémoire personnelle. "J'ai su au Rwanda pourquoi les juifs étaient morts, a confié Bernard Kouchner qui, au Quai d'Orsay, a oeuvré au rapprochement Kagamé-Sarkozy. J'ai marché dans les bouillies humaines, cheminé sur des crânes frais (...). Je ne pourrai jamais fermer les yeux sans revoir les milliers de prisonniers tutsi entassés. Au retour du Rwanda, je me suis tu pendant plus de cinq ans. Je ne pouvais pas raconter ce que j'avais vu."

Le cinéaste Jean-Christophe Klotz, parti accompagner Bernard Kouchner à Kigali en plein génocide, a réalisé, en 2006, Kigali, des images contre un massacre, un film documentaire émouvant sur ce qu'il vit comme un échec : "Nous y étions, nous avons filmé, nous avons raconté, mais nous n'avons rien fait", déplore-t-il.

Autre forme de militantisme, Annie Faure, partie pour Médecins sans frontières (MSF) au Rwanda pendant le génocide, a recueilli et porté les plaintes, controversées, de plusieurs femmes tutsi accusant des militaires français de les avoir violées pendant l'opération militaro-humanitaire Turquoise lancée par Paris à la fin du génocide.

Tout comme l'attentat et le génocide lui-même, Turquoise divise : seule tentative de sauver des vies selon les partisans de l'armée française ; ultime tentative pour stopper l'avancée de la guérilla tutsi et sauver le régime hutu, selon ses détracteurs.

Pour d'autres, notamment des journalistes non présents sur place à l'époque, mais très audibles dans les médias actuels, le Rwanda est devenu une formidable caisse de résonance de leur vision du monde"Certains sont tentés de faire entrer leur petite personne dans une histoire qu'ils n'ont pas vécue, dit Christophe Boisbouvier, journaliste à RFI et envoyé spécial de la chaîne au Rwanda, au printemps 1994. L'atrocité du génocide est telle qu'elle permet de faire passer ses idées sur l'armée, sur la France et l'Afrique, sans risquer d'être critiqué, surtout si l'on prétend se placer du côté des victimes. L'horreur laisse les gens bouche bée." Plusieurs médias - RFI, Libération, Le Figaro ainsi que Le Monde - ont été déchirés par des querelles internes.

A l'inverse, la défense de l'armée et de la place particulière de la France en Afrique, l'allergie à la culpabilité post-coloniale ou encore la dévotion à l'égard de François Mitterrand animent le camp des "nationalistes". S'y ajoute parfois un virulent "antisionisme" : le Rwanda et Israël se sont rapprochés et les échanges sur les enjeux mémoriels des génocides sont fréquents entre les deux pays. Accuser Kigali d'instrumentaliser le génocide est une manière d'insinuer la même chose à l'encontre d'Israël. De son côté, l'Union des étudiants juifs de France organise des voyages d'étude au Rwanda, à l'initiative de Benjamin Abtan, de SOS-Racisme, ou de Raphaël Glucksmann, fils du philosophe et réalisateur d'un film à charge pour la France intitulé Tuez-les tous ! (2004).

Le journaliste et enquêteur Pierre Péan est le porte-étendard le plus connu de ceux qui refusent d'accuser la France depuis la parution de son ouvrage Noires fureurs, blancs menteurs (Mille et une nuits, 2005), dans lequel il adhère à la thèse du juge Bruguière. Il affirme qu'une partie des morts tutsi de 1994 sont en fait des Hutu massacrés par le FPR. Le passage du livre attribuant aux Tutsi une "culture du mensonge" a valu à Pierre Péan un procès pour provocation à la haine raciale - qu'il a gagné - à la suite d'une plainte de SOS-Racisme. Pierre Péan dresse aussi une liste de "menteurs" ayant, selon lui, induit sciemment l'opinion en erreur sur les événements du Rwanda. Il compare Paul Kagamé au "Führer (...) devenu directeur de Yad Vashem, le musée de la Shoah"

Le Rwanda est une idée fixe chez Pierre Péan, qui y reviendra dans deux autres ouvrages, Carnages (Fayard, 2010), où il part en guerre contre l'hégémonisme américain en Afrique, puis Le Monde selon K. (Fayard, 2009), dans lequel il éreinte Bernard Kouchner. Le journaliste, qui ne s'est jamais rendu au Rwanda, parcourt la France pour participer à des conférences où il défend des Rwandais accusés d'avoir participé au génocide. Il est devenu une idole des militaires français de l'opération Turquoise, dont le commandant, le général Jean-Claude Lafourcade, a fondé une association de défense et publié un plaidoyer pro-domo, Opération Turquoise (Perrin, 2010).

Dans le camp des défenseurs de la France, se distingue aussi le journaliste africaniste Stephen Smith (ancien de Libération et du Monde, aujourd'hui professeur à l'université de Duke en Caroline du Nord), qui a révélé le contenu de l'enquête Bruguière dès 2004. On y trouve aussi les journalistes souverainistes Philippe Cohen, de Marianne, coauteur avec Pierre Péan d'un livre à charge contre Le Monde, ainsi que Patrick Besson (Le Point). Ce dernier a soutenu la Serbie pendant les guerres d'ex-Yougoslavie, tout comme... François Mitterrand. Pierre Péan, en travaillant sur la biographie de l'ancien président (Une jeunesse française, Fayard, 1994), a pu accéder à ses archives personnelles, dont Hubert Védrine, secrétaire général de l'Elysée en 1994 et farouche défenseur de son action au Rwanda, est le gardien.

Révélateur de passions nationales, la tragédie rwandaise charrie en France comme nulle part ailleurs, bien des considérations sans rapport direct avec le génocide lui-même. Ces controverses reflètent une préférence marquée, même parmi les élites, pour les "vérités" simples. Mais ce paysage chaotique est aussi largement lié aux errements de l'enquête judiciaire sur l'attentat de Kigali. Il est donc à souhaiter qu'une vérité scientifique soit établie sur ce point par le juge Trévidic. Cela suffira-t-il pour autant à exonérer la France, ses politiques et son armée d'un devoir de transparence sur cet autre "passé qui ne passe pas" ?


En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/01/26/rwanda-une-passion-francaise_1635085_3212.html#eKCB5bKQKV3h1ep6.99
 

La "Revue XXI" dévoile le témoignage d'un haut fonctionnaire qui a eu accès aux archives classées secret défense de l'Élysée sur le génocide au Rwanda.

 

23 ans après le génocide des Tutsis au Rwanda, de nouvelles révélations viennent mettre en cause l'État français. La Revue XXI dévoile dans son édition à paraître mercredi l'existence de plusieurs documents qui confirment que les autorités françaises ont sciemment donné l'ordre de réarmer les auteurs du génocide, les Hutus. L'article de Patrick de Saint-Exupéry, co-fondateur de la revue et journaliste spécialisé sur ce génocide qui a conduit à la mort de 800.000 Tutsis en 1994, se base sur le témoignage d'un haut fonctionnaire habilité secret défense, qui a eu accès aux archives de l'Élysée sur le génocide rwandais.

Une note secrète de l'Élysée. Chargé de faire le tri et d'examiner ces documents que Français Hollande avait promis de déclassifier en avril 2015, le haut fonctionnaire a mis la main sur une note prouvant que les soldats français de l'opération "Turquoise", déployés en juin 1994 trois mois après le début du génocide, ont reçu l'ordre "de réarmer ceux qui viennent de commettre le génocide", a affirmé le journaliste sur France Inter lundi. Les Hutus auraient ainsi réceptionné au Zaïre voisin des armes auparavant confisquées par la France.

 

Nous livrions des armes pour que les génocidaires ne se retournent pas contre nous

 

Certains militaires français auraient discuté cet ordre : "Une dizaine d'officiers ont demandé à exercer leur droit de retrait pour ne pas avoir à exécuter cet ordre", explique encore Patrick de Saint-Exupéry. La directive a toutefois été confirmée par l'Élysée, dans une note signée de la main d'Hubert Védrine, alors secrétaire général de l'Élysée, selon le témoignage du haut fonctionnaire.

"Laisser passer un convoi d'armes". Guillaume Ancel, déployé au Rwanda dans le cadre de l’opération "Turquoise", a affirmé mardi auprès du Monde avoir vu "la réalisation d'une de ces livraisons dans la deuxième quinzaine de juillet" 1994. "Le commandant adjoint de 'Turquoise' sur la base de Cyangugu m’a demandé de retenir l’attention de journalistes pour laisser passer un convoi d’armes vers le Zaïre (...) Il y avait une dizaine de camions chargés de container. Le soir, lors du debriefing, on m’a expliqué que nous livrions des armes pour que les génocidaires ne se retournent pas contre nous", a confié l'ancien officier de l'armée de terre.

 

L'opération Turquoise fait polémique
Quelque 2.500 soldats français ont été envoyés au Rwanda de juin à août 1994 dans le cadre de l'opération "Turquoise", autorisée par l'ONU, afin de mettre fin aux massacres en cours. Auparavant alliée au régime rwandais alors constitué d'Hutus, la France a toujours assuré qu'elle avait cessé de fournir des armes aux forces rwandaises quand elle a eu connaissance des massacres. Mais l'intervention française au Rwanda a toujours fait polémique, et plusieurs voix ont dénoncé le fait que la France, sous couvert d'une opération humanitaire, aurait en réalité protégé et réarmé les génocidaires. Lors d'une audition parlementaire en 2014, Hubert Védrine a reconnu implicitement les faits : "Il y a eu livraison d’armes pour que l’armée rwandaise soit capable de tenir le choc (…) Donc il est resté des relations d’armement, et ce n’est pas la peine de découvrir sur un ton outragé qu’il y a eu des livraisons qui se sont poursuivies."

 

Des archives encore classifiées. Les documents cités par la Revue XXIconfirmeraient que la France a toujours soutenu les génocidaires Hutus tout en ayant conscience que ceux-ci venaient de commettre le génocide dans les trois mois précédents. L'État français aurait ainsi violé un embargo sur les armes décrété un mois plus tôt par l'ONU, qui avait déjà employé le terme de "génocide" pour parler du Rwanda.

"Oui, la France savait tout des massacres", en conclut Patrick de Saint-Exupéry. "Il y a une implication extrêmement importante et, à vrai dire, mystérieuse des plus hautes autorités françaises dans les événements du Rwanda", a encore indiqué le journaliste à L'Obs. Les archives évoquées par le haut fonctionnaire sont toutefois inaccessibles aux chercheurs et aux historiens. Selon Patrick de Saint-Exupéry, François Hollande n'a pas tenu sa promesse de déclassifier les documents sur le génocide au Rwanda "à cause du constat qu'a réalisé ce haut fonctionnaire qui a vu des documents extrêmement compromettants".

 

 

 

 

 

 

La destruction des mosquées et universités par la France en Algérie

 


(...) Face au puissant mouvement de renouveau islamique qui se constitua en Algérie durant l’entre deux guerre sous l’impulsion du cheikh Abdelhamid Ben Badis, l’administration française, craignant que la contestation s’organise à partir des mosquées, réglementa limitativement le droit de prêche dans les lieux de culte qu’elle contrôlait. Le 16 février 1933, la « circulaire Michel », du nom du secrétaire général de la préfecture d’Alger, Jules Michel, enjoignait les autorités coloniales de surveiller les ouléma suspects « de chercher à atteindre la cause française ». La présidence du comité consultatif du département d’Alger, ayant en charge la gestion du culte musulman, était confiée à Jules Michel alors que le monopole du prêche était donné aux imams et muftis salariés par l’administration coloniale. 

  



« Ils veulent éteindre de leurs bouches la lumière d’Allah »
Sourate 61 : verset 8




« Ô croyant le monde a vu de ses yeux, Leurs chevaux attachés dans nos mosquées ». Emir Abdelkader







Dès les premières heures de la conquête coloniale, l’Islam fut une source de résistance centrale pour les peuples musulmans. Ceux-ci puisaient dans la religion du Prophète l’énergie pour affronter les armées conquérantes de l’Occident. Dans ces guerres asymétriques de résistance à la conquête coloniale, l’Islam donnait aux résistants la force morale d’affronter un ennemi mieux armé. 

Au-delà de la lutte armée, à la domination culturelle exercée par l’Occident impérialiste répondit une résistance ancrée dans les valeurs spécifiques des peuples musulmans.

En tant que force de résistance, l’Islam fut la cible d’attaque constante de la part des tenants de la colonisation dont la politique culturelle consistait à effacer les traits distinctifs des sociétés musulmanes. Eradiquer l’Islam pour soumettre les peuples musulmans à son dictat était l’un des objectifs essentiels de l’impérialisme occidental. Mû par l’héritage des croisades et par la volonté d’exporter les valeurs de la société bourgeoise des « Lumières », l’Occident s’efforça d’affaiblir les forces dynamiques de l’Islam qui lui résistaient, de fractionner le monde musulman, d’opposer des obstacles devant ses peuples, et de fournir des efforts constants pour amener les musulmans à se détacher de la religion du Prophète. L’objectif visé par l’« Occident officiel », à long terme, était de déraciner l’Islam afin qu’il ne puisse plus servir de force d’opposition à sa domination.

Destruction et contrôle des lieux de cultes musulmans

Cette politique d’éradication de l’Islam fut particulièrement prégnante en Algérie après l’invasion française de 1830. Charles X partit à la conquête de l’Algérie avec le soutien du Pape et de l’Eglise catholique ce qui transformait l’action de l’armée française en une lutte de la chrétienté contre l’Islam dans la filiation directe des croisades. Débarqué à Alger, le général de Bourmont, s’adressant aux aumôniers militaires au cours d’une cérémonie religieuse, déclarait : « Vous venez de rouvrir avec nous la porte du christianisme en Afrique. Espérons qu’il y viendra bientôt faire refleurir la civilisation chrétienne qui s’est éteinte » [[b]1[/b]].

Nonobstant cet esprit de croisade, le 5 juillet 1830, la convention signée entre le général de Bourmont et le Bey d’Alger, engageait la France à respecter la liberté de tous les habitants de l’Algérie, leur religion et leur propriété. 

Deux mois après la prise d’Alger et malgré la convention signée par le général de Bourmont, le général Clauzel inaugura une politique de lutte contre la religion musulmane en la privant de ses moyens d'existence par la confiscation des biens habous. Environ deux millions d'hectares de terre furent confisqués et plusieurs dizaines de mosquées furent fermées. Un grand nombre de cimetières furent labourés afin de les transformer en terres arables pour les colons. Les religieux, qui refusaient de faciliter ces confiscations, furent voués à l'internement et à l'exil, comme le mufti malékite Belkebabti qui fut déporté puis emprisonné en Corse avant d'être expulsé à Alexandrie en 1848 [[b]2[/b]]. 

Dans sa politique de terre brûlée, la France détruisit nombre d’édifices du patrimoine architectural de l’Islam algérien. Un plan visant à la destruction d’une grande partie de la ville d’Alger fut conçu dès octobre 1830. Cette politique visait à l’européanisation de la capitale algérienne en facilitant sa colonisation par les occidentaux fraichement débarqués. La mosquée as-Sayyida fut détruite en 1832 par les services du génie lors de la création de la place du gouvernement. La même année, la mosquée Ketchaoua, bâtie en 1794 par le Dey Baba Hassan, fut transformée en lieu de culte catholique. Par la suite, les principaux édifices islamiques d’Alger furent détruits : le mausolée de Sidi Abdelkader al-Djilani, la mosquée Mezzo-Morto, construite vers 1685 par al-Hadj Hussein, un Italien converti à l’islam, la mosquée Khédar-Pacha, la zaouïa Ketchaoua, édifiée en 1786 par al-Hadj Mohamed Khodja Makatadji, la mosquée ach-Chemaïn, la mosquée d’Aïn al-Hamra, la mosquée Ben Négro, la mosquée d’al-Mocella, la zaouïa de Sidi Amar at-Tennessi, construite au XVème siècle.

Le résultat de cette politique d’éradication de l’Islam de la ville d’Alger était clairement remarquable dans le paysage : en 1830 Alger renfermait 13 grandes mosquées, 109 petites mosquées, 32 « chapelles » et 12 zaouïas. En 1862, il ne restait plus que 4 grandes mosquées, 8 petites et 9 « chapelles » [[b]3[/b]]. Evoquant les édifices religieux détruits par les colonisateurs, dans un texte intitulé « Promenade à Alger », datant de 1865, un voyageur français, E. De Lumone, affirmait : « le marteau de Dame Expropriation en a abattu un grand nombre pour faire place aux larges et insipides rues et aux hautes maisons dont les Haussmann algériens sont si fiers. Quelques-unes sont appropriées au culte catholique, d’autres sont converties en magasins, en pharmacies militaires. Une de ces dernières est même occupée ô honte par l’administration des lits militaires » [[b]4[/b]].

Dans les autres villes d’Algérie, la même politique d’éradication de l’Islam fut menée par la destruction d’édifices religieux. Avant la conquête, Annaba comptait 30 mosquées et 2 zaouïas, toutes pourvues d’écoles. Suite à l’occupation de la ville, 22 mosquées disparurent dans les démolitions. Pour celles restées encore debout, seules 2 avaient conservé une école. La mosquée Abou Merouane, centre de rayonnement culturel et scientifique construit au XIème siècle, fut confisquée et interdite aux fidèles musulmans. Les calligraphies ornant la mosquée et la médersa furent détruites. Après avoir usurpé l’édifice, les autorités françaises le transformèrent en hôpital militaire. Dans la même ville, le mausolée de Sidi Brahim at-Toumi et ses mosquées, construites au XVIIème siècle, furent confisqués et interdits d’accès à la population musulmane. Les lieux devinrent une sorte de cantonnement permanent pour l’armée d’occupation. A Bejaïa, la mosquée de la Casbah fut transformée en hôpital.

Décrivant l’impacte de cette politique sur les Algériens, en 1847, le général de Lamoricière expliquait : « une fois installés à Alger, nous avons pris les collèges pour les changer en magasins, casernes ou écuries. Nous avons fait main basse sur les biens des mosquées et des collèges. On prétendait appliquer au peuple arabe les principes de la Révolution française. Malheureusement, les musulmans n’ont vu là qu’une attaque brutale à leur religion et un manque de foi » [[b]5[/b]].

Les écoles musulmanes, qui enseignaient le Coran et la langue arabe, disparurent progressivement sous la pression de l’administration française. La confiscation des biens habous soustrayait les sources de revenu qui permettait leur fonctionnement. La dispersion des enseignants du fait de la conquête privaient les médersas du personnel compétant nécessaire à leur activité. Dans un rapport officiel, l’administrateur civil d’Alger Genty de Bussy déclarait « savoir que plus de 80 écoles existaient à Alger avant la conquête, qu’elles ont été réduites de moitié par l’émigration des instituteurs, des grandes familles et par l’occupation de plusieurs classes, entendons de plusieurs mosquées » [[b]6[/b]].

Décrivant les conséquences de cette politique, qui avait provoqué une crise morale de la société algérienne avec ses conséquences durables, Alexis de Tocqueville, dans son Rapport de 1847, écrivait : « Partout nous avons mis la main sur ces revenus [ceux des fondations pieuses ayant pour objet de pourvoir aux besoins de la charité ou de l’instruction publique] en les détournant en partie de leurs anciens usages. Nous avons réduit les établissements charitables, laissé tomber les écoles, dispersé les séminaires. Autour de nous les lumières se sont éteintes, le recrutement des hommes de religion et des hommes de loi a cessé. C’est-à-dire que nous avons rendu la société musulmane beaucoup plus misérable, plus désordonnée, plus ignorante et plus barbare qu’elle n’était avant de nous connaître » [[b]7[/b]].

Les divers changements de régimes que la France connut au XIXème siècle, ne changèrent pas fondamentalement la politique que ses régimes et ses gouvernements mirent en place vis-à-vis de la l’Islam en Algérie. Suivant les mots de Gambetta affirmant que « l’anticléricalisme n’est pas un article d’exportation », la République continua à soutenir l’Eglise dans sa politique d’évangélisation menée, notamment, par le fondateur de la société des Pères Blancs, le cardinal Lavigerie. En 1892, à la mort du cardinal Lavigerie, la République française lui organisa des funérailles nationales en récompense des services rendus à la chrétienté.

Après l’adoption de la loi de séparation des cultes et de l’Etat en 1905, la laïcité ne fut jamais appliquée au culte musulman dans une Algérie colonisée qui avait juridiquement le statut de département français. Alors que la loi de séparation des cultes et de l’Etat s’appliquait pleinement aux cultes catholique, protestant et juif, l’administration coloniale continuait de maintenir le culte musulman sous sa subordination immédiate. Afin de contrôler l’Islam, les imams, les muftis ou les qadis étaient nommés et salariés par la puissance occupante qui les contraignait à être les « voix de la France » dans les mosquées et autres lieux de cultes musulmans. Par cette main mise sur le culte musulman, l’administration française orientait l’interprétation des sources de l’Islam dans un sens favorable au maintient de sa domination. La soumission à l’ordre établi, le fatalisme réduisant les musulmans à l’impuissance étaient érigés en dogme. La situation de la religion musulmane relevait d’un véritable système d’exception.

Face au puissant mouvement de renouveau islamique qui se constitua en Algérie durant l’entre deux guerre sous l’impulsion du cheikh Abdelhamid Ben Badis (portrait ci-dessus), l’administration française, craignant que la contestation s’organise à partir des mosquées, réglementa limitativement le droit de prêche dans les lieux de culte qu’elle contrôlait. Le 16 février 1933, la « circulaire Michel », du nom du secrétaire général de la préfecture d’Alger, Jules Michel, enjoignait les autorités coloniales de surveiller les ouléma suspects « de chercher à atteindre la cause française ». La présidence du comité consultatif du département d’Alger, ayant en charge la gestion du culte musulman, était confiée à Jules Michel alors que le monopole du prêche était donné aux imams et muftis salariés par l’administration coloniale.

Contre cette ingérence de l’administration française dans le culte musulman, le mouvement national algérien fit de la séparation des cultes et de l’Etat l’une de ses principales revendications. Il espérait ainsi libérer le culte musulman des griffes des autorités coloniales. En 1924, le petit-fils de l’Emir Abdelkader, l’Emir Khaled, souleva la question dans une lettre réclamant l’application de la loi de 1905 pour le culte musulman adressée à Edouard Herriot. Par la suite, la revendication de l’application de la laïcité au culte musulman fut défendue par l’association des ouléma à partir de sa constitution en 1931. La revendication fut reprise par les différents courants du mouvement national algérien. 

Le 15 août 1944, l’association des ouléma adressa un Mémoire aux autorités coloniales réclamant l’application intégrale du principe de séparation du culte musulman et de l’administration coloniale française. Le Mémoire revendiquait : « 1 - Cette séparation doit être réalisée d’une manière qui soustrait entièrement et définitivement à la tutelle et au contrôle de l’Administration tout ce qui se rapporte au culte musulman. En sorte que l’Administration n’ait plus à s’immiscer d’une manière apparente au culte dans aucune question, ni aucune affaire religieuse, quelles que soient la nature et l’importance de ces questions et de ces affaires. 2- La remise entre les mains de la communauté musulmane, seule qualifiée pour en connaître, de toutes ces affaires et de toutes ces questions, sans exception ni réserve, avec reconnaissance claire, absolue et sans équivoque du droit de cette communauté sur tout ce qui se rapporte à sa religion » [[b]8[/b]].

La revendication de la séparation du culte musulman et de l’Etat français fut défendue à l’Assemblé Nationale française par Messaoud Boukadoum le 12 septembre 1947 au cours des discussions relatives au statut de l’Algérie. Dans son discours, le député du MTLD dénonça les atteintes à l’Islam et à la langue arabe en Algérie. Selon lui, « la colonisation française ne s’est pas contentée de s’approprier toutes les richesses économiques de l’Algérie et de les exploiter à son unique profit. Elle s’est attaquée également au patrimoine moral et intellectuel de notre peuple. Le peuple algérien a, en effet, une personnalité propre qui s’est forgée au cours de siècles, personnalité qui vient de son unité linguistique, historique, religieuse et de son unité de mœurs […] elle [la colonisation] pensait qu’un peuple vaincu par les armes, asservi économiquement et, de surcroît, privé de sa personnalité, deviendrait vite une véritable poussière d’individus, sans âme collective, et prêt à toutes les métamorphoses et à toutes les servitudes. Le peuple algérien est de religion musulmane, vous ne l’ignorez pas, et de langue arabe. Ce sera donc à ces deux éléments constitutifs principaux de la personnalité algérienne que la colonisation va s’attaquer ». Le député du MTLD ajoutait que « la politique de désislamisation et de désarabisation a été le fait principal de la colonisation dans notre pays » [[b]9[/b]].

La politique française de dépersonnalisation

Ne limitant pas sa politique à la destruction puis au contrôle des édifices cultuelles musulmans, la colonisation française s’attaqua « d’une manière particulière à la culture arabo-islamique dans laquelle elle voyait la principale force de résistance à son entreprise de dépersonnalisation. L’acharnement mis à la détruire, directement ou indirectement, procédait de la même volonté de faire table rase de cette société et de transformer l’Algérie en province française » [[b]10[/b]]. 

Parallèlement à la conquête militaire, les autorités coloniales mirent en place une politique de lutte idéologique visant à museler toute expression de la culture arabo-islamique en Algérie. A la conquête par les armes était associée une politique de « viole des consciences » et d’aliénation des hommes. Le 31 août 1858, le ministre responsable de l’Algérie expliquait sa politique d’assimilation en ces termes : « nous sommes en présence d’une nationalité armée et vivace qu’il faut éteindre par l’assimilation ». Son but était « la dislocation du peuple arabe et la fusion » [[b]11[/b]]. La politique de dépersonnalisation était exposée par le général Ducrot, en 1864, lorsqu’il expliquait l’offensive des généraux de la conquête sur le front de la culture : « entravons autant que possible le développement des écoles musulmanes, des zaouïas. Tendons, en un mot, au désarmement moral et matériel du peuple indigène» [[b]12[/b]].

La France développa une politique d’assimilation visant à faire de l’Algérie une partie intégrante de la nation française et de ses habitants des français, bien que les droits de citoyens ne fussent réservés qu’aux seuls Européens et aux juifs Algériens après la promulgation du décret Crémieux en 1870. Dans le cadre de cette politique de dépersonnalisation, se développa une action d’évangélisation des musulmans par des ordres missionnaires chrétiens. Louis Veuillot, qui fut secrétaire du maréchal Bugeaud, écrivait : « Les Arabes ne seront à la France que lorsqu’ils seront Français et ils ne seront Français que lorsqu’ils seront chrétiens » [[b]13[/b]].

Profitant de la misère créée par la colonisation, qui avait détruit le tissu social existant avant 1830 entraînant un processus de « clochardisation » des régions rurales, les missionnaires recueillaient les orphelins algériens pour les christianiser. Les orphelinats de Ben Aknoun et de Boufarik furent créés dans cette optique par le père jésuite Brumault. Après quinze ans de vaine tentative pour évangéliser le peuple algérien, le père Brumault renonça à son projet qui fut repris par les évêques d’Alger, Dupuch et Pavy. Puis cette politique d’évangélisation fut activement mise en place par le cardinal Lavigerie entre 1863 et 1870. Le cardinal profita de la grande famine de 1867-1868, qui fit environ 300.000 morts [[b]14[/b]], pour tenter d’imposer sa religion. Le programme du cardinal Lavigerie était : « Faire de la terre algérienne le berceau d’une nation grande, généreuse, mais chrétienne, d’une autre France en un mot ; répandre autour de nous les vraies lumières d’une civilisation, mais dont l’Evangile doit être la source et la foi ; les porter au-delà du désert jusqu’au centre de ces immenses continents encore plongés dans la barbarie ; relier, enfin, l’Afrique du Nord et l’Afrique centrale à la vie des peuples chrétiens, telle est dans les desseins de Dieu notre destinée providentielle » [[b]15[/b]].

Les Pères Blancs cherchèrent à évangéliser les orphelins qui avaient survécus à la famine. Malgré une politique particulièrement offensive dans certaines régions, comme la Haute Kabylie, les conversions au christianisme restèrent extrêmement marginales et le peuple algérien opposa une farouche résistance à cette colonisation par la croix.

La République laïque apporta un fidèle soutien à l’action de l’Eglise qui faisait office de précieux appuis dans sa lutte contre l’Islam. Du 3 au 7 mai 1939, se tint à Alger le congrès eucharistique qui se réunit avec l’appui officiel du gouvernement laïc soutenu par l’assemblée élue en 1936 sur le programme du Front Populaire. Dans son discours aux congressistes, le cardinal Verdier affirma sa volonté d’évangéliser l’Algérie et au-delà l’ensemble de l’Afrique : « Si vous êtes venus tenir ici vos assises eucharistiques, c’est surtout, vous ne l’ignorez pas, afin d’y célébrer le centenaire d’un évènement à jamais mémorable pour l’Eglise et pour la France. En 1839, Alger, la ville blanche, dressait ses terrasses sur la mer comme un défi aux peuples chrétiens. Voici que sur un de ses minarets, s’élève la croix du Christ, et Alger devint soudain la porte lumineuse par où pénétra, chaque jour plus rapidement jusqu’au cœur du continent noir, le flambeau de la révélation » [[b]16[/b]].

Analysant cette politique, Chekib Arslan remarquait que la France laïque se comportait comme une puissance chrétienne dans le monde arabo-islamique car la fille aînée de l’Eglise était « imbue de l’idée qu’elle doit en pays musulman paraître en soutane » [[b]17[/b]].

A la politique de dépersonnalisation reposant sur la lutte contre l’enseignement de l’Islam et de la langue arabe, était associée une politique d’acculturation à la France. Cette politique fut clairement proclamée par Charles Lutaud, gouverneur général de l’Algérie, en février 1914 lorsqu’il affirmait : « je crois qu’il est préférable de leur apprendre à sentir comme nous, à gouter la vie comme nous et qu’il serait peut-être préférable de dissoudre le bloc des traditions islamiques, en ce qu’elles ont d’incompatible avec notre civilisation » [[b]18[/b]]. Toute la politique de l’Etat français fut tendue vers cette volonté d’éradiquer ce « bloc des traditions islamiques ».

La politique de dépersonnalisation anti-islamique s’appuyait sur le développement de l’enseignement dans les écoles françaises. Les tenants de l’assimilation espéraient obtenir leurs meilleurs résultats dans leur entreprise de dépersonnalisation et de « francisation » auprès des jeunes algériens ayant fréquenté les bancs de l’école française. La scolarisation était perçue comme la principale arme devant permettre la dissolution du « bloc des traditions islamiques » qui était à la base de la résistance culturelle des Algériens à la colonisation.

L’écrivain Malek Haddad témoignait de cet enseignement aliénant dispensé dans les écoles françaises : « dès l’école primaire cet enseignement se faisait en français avec interdiction d’avoir recours à l’arabe, même pour des facilités pédagogiques. On ne faisait qu’effleurer à la fin du moyen 2ème années, la Géographie ou l’Histoire de l’Algérie. Dans les lycées, l’arabe s’enseignait et s’apprenait comme une langue étrangère. Les autres disciplines, Sciences, Mathématiques, etc. se faisaient en français. Notre langue maternelle était en exil dans son propre pays. Par ailleurs, la presse, la radio, les conférences, les films, le théâtre, la publicité sur les murs, les formalités qui vont d’un mandat-poste à un état-civil, tout ce qui s’écrit, depuis la « défense d’afficher » jusqu’aux plaques des rues, tout, absolument tout, était privilège et monopole de la langue française » [[b]19[/b]]. 

Décrivant de l’impact de cette colonisation culturelle, Malek Bennabi expliquait : « de fait, c’est une opération de clivage culturel qui commençait sur toute l’étendue du pays pour séparer la conscience algérienne de son assise historique arabo-islamique. Dans les nouvelles écoles qui s’ouvrent comme Sidi El-Djeliss, les petits algériens commencent à apprendre leurs nouvelles leçons d’histoire sur leurs ancêtres, les Gaulois. Cette leçon n’est qu’une parcelle, un simple aspect scolaire d’une nouvelle sédimentation culturelle destinée à recouvrir, à oblitérer par couches successives, la personnalité du pays, au fond de sa conscience et de son subconscient. On parlera plus tard de dépersonnalisation : c’est cela sa signification précise, c’est-à-dire, une œuvre de désalgérianisation de l’Algérie dans tous les domaines, par tous les procédés. La langue, l’économie, la politique, l’administration, ont joué leur rôle comme facteur d’assimilation. […] Ainsi, tout au long d’un siècle de colonisation inaugurée par un clivage séparant la conscience algérienne de son assise historique millénaire, c’est une œuvre de sédimentation culturelle qui se poursuit lentement mais sûrement » [[b]20[/b]].

Concernant la place de l’enseignement français dans l’entreprise de domination coloniale, Malek Haddad précisait : « il ne s’agit pas bien sûr de jeter l’anathème sur le corps enseignant et de démagogiquement généraliser. Mais, qu’on le veuille ou non, et quelle que soit sa vocation originellement libérale et respectueuse des valeurs d’autrui, il se trouve que ce corps enseignant, même lorsqu’il en limitait les dégâts, faisait partie du dispositif colonial et contribuait par là même, en symbiose avec les autres administrations, à l’entreprise concertée de décoloration et de désoriginalisation qui est la raison d’être de ce phénomène colonial » [[b]21[/b]]. 

La politique de dépersonnalisation s’appuyant sur l’institution scolaire butta dans son entreprise sur le « bloc des traditions islamiques » auquel la majorité des jeunes algériens, ayant fréquenté l’école française, restaient attachés. En octobre 1932, dans un article consacré au deuxième Congrès des Etudiants Musulmans Nord-Africains, le journal colonialiste le Bulletin du Comité de l’Afrique Française écrivait : «Ce qu’il y a de remarquable, c’est que le sentiment éprouvé par ces jeunes gens instruits est de la même qualité que celui qu’éprouve le populaire illettré dans les mêmes circonstances. […] Le Congrès d’Alger nous fournit une preuve nouvelle, entre tant d’autres, que l’instruction que nous donnons à nos élèves ne tue nullement en eux leur âme ancestrale, mais au contraire lui donne un regain de visibilité » [[b]22[/b]]. 

Face à cette politique de dépersonnalisation, le « bloc des traditions islamiques » était un puissant facteur de résistance à l’ordre colonial. « Dans la nuit noire du régime colonial, écrivait Malek Haddad, l’Islam veillait ». L’écrivain algérien ajoutait : « on ne répétera jamais assez que durant les 124 ans de l’éclipse coloniale, cette parenthèse d’asphyxie culturelle et politique qui s’étend du 5 juillet 1830 au 1er novembre 1954, on ne répétera jamais assez la grande part que prirent en Algérie l’Islam et ses serviteurs pour conserver à ma patrie profonde ses dernières caractéristiques propres, son ultime originalité, sa spécificité quotidienne, son authenticité culturelle » [[b]23[/b]]. 

Expliquant le rôle central de l’Islam dans la résistance à la colonisation française, Ahmed Ben Bella affirmait que « si la colonisation a finalement échoué, cela est dû à un fait irréfragable : l'Islam. Qui n'a pas compris cela, n'a rien compris à la révolution algérienne, n'a pas saisi l'intelligence profonde des événements qui se sont déroulés sur notre terrain. […] Depuis environ quatorze siècles, le facteur islamique est le nœud gordien de nos latences, le noyau dur de notre identité » [[b]24[/b]]. 



Notes de lecture :

[[b]1[/b]] Intervention de Messaoud Boukadoum à l’assemblée nationale française le 20 août 1947, in. Djamel Eddine Derdour, De l’Etoile Nord-Africaine à l’indépendance, Alger, Ed. Hammoud, 2001, pages 143-151
[[b]2[/b]] Sellam Sadek, « Conquête de l'Algérie : crimes de guerre et crimes contre l'humanité », in. Parler des camps, penser les génocides, Paris, Albin Michel, 1999.
[[b]3[/b]] Mahsas Ahmed, Le mouvement révolutionnaire en Algérie, De la 1ière guerre mondiale à 1954, Alger, el-Maarifa, 2007, page 334
[[b]4[/b]] Hadj Ali Smaïl, « La mission civilisatrice, un processus de décivilisation », El Watan, 26 février 2007, URL : 
[[b]5[/b]] Ibid.
[[b]6[/b]] Ibid.
[[b]7[/b]] Ageron Charles-Robert, Histoire de l’Algérie contemporaine, Paris, PUF, pages 17-18
[[b]8[/b]] Kaddache Mahfoud, Histoire du nationalisme algérien, tome II, 1939-1951, Paris, Ed. Paris-Méditerranée, 2003, page 620
[[b]9[/b]] Intervention de Messaoud Boukadoum à l’assemblée nationale française le 20 août 1947, in. Djamel Eddine Derdour, De l’Etoile Nord-Africaine à l’indépendance, Ed. Hammoud, Alger, 2001, pages 143-151
[[b]10[/b]] Mahsas Ahmed, op. cit., page 333
[[b]11[/b]] Ageron Charles-Robert, Histoire de l’Algérie contemporaineop. cit., page 28
[[b]12[/b]] Hadj Ali Smaïl, art. cit.
[[b]13[/b]] Intervention de Messaoud Boukadoum à l’assemblée nationale française le 20 août 1947, in. Djamel Eddine Derdour, De l’Etoile Nord-Africaine à l’indépendance, Ed. Hammoud, Alger, 2001, pages 143-151
[[b]14[/b]] Ageron Charles-Robert, Histoire de l’Algérie contemporaineop. cit., page 35
[[b]15[/b]] Intervention de Messaoud Boukadoum à l’assemblée nationale française le 20 août 1947, in. Djamel Eddine Derdour, De l’Etoile Nord-Africaine à l’indépendance, Ed. Hammoud, Alger, 2001, pages 143-151
[[b]16[/b]] Ibid.
[[b]17[/b]] Kaddache Mahfoud, Histoire du nationalisme algérien, tome I, 1919-1939, op. cit., pages 328-329
[[b]18[/b]] Abdesselam Belaïd, De l’UGEMA, brochure, page 16
[[b]19[/b]] Haddad Malek, préface, Les zéros tournent en rond, Paris, Maspéro, 1961
[[b]20[/b]] Bennabi Malek, « A la mémoire de Ben Badis », Que-sais-je de l’islam, n°3, Alger, avril 1970, in. Bennabi Malek, Mondialisme, Alger, Dar el-Hadhara, pages 186-187
[[b]21[/b]] Haddad Malek, op. cit.
[[b]22[/b]] Abdesselam Belaïd, op. cit., page 18
[[b]23[/b]] Haddad Malek, op. cit.
[[b]24[/b]] Ben Bella Ahmed, L’Islam et la révolution algérienne,

 

 

 

Hamid Lamine, Colloque d'AIRCRIGE, La Sorbonne, juin 2001.
Thème du colloque : Responsabilités françaises dans les conflits en Afrique.

L'actuelle crise algérienne a eu pour prémisse la démission du premier ministre Mouloud Hamrouche le 5 juin 1991. Celle-ci a été favorablement commentée par l'hebdomadaire du Parti Socialiste, qui a accompagné l'éditorial consacré à cet épisode de la photo d'un char prise au carrefour de la Grande Poste [1] . La légende portait: "La voie est désormais ouverte à la démocratie"!

Le premier ministre réformateur venait d'être victime d'un coup d'Etat non avoué et fomenté par un groupe de civils et de militaires qui le soupçonnaient de se préparer à respecter les résultats des élections législatives, y compris en cas de victoire des islamistes indépendants des clans du pouvoir. Il était reproché à cette force montante de manquer de "modération", par opposition aux partisans du Cheikh Mahfoud Nahnah, qui n'étaient pas moins attachés à la Charia, mais que les adversaires de l'alternance appréciaient en raison de leurs bonnes relations avec les plus influents parmi les généraux.

La rédaction de Vendredi n'était pas sans savoir que M. Hamrouche avait découvert les vrais mobiles, et les limites, de l'aide apportée par l'Elysée à l'expérience démocratique algérienne. Il s'agissait pour des membres de l'entourage de Mitterrand d'aider par leurs conseils à empêcher le FIS de remporter aux prochaines élections législatives une victoire aussi éclatante que celle des municipales du 12 juin 1990 [2] . Cette aide comportait notamment le tracé d'une nouvelle carte électorale par des experts français du ministère de l'Intérieur [3]. Selon ce découpage sur mesure, il aurait fallu à un candidat du FIS, pour se faire élire, dix fois plus d'électeurs qu'à un candidat du FLN. Cela rappelait la composition de l'Assemblée Algérienne de 1948, où les délégués musulmans du deuxième collège, qui représentaient les neuf dixièmes de la population, n'étaient pas plus nombreux que ceux du premier collège, émanation de l'autre dixième constitué par les Européens.

Aide conditionnelle à la démocratie d'un ancien de la Françafrique.

Cette "aide liée" de la France à la jeune démocratie algérienne avait pour artisan l'ambassadeur Jean Audibert, un ancien animateur de la commission Tiers-Monde du PS devenu conseiller diplomatique à 1'Elysée. Après un passage par la "Françafrique" où il avait eu le loisir de substituer le réalisme de la "culture de gouvernement" à l'idéalisme du discours de Cancun, cette figure représentative de la "diplomatie socialiste" est arrivée à Alger en 1989. Audibert y est vite devenu une sorte de pro-consul qui influençait la vie politique algérienne grâce aux liens étroits avec des responsables comme le général Larbi Belkheir [4] .

Le parti-pris de l'ambassadeur était tel que son entourage recommandait aux journalistes français en visite à Alger d'aller s'instruire auprès de Saïd Sadi, le chef d'une micro-formation régionaliste qui a opté pour l'entrisme, et dont la création était le fruit d'une action concertée entre l'ambassade de France et L. Belkheir. Les jeunes diplomates de l'ambassade de France n'hésitaient pas à comparer ce dialecticien berbériste à P. Mendès-France et à R. Aron réunis. L'homme de confiance de Mitterrand a été jusqu'à oublier le devoir de réserve en donnant son point de vue sur les élections. Dans une déclaration remarquée à l'hebdomadaireAlgérie-Actualités, il a en effet fait état de sa qualité de fils d'instituteur attaché à la laïcité et désireux de voir les électeurs algériens partager ses préférences [5] . De telles interventions ravivaient les souvenirs des financements, par le consulat de France à Constantine, de manifestants chargés de déployer, durant les émeutes d'octobre 1988, des pancartes hostiles à l'arabisation et favorables à la langue française [6] .

Le paternalisme de l'ambassadeur était assez conforme à la place accordée aux critères idéologiques et linguistiques dans l'action diplomatique française en Algérie. La primauté de ces considérations amenait le chroniqueur de Vendredi à être peu regardant sur les vraies raisons de l'éviction de Hamrouche. Il était surtout reproché à celui-ci de s'apprêter à accepter le verdict des urnes, et de ne pas exclure de composer avec un courant culturaliste jugé aussi dangereux pour l'influence française que le mouvement des Oulémas réformistes des années 30 [7] .

La nomination au poste de premier ministre de Sid Ahmed Ghozali, un technocrate presque exclusivement francophone et réputé "moderniste", avait de quoi rassurer les défenseurs de l'influence française en Algérie. Le premier ministre nommé par les militaires a reçu de Matignon un message dithyrambique de félicitations - dont la chaleur n'était peut-être pas sans rapport avec les financements dans les années 70 des "bureaux d'études" du PS par la Sonatrach, dont Ghozali avait été le PDG [8] .

Complaisance de la recherche para-universitaire.

L'indulgence française pour les militaires algériens avait pour origine la crainte irrationnelle des islamistes (laquelle résultait de la méfiance à l'égard de l'Islam), ainsi qu'un ersatz de reconnaissance pour les financements occultes. Elle a reçu une caution savante lorsqu'une équipe de politologues de Paris est rentrée d'Algérie avec un préjugé très favorable à l'armée algérienne. Après avoir passé une partie de l'été 1991 à faire des "enquêtes de terrain", ces "algérologues" occasionnels étaient persuadés que les généraux n'allaient plus jamais intervenir en politique [9] ! Grâce à l'audience qu'ont les politologues dans le monde politico-médiatique, leur parti-pris a durablement influencé une bonne partie des commentateurs de l'actualité algérienne. Ces enquêteurs contribuèrent à accréditer, en France et en Algérie, la thèse du déclin inéluctable du FIS, au vu du bilan contrasté de la gestion des municipalités par les islamistes [10] .

La France officielle bénit à l'avance l'annulation des élections.

Ces précédents dénotent un état d'esprit extrêmement favorable aux adversaires d'une véritable alternance en Algérie. D'où le bon accueil fait en France à la "démission" du président Chadli, et, surtout, à l'interruption du processus électoral.

L'ambassadeur de France à Alger a été mis dans la confidence par les artisans de cette périlleuse opération. Invité durant l'automne 1992 au cercle Bernard Lazare, J. Audibert a révélé que le président Chadli lui avait téléphoné le lendemain du premier tour des élections législatives du 26/12/1991, pour lui annoncer son intention de "cohabiter" avec les vainqueurs de ce scrutin. Le diplomate dit avoir exprimé ses doutes sur les chances de succès de cette cohabitation, malgré l'engagement de gouverner dans le cadre de la Constitution de 1989 pris par Abdelkader Hachani, le chef du FIS qui venait de frôler la majorité au premier tour. Ce qui excluait a priori la proclamation d'une "République Islamique".

Mais J. Audibert a eu une réaction plus enthousiaste quand son ami L. Belkheir est venu lui annoncer, quelques jours plus tard, l'intention de ses pairs du collège des généraux d'annuler les résultats d'une élection pourtant qualifiée par le premier ministre de "propre et honnête". L'ambassadeur a dû informer immédiatement F. Mitterrand d'une décision si lourde de conséquences. En dehors d'une demande concernant la sécurité de Chadli, le président socialiste a apporté sa caution au plan des généraux qui reçurent début janvier son émissaire, le général arabisant Philippe Rondot, pour lui communiquer les détails sur la création de la direction collégiale qui sera chargée de gérer l'état d'urgence. L'officier de renseignement a pris pour argent comptant les promesses des putschistes de mettre en pratique leur opération dans "le respect des droits de l'homme". L'annonce de la nomination dans le Haut Comité d'Etat d'Ali Haroun, un avocat d'affaires qui avait été désigné ministre des droits de l'homme dans le gouvernement de Ghozali, lui paraissait être une garantie suffisante [11] .

C'est ainsi que la France a décidé de bénir à l'avance ce qu'un éditorialiste de gauche appellera, avec une singulière audace, le "coup d'Etat du soulagement"(sic).

Le caractère anti-constitutionnel de l'opération a été oublié sous l'effet des promesses d'en finir en quelques mois avec les radicaux du FIS qui réagiront par la violence. Une vision économiciste des problèmes algériens faisait escompter l'afflux de plusieurs milliards de dollars, qui auraient été versés par l'Europe pour servir à la relance de l'économie, comme une manière de reconnaissance à un régime qui se disait soucieux de sauver toute la région d'une "contagion fondamentaliste".

Méfiance vis-à-vis de l'Islam et hostilité aux islamistes.

En France, les partisans du coup d'Etat s'employaient à répercuter les mêmes slogans en faisant état d'un "plan d'encerclement de l'Europe par l'intégrisme musulman" [12] . Ces explications vulgarisaient une sombre vision géopolitique que développe la recherche para-universitaire attachée au monopole des études sur l'Algérie. Elles rencontraient des échos dans une classe politique historiquement hostile à l'Islam et encline à assimiler à des islamistes la presque totalité des musulmans de Bosnie, où commençait déjà la meurtrière mise en pratique de la théorie du nettoyage ethnique. La brutale franchise de Claude Cheysson reflétait des points de vue fondés sur l'hostilité à l'Islam qui étaient largement partagés au sein de l'opinion: soutien aux généraux algériens supposés "républicains et modernistes" (malgré leur goût pour les coups d'Etat) et refus de condamner l'effrayante politique du nettoyage ethnique [13] .

Seuls V. Giscard d'Estaing et, hélas, J.-M. Le Pen ont clairement désavoué le coup d'Etat du 11 janvier 1992. La gauche a ainsi accepté de laisser le monopole de la défense de la démocratie en Algérie à une partie de la droite (l'autre partie n'ayant pas jugé utile de dénoncer publiquement) et, surtout, à l'extrême-droite. Ce qui a contribué à rendre suspecte, aux yeux d'un certain moralisme de gauche, toute protestation contre les violations des droits de l'homme dont étaient victimes les islamistes. A partir de ces choix à caractère idéologique, le conflit algérien a été présenté à l'opinion française comme un affrontement opposant de bons "démocrates" francophiles à de méchants fondamentalistes voulant promouvoir l'enseignement de l'anglais aux petits Algériens.

C'est sans doute pour essayer d'atténuer la fâcheuse impression qu'ont suscitée le désaveu public du coup d'Etat par des hommes de droite, et la connivence de la gauche avec les hommes forts d'Alger, que Mitterrand a accepté de prendre ses distances, par une litote. C'était à la fin de 1992, à un sommet européen présidé par la France. Mitterrand entendait tenir compte de la réprobation de ses pairs européens, plus qu'il ne désavouait une opération qu'il avait cautionnée à l'avance.

Expectative de la société civile.

Quant à la "société civile", elle a montré, à cette occasion plus que dans tous les autres cas, sa dépendance vis-à-vis des politiques, des experts appointés par les instituts de recherche para-universitaire. C'est ainsi que la Ligue des Droits de l'Homme s'est abstenue de condamner. Les "algérologues" évitaient de protester contre le coup d'Etat en soulignant "l'impréparation des Algériens à la démocratie". Les moins timorés acceptèrent des concessions d'ordre idéologique pour tenir compte du courageux appel lancé l'année suivante par Mohamed Harbi en faveur d'un "compromis historique avec les islamistes". L'attachement à la paix civile avant tout a mis cet historien probe et érudit en mesure de résister aux campagnes inouïes d'intoxication, et de s'interroger sur la grande facilité avec laquelle d'importants stocks d'armements étaient mis à la disposition des "Afghans" algériens. Il était en effet possible à tout observateur attaché à un quant-à-soi intellectuel de comprendre que les islamistes hostiles à l'aile démocrate du FIS étaient poussés à la faute par les putschistes désireux d'attirer l'attention sur les horreurs commises au nom du Coran pour mieux faire oublier l'aventurisme du coup d'Etat. Mais ces subtilités restaient le fait d'une poignée d'initiés.

Pour la plupart des observateurs, l'arrivée de Boudiaf a fait illusion. Car elle laissait croire que les putschistes allaient rapidement faire oublier les côtés répréhensibles de leur réaction par les résultats d'un assainissement de L'Etat mis sous l'égide d'un nationaliste de la première heure, qui avait préféré un exil prolongé aux compromissions. L'ouverture du procès du général Beloucif, qui avait été secrétaire général du ministère de la Défense sous Chadli, a fait passer un règlement de compte entre clans de l'armée pour un début de campagne de lutte contre la corruption. Malgré des révélations qui allaient très clairement dans le sens contraire et renseignaient sur les retombées de la corruption algérienne en France [14] , ces signaux ont facilement induit en erreur les intellectuels français.

Au cours d'un débat organisé par Radio-Beur juste après le 11 janvier 1992, le géographe Yves Lacoste s'est laissé aller à comparer Boudiaf à De Gaulle, et les détracteurs du coup d'Etat de 1992 à la gauche française de 1958 qui n'avait vu que les inconvénients des "treize complots du treize mai", perdant de vue les avantages du retour au pouvoir du général. L'erreur d'appréciation commise par ce brillant analyste en dit long sur l'égarement d'une bonne partie de l'intelligentsia française sur tout ce qui a trait à l'Algérie.

Personne n'a prêté attention au refus opposé par Boudiaf à la proposition de Ben Bella de juger Chadli. Le président du HCE, qui avait autant de raisons d'en vouloir au président démis, a prétexté "l'absence de preuves". En fait, il ne faisait que tenir compte du refus de traduire Chadli en justice par les détenteurs du pouvoir réel, désireux de satisfaire les garanties exigées par F. Mitterrand concernant le président démis.

Indifférence française aux appels à l'aide de Boudiaf.

Boudiaf s'est aperçu des limites des velléités d'assainissement du système algérien quand il a découvert que ses tentatives de lutte contre la corruption butaient sur une sourde obstruction, opposée par ceux-là mêmes qui exploitèrent la permanence de ses sentiments patriotiques pour dissimuler leurs véritables intentions. L'officier qu'il avait chargé d'enquêter sur le commerce illégal a été assassiné. On apprendra que cette enquête mettait en cause des artisans de la destitution de Chadli qui étaient aussi les garants de l'influence française en Algérie. Le président du HCE a également découvert le manque d'empressement de Mitterrand à l'aider dans sa tâche. Celui-ci n'a pas donné suite à l'appel au secours du nouveau président, qui exprima son souhait de le rencontrer rapidement. Il semble que Bérégovoy ait accepté un début de coopération des polices en demandant à la brigade financière de dresser l'inventaire des avoirs de la Nomenklatura algérienne en France. Cette enquête progressait lentement quand C. Pasqua a décidé de l'interrompre en mars 1993[15] .

Du bon usage des assassinats d'intellectuels.

Ceux qui approuvaient de bonne foi la politique répressive du HCE ont commencé à se poser des questions après l'assassinat de Boudiaf le 29 juin 1992. Mais la perte de la caution apportée par ce chef historique a été en partie compensée par la réprobation des assassinats d'intellectuels et de journalistes. La couverture médiatique de cette vague a été assurée par les réseaux entretenus par le colonel Zoubir. Grâce à l'action inspirée et financée par cet officier de renseignement préposé à la communication, et doté de grands moyens pour "vendre" le coup d'Etat aux opinions occidentales, le pouvoir illégitime a pu se faire admettre comme le rempart contre la "barbarie islamiste", à laquelle les communiqués officiels attribuaient systématiquement les meurtres de l'écrivain-journaliste Tahar Djaout, du dramaturge Abdelkader Alloula, du sociologue M'hamed Boukhobza, du professeur Djilali Liabès ou du pédiatre Belkhenchir, pour ne citer que ceux-là.

L'intelligentsia parisienne a réagi par la création du CISIA, le Comité International de Soutien aux Intellectuels Algériens, qui aura servi surtout à diffuser les appréciations de réfugiés algériens, souvent moins soucieux d'exactitude que d'auto-victimisation calculée, servant à obtenir des demi, voire des tiers de poste. Le plus « éradicateur » des premiers ministres, R. Malek, a félicité ce comité, sans doute en raison de l'efficacité avec laquelle il a diffusé les thèmes du colonel Zoubir. Selon des informations précises et jamais démenties par l'intéressé, l'espèce de super-ministère dirigé par cet officier de renseignement - qui a expérimenté les méthodes de conditionnement de l'opinion bien avant les experts de l'Otan durant la campagne du Kosovo du printemps 1999 - a pu mettre au service de sa propagande le directeur d'un hebdomadaire parisien souverainiste, qui s'est spécialisé dans le négationnisme en temps réel et le soutien à toutes les répressions menées par les dictatures nationalistes. Ce journal, capable de soutenir une thèse et son anti-thèse en fonction de ses seuls besoins financiers, aurait fait faillite s'il n'avait perçu d'importants subsides algériens [16] . La propagande de cette structure de manipulation a été servie également par un grand nombre d'universitaires algériens réfugiés en France, beaucoup moins bien rémunérés pour leur rôle d'informateurs de la recherche française sur l'Algérie et le Monde arabe contemporains, recherche qui produisait peu.

La télévision publique n'a pas été insensible aux effets de ces campagnes. Et il est arrivé aux chaînes de service public de programmer des émissions commandées par l'ambassade d'Algérie[17] .

Certains anciens porteurs de valises ont créé la revue Pour ! afin de soutenir l'éradication. Ils reconnaissent avoir été les invités du colonel Zoubir, et ne démentent pas les informations sur les aides financières apportées par le régime d'Alger à leur action [18] .

La propagande des éradicateurs en France.

C'est Saïd Sadi, le chef du petit parti berbériste soutenu ouvertement par l'ambassade de France à Alger, et Khalida Messaoudi, une ancienne militante féministe promue par l'ambassadrice Mme Audibert, qui ont été les plus actifs propagandistes en France. Le premier s'est vu offrir plusieurs voitures blindées par le ministre de la Défense du gouvernement Balladur [19] . La seconde a été consultée par le ministre de l'Education, F. Bayrou, sans doute désireux de remédier aux inconvénients du soutien mécanique de la mosquée de Paris à la circulaire interdisant aux collégiennes musulmanes le port du foulard. Elle a été programmée en un temps record pour passer à l'émission "l'Heure de Vérité". En l'aidant à publier un livre d'entretiens, Elisabeth Chemla a surtout contribué à faire connaître les idées du colonel Zoubir, matinées de berbérisme et de revendications féministes. La journaliste Malika Boussouf a, pour sa part, réussi à mettre la logique verbale de l'ancien "nouveau philosophe" André Gluksman au service des thèses de l'officier communicateur. Sans oublier le rôle de Paul-Marie de la Gorce, qui a ouvert les colonnes de Jeune Afrique et de Défense Nationale la thématique putschiste.

Une coopération policière décisive dans une lutte à base d'infiltration et de manipulation.

Pendant que l'opinion subissait tout ce conditionnement, le gouvernement Balladur a consolidé la coopération policière franco-algérienne. Celle-ci était déjà assez étroite depuis le début des années 80 et elle a été d'un apport décisif dans un affrontement où le renseignement permettant l'infiltration et l'intoxication préalables à la manipulation est devenu aussi précieux que du temps des colonels Godard et Trinquier, auxquels G. Mollet et F. Mitterrand avaient confié les pouvoirs de police à Alger. Au nom de cette primauté du policier sur le politique et le diplomatique, l'Algérie est devenue le domaine réservé du ministre de l'Intérieur. Celui des Affaires Etrangères a été voué à un rôle de diplomatie déclarative préconisant verbalement la paix et s'en tenant à une neutralité apparente. En fait, la France a pris fait et cause pour la politique d'éradication avec son cortège d'internements massifs et arbitraires, d'exécutions sommaires à grande échelle, de généralisation de l'usage de la torture et d'enlèvements sur la base de vagues soupçons ou de délation mensongère.

Dans une réunion fermée pour hauts-fonctionnaires, un conseiller de C. Pasqua, qui était au courant de toutes ces pratiques, a expliqué en novembre 1994 qu'il était dans l'intérêt de la France d'aider les militaires algériens à gagner cette guerre [20] . Cet appui lui semblait conforter le soutien qu'aurait apporté aux putschistes la "petite-bourgeoisie francophile". Ces appréciations plutôt subjectives étaient formulées au moment où les partisans de "l'éradication" avaient toujours peur des élections (non truquées). L'orateur, qui avait été mêlé à la "pacification" de la Kabylie à la fin des années 50, misait également sur de nouveaux leaders, comme S. Sadi, avec lesquels la France s'entendrait mieux qu'avec les caciques du FLN, à qui il reproche volontiers leur attachement aux souvenirs de la guerre de 1954-1962, tout en acceptant l'anamnésie à propos de la Shoa, pourtant plus lointaine.

Le gouvernement Balladur joignait le geste à la parole et donnait suite aux demandes algériennes en fournissant du matériel militaire sophistiqué. Il n'a pas ménagé sa peine en aidant les généraux à mettre toutes les chances de leur côté. L'aide dans le domaine de l'électronique et en hélicoptères spéciaux (pouvant surveiller les montagnes la nuit) a été consolidée par l'amélioration de la coopération des polices. Malgré la rétention de l'information dans ces domaines sensibles, la partie de la presse qui résistait à l'intoxication, ou qui était obligée de répercuter les révélations des médias anglo-saxons, a fait état de l'entrée en France d'un grand nombre d'agents de la Sécurité Militaire algérienne, avec l'autorisation du ministère de l'Intérieur [21] . Celui-ci a ordonné les premières rafles anti-islamistes après avoir accepté l'organisation du faux enlèvement des époux Thévenot, les deux agents consulaires français d'Alger dont le rapt avait été attribué aux islamistes. Selon les révélations faites quelques années plus tard par le très renseigné Maol (Mouvement des Officiers Algériens Libres), ce sont les services algériens qui ont organisé cet enlèvement, en accord avec un émissaire de C. Pasqua, qui avait demandé de créer un prétexte pour justifier des arrestations d'islamistes autrement que par le délit d'opinion. C'est quand les officiers chargés de se faire passer pour des islamistes se sont mis à boire de l'alcool au milieu de la nuit que leurs "otages" ont découvert la mise en scène. Le témoignage des époux Thévenot a été refusé aux avocats des prévenus islamistes raflés en France [22] . Une bonne partie d'entre eux ont bénéficié d'un non-lieu et la Cour de Cassation a ordonné l'indemnisation des innocents, dont la détention préventive a duré plus de trois ans. L'acceptation d'arrêter sans discernement les personnes dont les noms avaient été communiqués par des officiers algériens coûte assez cher au contribuable français.

A l'occasion de ces vagues d'arrestation, des étudiants en situation régulière ont été transformés en sans-papiers, mis dans l'impossibilité et de se réinscrire et de quitter la France. Ils ont commencé par être menacés d'expulsion vers l'Algérie, où ils auraient "disparu" assez facilement. Puis la police les relâche en leur demandant de la renseigner sur leurs camarades non découverts. C'est à cette condition qu'ils peuvent espérer récupérer leurs papiers d'identité. Ceux qui refusent ce chantage depuis cinq ans sont devenus des sans-papiers sans jamais avoir été des clandestins de leur fait [23] . Par ailleurs, certains anciens prévenus affirment avoir été arrêtés grâce à la complicité d'agents d'infiltration se faisant passer pour des islamistes [24] . Certains parmi ces faux militants ont été recyclés par les organisations islamiques que le ministère de l'Intérieur a admis comme interlocuteurs pour "l'organisation" de l'Islam en France.

Le Maol a également révélé le recrutement par une police française de plusieurs dizaines de policiers algériens qui avaient été incités à émigrer par leur hiérarchie, en accord avec l'ambassade de France[25] . La presse algérienne qui avait mis ses bonnes plumes au service du colonel Zoubir, après avoir recruté d'anciens officiers de renseignement rendus à la vie civile pour "aider les journaux libres", a essayé de disqualifier les créateurs du Maol en les accusant d'être des islamistes. En France, il s'est trouvé des journalistes qui renoncent à l'esprit critique dès qu'il s'agit de l'Algérie pour reprendre à leur compte les thèmes de cette propagande [26] .

En fait, le site du Maol reproduit des informations confidentielles détenues par d'anciens officiers de renseignement qui avaient été proches des généraux-majors durant les premières années de la manipulation des opinions et de l'infiltration des islamistes. Leur crédibilité est devenue telle que le Quai d'Orsay les a "approchés" ensuite pour jauger leur influence au sein de l'armée afin de savoir si ce mouvement pouvait être une alternative aux putschistes de 1992 devenus très difficilement défendables. Le site Internet du Maol est devenu alors une source que l'on pouvait citer. De fait, le risque d'être induit en erreur par cette référence est plus faible qu'à la lecture des éditorialistes inféodés, ou des politologues qui se trompent régulièrement.

Les généraux-majors conseillés par des experts français.

Selon les mêmes révélations, c'est de cette période que date l'envoi auprès des généraux algériens de conseillers français et d'hommes de main, comme ce mercenaire serbe qui, déjà impliqué dans des coups tordus en Afrique, a fait parler de lui lors d'une tentative d'assassinat de Milosevic, après avoir organisé dans un village de l'Ouest algérien une tuerie que la presse algérienne dite libre a allègrement imputée aux islamistes.

L'implication française aux côtés des généraux était telle que l'offre de paix faite à Rome en janvier 1995 par les représentants de 80% de l'électorat algérien (et à laquelle le président "dialoguiste" et sans réel pouvoir, L. Zéroual, a commencé à s'intéresser) n'a rencontré aucun écho favorable chez les vrais décideurs de la politique française en Algérie. Le conditionnement de l'opinion a atteint des niveaux tels que tout défenseur des "Romains" passait pour un suppôt des islamistes. Seule la diplomatie (rendue déclarative malgré lui) de Juppé a manifesté de l'intérêt pour cette proposition de retour à la paix et à la démocratie. D'où la panique des généraux quand ce dernier a été nommé premier ministre.

Les généraux furieux d'avoir perdu leur Pasqua?

Selon certaines suppositions, les bombes du RER, en juillet 1995,n'auraient été qu'un avertissement des généraux affligés d'avoir perdu leur Pasqua. J.-L. Debré, alors ministre de l'Intérieur, a ainsi supposé publiquement que "c'est peut-être les services secrets algériens" qui auraient été derrière cette vague d'attentats [27] . Cette hypothèse a été confortée par les déclarations faites à Londres, puis à Paris par d'anciens officiers de renseignement en rupture avec leur hiérarchie, puis par les révélations très précises mises sur le site internet du Maol. Les ambassades d'Algérie à Londres et à Paris se contentaient de faire publier de tièdes démentis après ces graves accusations, et se gardaient bien de porter plainte. Alors que l'ambassadeur d'Algérie au Caire n'avait pas hésité à traîner devant les tribunaux le journaliste égyptien Fahmi Houéidi, l'un des premiers à avoir évoqué dans ses éditoriaux l'éventualité de la manipulation du terrorisme "islamiste". La différence de réaction des diplomates algériens tient à la certitude d'avoir un verdict favorable au Caire, où la justice n'est pas plus libre qu'en Algérie, et à la crainte des débats qui auraient suivi des procès intentés en Angleterre ou en France.

Les velléités qu'aurait eues Chirac d'aider le président Zéroual à s'imposer face au "cabinet noir" sont restées sans suite. La promesse faite en novembre 1995 par le président algérien élu d'organiser des élections législatives libres dans le semestre à venir n'a pu être partiellement tenue qu'en juin 1997Ce qui en dit long sur les luttes au sommet de l'Etat qui avaient pour principal enjeu le monopole des négociations avec le FIS.

Zéroual et son principal conseiller, le général Betchine, négociaient avec les politiques du parti dissous pour avoir gagné en 1991. L'Etat-Major de l'armée semble avoir reporté sur le couple Zéroual-Bétchine le vieux soupçon de vouloir s'entendre avec les islamistes aux dépens des éradicateurs. C'est ce reproche qui attira à Hamrouche puis à Chadli les foudres du clan dont la principale idée consiste à reprocher aux islamistes du FIS de pouvoir gagner les élections en se passant des alliances qui leur auraient rapporté le label - élogieux - de "modérés".

La trêve avec l'AIS et les massacres collectifs de l'automne 1997.

Ce conflit a été aggravé du fait de la négociation secrète par les militaires d'une trêve avec l'AIS, le bras armé des radicaux du FIS. La conclusion de cet accord en septembre 1997 a été suivie par les massacres collectifs de Raïs, Bentalha, Sidi Hammad et Béni-Messous, après lesquels a été posé le problème de la passivité, voire de la complicité de l'armée. L'ambassade de France à Alger craignait pour la sécurité des habitués algériens de sa Garden-Party du 14 juillet et a communiqué leurs noms aux services de sécurité en les priant d'assurer leur protection rapprochée. Le chef d'un parti démocrate signataire de la plate-forme de Rome s'est permis d'interroger l'ambassadeur de France sur les raisons de l'absence sur cette liste du nom d'Abdelkader Hachani [28] . L'ambassadeur lui répondit que ce dernier ne faisait pas partie des "amis de la France"[29] ! Ce qui en dit long sur le sens de "l'équidistance" et de la "neutralité" mentionnées régulièrement dans les communiqués du Quai d'Orsay.

En France le débat sur "qui tue qui ?" a permis aux éradicateurs de bénéficier du concours de polémistes, comme Bernard-Henri Lévy et A. Gluksman. Les conditionnements de l'opinion à partir de 1992 étaient tellement bien réussis que ces anciens "nouveaux philosophes" à la recherche de causes à défendre, et avides de médiatisation, ont pu se faire passer pour des réincarnations du Malraux des années 30, mais en prenant fait et cause pour les émules algériens de Franco. Le savoir-faire médiatique de ces "moralistes" peu soucieux de véracité leur permettait de récupérer au profit de leurs seuls amis "éradicateurs" les manifestations destinées initialement à exprimer une solidarité avec l'ensemble du peuple algérien.

L. Jospin oublie ses promesses électorales sur l'Algérie.

La France officielle était sous le régime de la cohabitation qui a contribué au maintien de l'immobilisme concernant l'Algérie, qu'abritaient des prises de position formelles mêlant beaucoup de "Realpolitik" à un peu d'humanisme verbal. L. Jospin, qui récusait la vision purement géopolitique au nom d'une conception post-mitterrandienne de la "gauche morale" a vite oublié les envolées de sa campagne électorale sur le respect des droits de l'homme et le retour à la démocratie en Algérie. Il a rapidement pris ses distances avec les idées inspirées par le FFS d'Aït Ahmed à l'Internationale Socialiste. L'arrivée des socialistes marocains au pouvoir a été suivie d'un désintérêt du gouvernement français pour l'Algérie au profit du Maroc. Quand le premier ministre est devenu ouvertement candidat à l'élection présidentielle, il a montré l'importance accordée aux relations avec Israël dans sa "cosmogonie" politique. Au nom de cette priorité, il a assumé des mésaventures comme l'équipée de l'Université de Bir-Zéit, où il a découvert que le sans-gêne des étudiants palestiniens encore attachés à des convictions est sensiblement différent de la docilité des Beurs du PS à la recherche de strapontins ou de subventions.

L'Algérie compte peu dans les choix du premier ministre. Il s'en est tenu aux stricts impératifs sécuritaires qui ont, en partie, justifié la nomination au ministère de l'Intérieur de J.-P. Chevènement, un homme rassurant pour les hommes forts d'Alger. Dans une séance au Sénat, ce souverainiste - que les Arabes à la recherche d' « amis français » jugent encore en souvenir de sa démission lors de la guerre contre l'Irak, sans tenir compte de son soutien à l'extermination des musulmans de Bosnie, du Kosovo et de Tchétchénie - a expliqué son soutien à la Concorde Civile en se référant à des partisans de "l'intégrisme éradicateur" [30] comme S. Sadi et R. Malek. A Alger, on comptait beaucoup sur celui qui avait accru autant que Pasqua la coopération policière entre les deux pays pour plaider le dossier de la relance d'une "coopération franco-algérienne exemplaire", sur le plan économique notamment. Mais le ministre de l'Intérieur de la "Gauche Plurielle" n'était plus suffisamment influent au moment où Bouteflika est venu à Paris demander une incitation des investisseurs français à créer des emplois en Algérie. A cette période, Jospin avait déjà choisi le Maroc en raison de l'indulgence rapportée au royaume chérifien, y compris chez les militants des Droits de l'Homme, par l'acceptation, sans conditions rédhibitoires, de la normalisation avec Israël [31] . Les quelques "pro-Arabes" du PS abusés par la nostalgie du passé tiers-mondiste de Jospin et refusant de prendre acte des revirements imposés à leur mentor par son nouvel entourage(à la fois familial et politique) auront pesé de peu de poids dans ces choix.

L'échec de la visite de Boutéflika à Paris; vengeance contre les harkis.

Peu satisfait du succès d'estime que lui a rapporté son éloquence particulière, le président algérien s'en est pris aux harkis en leur marchandant le droit élémentaire de visiter leur terre natale pour assister aux funérailles et épousailles de leurs proches. Boutéflika entendait ainsi venger le refus du gouvernement français de transformer une partie importante de la dette algérienne en investissements, comme cela venait d'être accordé au Maroc. Les embrassades d'Enrico Macias et du président du CRIF n'ont pas suffi à rattraper le retard de l'Algérie par rapport à son voisin dans le processus de normalisation avec Israël, et Boutéflika est rentré "les mains vides". Le plan de retour à la paix, qui aurait été suivi d'une relance conséquente d'une économie exsangue, grâce à l'aide internationale qui aurait pu être suscitée par l'effet d'entraînement du soutien de la France, est ainsi tombé à l'eau. La diplomatie française a préféré rester dans l'expectative et a refusé de soutenir de façon active une politique qui a désarçonné les "éradicateurs", car Boutéflika semblait vouloir s'inspirer de la plate-forme de Rome, sans toutefois associer à sa politique tous les "Romains", dont certains avaient été ses rivaux à la contestable élection présidentielle du 15 avril 1999 [32] .

L'échec de cette visite a été suivi d'une réorientation de la diplomatie algérienne. Boutéflika, excelle dans les initiatives de politique étrangère à, défaut d'avoir un bon bilan de politique intérieure, est revenu sur les velléités de normaliser avec Israël et d'ouvrir la frontière avec le Maroc. Le président algérien a défié les "éradicateurs" en nommant ministre des Affaires Etrangères Abdelaziz Belkhadem(dont il voulait faire son premier ministre, si les militaires ne s'y étaient pas opposés), l'ancien président du parlement qui servait d'intermédiaire entre Chadli et le FIS, avant de dénoncer publiquement le coup d'Etat du 11 janvier 1992 [33] .

Le profil bas adopté par Jospin sur l'Algérie, conséquence de son « amitié » indéfectible pour Israël et de son parti-pris pour les socialistes marocains [34] , a eu pour effet de pousser Boutéflika à rechercher l'alliance avec les Etats-Unis, comme Zéroual et Betchine avaient été amenés à le faire en découvrant le soutien inconditionnel apporté par la France à leurs adversaires. Alors que cet écueil est au centre des craintes récurrentes des experts du Quai d'Orsay qui redoutent l'utilisation de la crise algérienne par les Etats-Unis pour supplanter la France dans ce qu'un néo-colonialisme, de gauche comme de droite, considère comme une chasse-gardée française.

Même Aït-Ahmed espère être plus convaincant aux Etats-Unis qu'en France, où les tropismes marocains et israéliens du PS ont des répercussions sur l'attitude, à l'égard de l'Algérie, des organisations françaises des Droits de l'Homme qui ont pignon sur rue.

Combat contre l'impunité et divisions des militants des Droits de l'Homme.

Après avoir fait preuve d'une indulgence certaine pour Boutéflika, en raison de la teneur de ses discours sur la Concorde Civile, mais également à cause de sa visite à Rabat et de sa poignée de main avec Yehud Barak, certains militants humanitaires chargés du Maghreb et du Monde arabe sont redevenus très critiques. Ils ont accepté de rouvrir le dossier des disparus, non sans quelques frictions avec de nouvelles associations perçues comme une menace pour le monopole revendiqué par les anciennes.

Ainsi, les plaintes contre des personnalités, civiles ou militaires, coupables d'avoir commandité des tortures ou des enlèvements ont été déposées à l'insu de ces grandes organisations de défense des Droits de l'Homme. Sans doute en raison des souvenirs mitigés qu'avait laissés chez les plaignants, dont beaucoup avaient séjourné dans les camps du Sud, la molle protestation de ces humanitaires contre les violations des droits de l'homme à partir de 1992.

Ce n'est pas cette action humanitaire dispersée pour de prosaïques querelles de monopole qui dissuadera le gouvernement français de continuer à organiser la fuite des tortionnaires convoqués par le juge. Cela a été le cas au profit du général Nezzar, dont la fuite a été facilitée en mars 2001 par les diplomates qui ont agréé comme consul d'Algérie dans la banlieue parisienne un ancien juge de cour spéciale, dont les jurés rendaient une justice expéditive le visage couvert d'une cagoule. Il risque d'y avoir des difficultés comparables avec Larbi Belkheir, si la veuve de Mecilli, l'avocat proche d'Aït Ahmed abattu en plein Quartier Latin en 1987, dépose plainte à la suite des révélations dans lesquelles l'ancien officier de renseignement Hichem Abboud désigne le général-major comme le commanditaire de ce crime [35] . Du fait des liens personnels de Larbi Belkheir avec des dignitaires socialistes qui se sont pourtant réjouis publiquement de la plainte contre Pinochet, on peut s'attendre à voir prévaloir la raison d'Etat sur l'application des lois contre l'impunité, surtout si les principales organisations humanitaires continuent à préférer la notoriété à l'efficacité.

Mémoire de la guerre d'Algérie, "dévoiements minoritaires" et élections.

L'heure de la mention de toutes ces ambiguïtés et du recensement des responsabilités françaises dans un conflit sanglant qui traîne en longueur depuis une décennie a coïncidé avec le temps des remords pour le général Massu et celui des aveux pour le général Aussaresses. Les débats suscités par la brutale franchise de ces généraux ont permis d'en savoir plus sur les pratiques criminelles pendant la guerre d'Algérie : usage généralisé de la torture, méthodes de lavage de cerveau empruntées au "neurocommunisme" sibérien par les commandants anticommunistes des camps d'hébergement, viol des épouses et des soeurs des suspects pour arracher des aveux à ces derniers, application meurtrière du principe de la responsabilité collective, déplacements de millions de personnes suivis d'une politique planifiée de destruction de milliers de mechtas (par un officier qui a eu une brillante carrière sous Mitterrand), empoisonnement des points d'eau des zones interdites, blessés confiés aux DOP (Dispositif Opérationnel de Protection, où l'on torturait systématiquement, et sur ordre des politiques) avant de les hospitaliser, jeunes femmes assassinées avec leur bébé. A cette liste incomplète, il faudrait ajouter l'usage des armes bactériologiques, comme l'attestent des documents inédits des services de santé de l'ALN, et l'existence des fours crématoires, comme celui de la caserne des Bérets Rouges de Zéralda, dont l'existence vient d'être révélée par plusieurs anciens militants de la Zone Autonome d'Alger [36] . Ces données faciliteraient la qualification juridique de ces atrocités voulues, beaucoup mieux que les révélations au compte-goutte faites en 1957 par la commission Delavignette, au moment où la France craignait une condamnation après la session de l'ONU dont l'ordre du jour prévoyait un débat sur l'Algérie. Salan voulait alors renoncer à la torture. Mais le ministre de la Défense, Bourgès-Maunoury, lui dit de la maintenir en faisant preuve d'une plus grande discrétion.

Après que Jospin eût commencé par faire preuve de courage en voulant aborder sans complexe cette page sombre de l'histoire de France, des considérations politiques, voire politiciennes, semblent l'avoir amené à reculer. Il a choisi de s'en remettre aux "historiens", en promettant des facilités(déjà accordées) dans l'accès aux archives répertoriées [37] . Et il a cru devoir décréter à l'avance de mettre la totalité des "crimes d'Etat" [38] commis en Algérie avant 1962 sur le compte de simples "dévoiements minoritaires".

Les historiens qui tranchent ce débat avant de connaître les contenus des pièces d'archives permettant de conclure au recours volontaire par les principaux responsables de la IVème République à des "méthodes hitlériennes" [39] renseignent sur la course à la médiatisation et, surtout, sur les relations particulières de l'Etat et de la Science, qui retardent gravement la recherche historienne sur l'Algérie [40] . Ce phénomène, qui remonte à l'époque du rattachement de l'Ecole des Langues Orientales au ministère de l'Intérieur, mériterait lui-même une étude précise, qui examinerait en particulier le rôle des conseillers ministériels venus du néo-orientalisme dans le resserrement de l'emprise politique sur les études islamiques. Une telle étude devrait tenir compte de l'importance accordée au renseignement dans la recherche sur l'Algérie contemporaine, au vu de la multiplication des diplômes de complaisance décernés à de simples informateurs algériens à qui l'on ne demande même plus un minimum d'effort méthodologique, pourvu qu'ils s'empressent de réserver les scoops à leurs maîtres . Sur l'Algérie d'aujourd'hui, la science et l'Etat, en France, ont un grand besoin d'être séparés, au moins autant que la Religion et la Politique.

Concernant la recherche sur la guerre d'Algérie, le poids de l'idéologie se ressent autant que celui des intérêts politiques du moment. Pour s'en convaincre, il suffit d'écouter Madeleine Rébérioux exclure toute perspective juridique, apparemment au nom de la pure recherche historienne, pour rejeter à plusieurs reprises toute idée de "repentance" et exclure toute réparation [41] . Sensible à ce discours limitatif, la Ligue des Droits de l'homme, lorsqu'elle se voit obligée de répondre à la question de la qualification, ne veut parler, pour les actes commis pendant la guerre d'Algérie, que de "crimes de guerre". Elle est encouragée en cela par le récent vote du Parlement reconnaissant qu'il y a eu "une guerre" entre 1954 et 1962 en Algérie [42] .

 Dans sa thèse sur la torture, dont les premiers chapitres sont surtout un hommage dithyrambique à P. Vidal-Naquet(grand historien de la Grèce antique venu à l'histoire de la guerre d'Algérie par les voies du moralisme), Raphaëlle Branche semble tout ignorer du point de vue des victimes, comme si leur témoignage compromettait la recherche historique. Or ces victimes, aux souvenirs très précis et qui parlent plus facilement que leurs anciens geôliers des DOP, lui auraient appris que les SAS( administrations inspirées par la bienveillance du colonialisme à « visage humain » du second Empire) aussi torturaient. Son travail, que le Monde(où l'on ignore le rôle du juge Bérard, dont se souviennent, pourtant, très bien des centaines de torturés algérois)  présente comme un événement majeur, ne mentionne même pas les dénonciations de la torture par Louis Massignon, auquel R. Lacoste supprima, en 1957, la subvention que versait le Gouvernement Général d'Alger à la Revue des Etudes Islamiques.

Ailleurs, on refuse de "privilégier le devoir de mémoire" afin, paraît-il, de mieux ménager l'avenir. C'est ce que préconise J-P. Rioux, qui, dans le même article [43] , conteste l'idée de culpabilité de l'Etat en s'autorisant d'une citation dans laquelle Camus récusait, en 1957, le principe de responsabilité collective. Or, ce faisant, Camus s'élevait contre la pratique courante qui permettait de faire abattre une centaine de musulmans pour un garde-champêtre européen tué. Et c'est bien parce que le pouvoir civil de l'époque a couvert ces pratiques criminelles que l'Etat s'honorerait d'un geste solennel de désaveu. Ce serait le meilleur moyen d'assainir la relation à ces pages sombres de l'histoire de France et de ménager ainsi l'avenir.

L'attitude de Benjamin Stora est sans doute celle qui suscite le plus d'interrogations. "Sur l'Algérie, nous ne savons rien", répond-il à une question sur la repentance (Libération du 5 mai 2001). Cet abstentionnisme dubitatif, pratiqué par un dialecticien, moraliste et hyper-politisé, qui préfère aujourd'hui les studios de télévision aux archives, relève plus de la politique que de la science historique. Au nom d'un ultra­positivisme de façade, Stora cherche manifestement à atténuer les responsabilités du Garde des Sceaux du gouvernement de Guy Mollet dans la généralisation des pratiques criminelles en Algérie [44] .Pour diminuer de l'importance du livre d'Aussaresses, qui est surtout accablant pour Mitterrand, il n'hésite pas à contredire ses propos de Libération et ose déclarer, début novembre 2001, au journal algérien le Jeune Indépendant que tout était déjà connu !

Historiquement correct et politiquement correct.

Le souci de préserver la mémoire de Mitterrand était également perceptible à l'Université d'été de l'Education Nationale, qui s'est tenue fin août 2001 à Paris. Les enseignants qui ressentent l'inadaptation des programmes scolaires la guerre d'Algérie, sont restés sur leur faim. Invoquant l'existence de "mémoires antagonistes"-déjà mentionnées dans le discours d'ouverture du mitterrandiste J. Lang-, Sylvie Thénaut a su deviner les prudences ministérielles  et a  ajouté à la perplexité ambiante en prétextant le risque d'introduction du "communautarisme à l'école".La jeune historienne, qui sait ajuster son discours historique aux considérations politiques du moment, a convaincu les participants qu'il y a bien « deux poids, deux mesures » au collège des inspecteurs d'histoire. D'autant plus qu'une précédente session de la même Université d'été avait recommandé sans difficulté d'améliorer l'enseignement de l'histoire la deuxième guerre mondiale à l'école.

Une pareille prudence n'est peut-être pas sans rapport avec l'ébruitement de l'intention du  gouvernement de nommer une commission d'historiens dûment choisis. Ce projet a dû être abandonné à l'annonce de la remise par le général Aussaresses du manuscrit de Services Spéciaux-Algérie 1955-1957, Perrin, 2001 [45]. Mais son évocation semble avoir inspiré aux candidats pressentis, et à ceux qui souhaitaient l'être, une autocensure digne des convenances que doivent avoir les historiens-bureaucrates désireux de travailler à l'Institut François Mitterrand. L'excessive politisation de l'histoire de la guerre d'Algérie, et l'abandon de la lutte des classes au profit de la lutte des places par d'anciens trotskistes conscients que le mitterrandisme reste un enjeu électoral, ont amené des historiens de valeur à adopter des réflexes compréhensibles chez Rousselet, Charasse ou Mazarine mais qui ont de quoi étonner chez des hommes et des femmes de science qui n'hésitent pas à donner, non sans condescendance, des leçons d'impartialité et de méthodologie à leurs collègues algériens, jugés insuffisamment autonomes vis-à-vis de leur pouvoir.

Les tenants de l'historiquement correct ont compris également que le gouvernement redoutait la prolongation de ce débat qui risquait de contrevenir aux normes du politiquement correct concernant l'Algérie d'aujourd'hui. Car le rappel des horreurs couvertes par la "justice" de la gauche colonialiste ne peut se faire sans l'évocation des atrocités commises aujourd'hui par les "amis" de la France qui détiennent le pouvoir réel en Algérie. Le caractère amoral de l'abstentionnisme apparent du gouvernement français, qui dissimule une connivence effective et une si efficace concertation policière, risquerait d'être mis à nu par un vrai débat sur les responsabilités des gouvernements français successifs dans l'actuelle tragédie algérienne. D'où les mots d'ordre du genre: "pas de vagues de ce côté jusqu'aux prochaines élections". Les experts et les "consultants" sur l'Algérie se chargent d'apporter des cautions plus ou moins savantes à cette attitude en répétant : "C'est complexe"; "Les Algériens sont imprévisibles et il faut éviter de les amener à des réactions inconsidérées, comme en juillet 1995"; "il ne faut pas tout révéler"; "il faut trouver une autre formulation"...

Loin de ces subtilités, 56% des Français se disent favorables, selon un sondage, à une "repentance" sur les crimes de la France en Algérie. Cela montre le décalage entre l'opinion, qui ne se contente plus de mythes quand elle est suffisamment informée, et la classe politique qui a constamment les yeux rivés sur les échéances électorales.

La France officielle insensible aux souffrances du peuple algérien.

Si les Français n'exigent pas autant sur l'Algérie d'aujourd'hui que sur la guerre de 1954-62 c'est, pour une bonne part, en raison du halo d'imprécisions entretenu par les idéologues de l'éradication et leurs relais parisiens. Les manifestations de l'année de l'Algérie en France ne risquent pas d'apporter la clarté souhaitable. Car du côté français, la préparation de ces festivités a été confiée à Hervé Bourges qui n'avait pas incité l'audiovisuel public à davantage de recul par rapport aux campagnes de conditionnement du temps où il dirigeait France Télévision. Il a pour vis-à-vis algérien Hocine Sénoussi, un ancien officier plus ou moins bien recyclé dans les affaires, après avoir eu des démêlés avec la justice de son pays. On a là, avec deux hommes, deux symboles de la connivence franco-algérienne, si bénéfique pour les intérêts particuliers.

Au moment où les mythes inhérents à la politique d'éradication se trouvent détruits par les émeutes parties de Kabylie [46] - dont la jeunesse a les mêmes revendications que celle des autres régions - cette célébration risquerait d'ajouter aux confusions dont bénéficient surtout les partisans de l'immobilisme.

Le statu-quo en Algérie arrange tous ceux qui sont attachés aux avantages des transactions commerciales avec un pouvoir qui a fait de l'importation un choix stratégique, en décidant notamment de maintenir l'agriculture dans un état de délabrement. L'attachement à la francophonie et la crainte obsessionnelle de la concurrence des Etats-Unis, auxquels un certain "gallicanisme" reproche surtout d'être puissants, servent de prétexte à des prudences qui évitent d'exprimer aux « éradicateurs » algériens une réprobation comparable à celle qui a empêché récemment les dictateurs ivoirien et yougoslave de rester en place contre l'avis de leurs peuples.

La démystification demeure difficile sur l'Algérie, car l'opinion française s'est vue imposer une grille de lecture artificielle qui lui fait croire que la loi sur l'arabisation [47] serait plus dommageable que les conséquences meurtrières du coup d'Etat et les effets ravageurs du Plan d'Ajustement Structurel réunis. Par ailleurs, l'opinion continue d'être abusée au nom de la littérature du fait de la médiatisation des romans de Yasmina Khadra. Très peu de journalistes savent que derrière ce pseudonyme se cache un colonel qui occupe toujours le poste d'attaché militaire à l'ambassade d'Algérie à Mexico.

Le fait que la situation algérienne ne soit pas directement en rapport avec l'ancien conflit Est-Ouest a empêché d'avoir sur l'Algérie un débat comparable à celui qui a agité l'opinion sur la Bosnie, puis sur le Kosovo. Il est vrai que ces débats mêlent un peu de compassion pour les victimes du nettoyage ethnique à beaucoup de règlements de comptes entre coteries d'intellectuels (atlantistes contre communistes, staliniens contre trotskistes, souverainistes contre mondialistes...).

Quant aux gouvernements français successifs, qu'ils soient de droite ou de gauche, ils ont eu un rôle contestable en décourageant toute velléité de l'Union Européenne d'interpeller fermement le pouvoir algérien sur les Droits de l'Homme [48] . Ils se sont accommodés d'une attitude anti-démocratique concernant l'Algérie. D'abord parce que leur complaisance a grandement aidé au torpillage de la jeune démocratie algérienne. Ensuite parce que tout est fait pour priver l'opinion française de l'information démystificatrice qui lui permettrait d'évaluer les responsabilités françaises dans le drame algérien.

Sans le clair-obscur des discours dominants sur l'Algérie d'hier et d'aujourd'hui, les Français seraient plus nombreux à déplorer l'insensibilité de la France officielle aux terribles souffrances qui continuent d'être infligées au peuple algérien par les aventuriers francophiles de l'éradication, quarante ans après les crimes contre l'humanité commis au nom de la "pacification".

La sévérité ici de certaines appréciations sur ceux qui, par idéologie ou par affairisme, on biaisé le débat sur l'Algérie, ne saurait dispenser de la condamnation des crimes commis au nom de l'Islam, ni faire perdre de vue les insuffisances politiques d'un grand nombre de leaders islamistes radicaux. La responsabilité de ces derniers dans le drame algérien n'a d'égale que celle de leurs machiavéliques manipulateurs.

Hamid Lamine.



[1] No du 11/5/1991 de l'hebdomadaire Vendredi.

[2] J. Attali et J.L. Biancho faisaient de fréquents séjours à Alger en atterrissant à la base militaire de Boufarik, afin d'éviter les indiscrétions de l'aéroport international d'Alger.

[3] Selon les révélations faites à l'époque, cette équipe a travaillé sous la houlette du juriste et politologue Maurice Duverger.

[4] Général-Major issu de l'armée française qu'il n'avait quittée que peu de temps avant l'indépendance de l'Algérie. Il a eu une ascension fulgurante après l'arrivée de Chadli Bendjedid au pouvoir en 1979. On lui attribue la décision de traduire en justice Messaoud Zeggar, l'ancien homme de confiance de Boumédiène qui avait noué des relations avec les Américains au grand dam des Français. Voir Hanafi Tagamout, L'Affaire Zeghar, Paris, Publisud, 1993.

Après avoir donné de pareils gages, L. Belkheir est devenu le garant de l'influence française dans l'Algérie des années 1980 et 1990. Grâce à lui, Audibert pouvait obtenir la nomination des cadres francophiles à des postes importants. (Entretiens avec un ancien collaborateur de M. Hamrouche).

L'influent ambassadeur intervenait pour vérifier les contenus des résolutions de colloques, comme celui qui a été organisé début mars 1991 à Alger contre la guerre du Golfe. Audibert a réécrit le texte de ces résolutions pour supprimer toute appréciation déplaisante sur F. Mitterrand, qui était honni en raison de son militantisme pour la "logique de guerre".

[5] lnterview publiée début novembre 1991.

[6] Entretien avec l'ancien président de l'Union des Ecrivains Algériens Larbi Zoubiri, qui était aussi un proche collaborateur du patron du FLN d'alors, M.C. Messadia.

[7] Selon l'avis exprimé par l'ancien directeur des Affaires Musulmanes au Gouvernement Général d'Alger, Augustin Berque, dans un document inédit daté de 1932.

[8] Des photocopies de chèques versés par l'Algérie pour le financement des campagnes électorales du PS de 1981 ont été publiées en 1984 par le magazine El Badil qu'éditait le Mouvement pour la Démocratie en Algérie de Ben Bella, puis par le Canard Enchaîné sans que ces révélations aient été démenties.En acceptant le contrôle de la mosquée de Paris par l'Algérie,le ministre de l'Intérieur G. Defferre a récompensé, en 1982, ces largesses, contre l'avis des juristes du culte, et au mépris des Français musulmans.

  La droite a également bénéficié des largesses de l'Algérie pour le financement de ses campagnes électorales. Elle a seulement été plus discrète que la gauche.

[9] Les têtes pensantes des généraux, futurs éradicateurs, envisageaient alors de déclencher une guerre-éclair contre le Maroc juste pour disposer d'un prétexte pour renoncer aux élections tant redoutées.

Le démenti apporté à ces pronostics optimistes par le tournant du 11janvier 1992 a amené une bonne partie de ces politologues à renoncer définitivement à l'étude du système politique algérien : l'espoir de ce groupe fait de la vulgarisation historique à la télévision ; un autre ex-futur algérologue a été placé à l'émission islamique de France 2 où il montre chaque dimanche la maigreur théologique de l'islamologie de Sciences-Po ; les plus tenaces enquêtent sur les hommes d'affaires algériens ou les à-côtés mercantiles de l'éradication et se laissent décourager par la complexité d'un problème d'essence politique. Ces choix ont laissé le champ libre à l'islamo-futurologie de Gilles Képel qui, en examinant l'islamisme dans le monde à travers l'éviction brutale du FIS algérien, a imprudemment prédit la fin d'un courant qui a montré sa vitalité à de nombreuses reprises depuis la parution de son Djihad, Gallimard, Paris, 2000.

[10] Cette confusion entre les désirs et la réalité a été momentanément confortée par les résultats d'un sondage effectué par un institut algérien qui attribuait au FIS le tiers des suffrages, au même titre que le FLN et le FFS. Ce pronostic réconfortait ceux qui redoutaient une vraie alternance et admettait la très faible audience des petites formations comme le Hamas, le RCD et le PRA, dont les chefs de file s'avéreront mauvais perdants en appelant à l'interruption des élections.

[11] La visite faite à Alger par P. Rondot, début janvier 1992, avait été annoncée par la presse après le coup d'Etat du 11 janvier 1992. F. Mitterrand avait eu une conversation téléphonique avec l'homme fort du régime, le général-major Khaled Nezzar. Voir Abdelhamid Brahimi, Hizb França, Lausanne, Hoggar, 2000, p. 265.

[12] Les déclarations faites sur Radio-Beur durant la semaine qui a suivi le coup d'Etat du 11 janvier 1992 par Areski Dahmani, le très médiatique président de France-Plus, étaient inspirées par cette vision géopolitique à laquelle se référaient les milieux politiques qui soutenaient cette association attrape-voix. France-Plus avait été créée pour rivaliser avec SOS-Racisme dans le cadre de la compétition entre Rocardiens et Mitterrandiens. Après le soutien apporté par M. Rocard, elle a bénéficié, entre 1993 et 1995 de celui de C. Pasqua qui a essayé de faire bénéficier le candidat Balladur du rapprochement de cette organisation laïciste avec l'aile droitière des Frères Musulmans en France . France-Plus a fait l'objet d'une liquidation judiciaire en 1996, après avoir ainsi montré la facilité avec laquelle la dogmatique laïciste s'assouplit pour les besoins de l'usage du religieux à des fins politiciennes.

[13] L'ancien ministre des Affaires Etrangères dans le gouvernement de P. Mauroy a exprimé son soutien inconditionnel aux généraux algériens sur la Cinq peu de temps après l'annulation des élections. Il a montré sa complaisance avec Milosevic plus d'une fois, et avec la même absence de nuance, après l'annonce de la meurtrière politique du nettoyage ethnique.

[14] Par exemple sur l'utilisation de fonds algériens pour ouvrir dans un département près de Paris d'une clinique prisée par la Nomenklatura algérienne, ce qui fit soupçonner un financement par l'Algérie des campagnes électorales des notables de ce département, en échange des interventions pour l'obtention des autorisations.

[15] Entretien avec un ancien collaborateur de Paul Quilès, ministre de l'intérieur de P. Bérégovoy.

[16] Si l'on en croit les révélations faites par le MAOL (Mouvement Algérien des Officiers Libres) sur le site Internet www.anp.org , qui cite le nom de cet homme de presse, lequel s'est abstenu de démentir. 

[17] Entretien avec l'ancien réalisateur de télévision A. O.

(L'auteur a tenu à respecter le désir d'anonymat des interlocuteurs qui ont bien voulu l'aider à voir clair, en les désignant par leurs initiales.)

[18] Entretien avec J.-J. Porchez, le directeur de Pour!.

[19] Ces informations, qui n'ont pas été démenties, ont été publiées en juillet 1995 dans la revue kowéïtienne Al Mujtamaa que renseignent sur l'Algérie les militants du Hamas de Mahfoud Nahnah. En se déclarant plus proche de S. Sadi que de A. Madani, ce cheikh s'est mis en mesure de recueillir les confidences sur le RCD, et de rendre service à ceux qui cultivent l'exactitude de l'information, fût-elle gênante pour ses alliés du moment. Ces deux micro-entités ont pour atomes crochus la crainte des élections libres et leur acceptation des truquages électoraux qui leur permettent d'être sur-représentées au Parlement, quand les « décideurs » le veulent bien.

[20] Il s'agit de J.-C. Barreau, un ancien prêtre devenu conseiller pour l'immigration de C. Pasqua, après avoir été un collaborateur de F. Mitterrand, puis directeur de la Coopération à l'ambassade de France à Alger où il a été à l'origine de plusieurs incidents.

[21] Cette coopération policière a été ébruitée en 1994 dans plusieurs hebdomadaires.

[22] Claudia Marinaro, Le glissement des jeunes issus de l'immigration maghrébine dans les réseaux présumés islamistes, mémoire de DEA, IEP de Paris, septembre 2000. Après avoir rencontré les avocats des prévenus islamistes du réseau Chalabi notamment, ainsi que les magistrats instructeurs, l'auteur examine sérieusement la thèse de la manipulation qui avait précédé ces coups de filet. Les avocats lui ont fait part de leur intime conviction concernant la manipulation que conforte le refus par les juges du témoignage des époux Thévenot. Les conclusions de cette recherche, dont l'auteur a été félicitée par Rémi Leveau, n'ont pas été du goût de G. Kepel qui s'obstine à faire croire à un péril islamiste en France en faisant des conférences sur le thème: "Ethnies, croyances, violences" .Cela n'empêche pas cet audacieux islamo-futurologue d'annoncer ostensiblement à Alger la fin définitive de l'islamisme. Vérité en-deçà de la Méditerranée, erreur au-delà ?

Par ailleurs, le refus de la justice française d'autoriser le témoignage des époux Thévenot faisait suite à celui des magistrats algériens qui refusèrent d'entendre la veuve de T. Djaout au procès des assassins présumés de son mari. Le portrait qu'elle fait du véritable assassin est sensiblement différent de celui du prévenu.  

[23] Entretien avec M.D., qui, après avoir réussi à obtenir toutes les U.V, se trouve encore dans l'impossibilité de terminer sa maîtrise de sociologie en raison de la séquestration de ses papiers au centre de rétention de Vinonnes.

[24] Entretien avec A. B., un ancien prévenu relaxé. Celui-ci précise qu'un faux islamiste fournissait en armes et en renseignements le réseau qui préparait en 1995 l'assassinat à Paris du général Ataillia. Cet ancien agent de manipulation a pu participer par la suite aux réunions organisées par le Ministère de l'Intérieur en vue de la création, toujours retardée, d'un introuvable "Conseil Français du Culte Musulman". Cela en dit long sur les véritables intentions des pouvoirs publics dans le domaine de la « représentation » de l'Islam en France.

[25] Révélations du MAOL et entretien avec M S., un des rares inspecteurs algériens à avoir décliné l'offre de recrutement par une des polices françaises.

[26] Les écrits de Farid Aïchoune dans le Nouvel Observateur et ceux de S. Zéghidour dans La Vie n'auront été qu'une reproduction, avec de légères modifications, de la thématique développée par la presse algérienne dite libre. Il en est de même des émissions sur Arte de Khaled Melha, qui discute rarement les avis des journalistes algériens devenus éradicateurs après être passés par la IV°Internationale.

[27] Entretien avec le rédacteur de Ouest-France, J.-Y. Boullic, qui avait assisté à un entretien à bâtons rompus avec J.-L.Debré, dont les déclarations à ce sujet ont été largement reproduites. La rupture de Debré avec la mosquée de Paris résultait sans doute de ces sérieux soupçons. En juin 1997, le recteur a profité du retour de la droite dans l'opposition pour reprocher dans le Figaro à l'ancien ministre de n'avoir pas expulsé vers l'Algérie assez d'imams "islamistes". En opposant le laxisme attribué à Debré à la fermeté de Pasqua et de Chevènement, le recteur n'a fait qu'exprimer les préférences des  « éradicateurs » algériens dont il dépend financièrement et politiquement.

[28] Qui a fini par être assassiné le 23 novembre 1999, sans doute pour avoir été mêlé à des tractations destinées a réaliser une « Réconciliation Nationale »(sur laquelle a insisté le message de condoléances de Boutéflika), afin de remédier aux insuffisances de la « Concorde Civile ».

[29] Entretien avec F.T. A cette période, J.-F. Kahn, B.-H.Lévy, A. Gluksman et P.M. de la Gorce voulaient interdire que soit posée la question: "Qui tue qui?" Alors que les Français étaient mieux renseignés que les services britanniques qui découvrirent que le journal Al Ansar, publié à Londres au nom du mystérieux GIA, recevait des consignes d'une caserne d'Alger. Voir Paris-Match du 9 octobre 1997. Le colonel dissident Habib Samraoui a révélé que le GIA a été créé par ses collaborateurs du temps où il était l'adjoint du responsable du Contre-Espionnage à Alger. Emission Bila Houdoud (Sans Frontières), 1er  août 2001, chaîne El Djazira, Qatar. On aurait aimé entendre les réactions de ces relais parisiens des éradicateurs algériens, après l'accumulation de ces révélations. Jean Daniel, qui avait interpellé sans nuances l'ensemble du "peuple musulman de France"(sic) après les attentats de juillet 1995 dans le RER, tarde à intégrer dans ses tours d'horizon la multiplication des révélations sur le rôle des faux islamistes dans la violence attribuée aux fondamentalistes, à commencer par celles de l'ancien spécialiste de la manipulation, qui a expliqué sur la chaîne qatarie comment juste après le premier attentat commis à Paris, le 11 juillet, contre l'imam Sahraoui du 18ème arrondissement, un de ses supérieurs est venu en Allemagne lui  proposer d'organiser la liquidation de Rabah Kébir et d'Abdelkader Sahraoui, l'homonyme du malheureux orateur du quartier de Barbès).

[30] La formule a été prononcée par Boutéflika quand il a vilipendé, dans ses nombreux discours de l'été 1999, les partisans de la continuation de "l'éradication" qui bénéficiaient d'une haute protection à la résidence d'Etat du Club des Pins.

[31] L'indulgence rapportée au Maroc auprès de certaines organisations des Droits de l'Homme on raison de ses avancées dans le domaine du rapprochement avec Israë1 a été soulignée par un expert du State Department invité à prononcer une conférence à l'Institut National des Etudes Stratégiques Globales d'Alger en mai 2000.

[32] Le référendum organisé le 21 septembre 1999 pour faire approuver la politique de la "Concorde Civile" servait également à faire oublier les accusations d'irrégularité de l'élection présidentielle du 15 avril 1999. "Le Comité du 14 avril" qui a été créé à Paris pour tenter de perpétuer l'action concertée entre les six candidats qui se sont retirés in extremis pour éviter de cautionner une élection "préfabriquée" n'a eu qu'une existence éphémère. Sans doute en raison des effets de la logique verbale de Boutéflika, qui a fait croire à un dépassement du clivage éradicateurs-dialoguistes. Il faut dire qu'en dehors de quelques élus des Verts, la classe politique française reste indifférente à ce genre d'initiatives qui aurait apporté une démystification susceptible d'atténuer les effets de l'intoxication des années 1992-1998.

[33] Cet animateur de la tendance islamisante du FLN a aggravé son cas aux yeux du "Parti de la France" en créant un comité hostile à la normalisation avec Israël, et au projet de visite à Constantine d'Enrico Macias, accusé de n'avoir pas eu que la compréhensible "nostalgérie" comme mobile. L'ancien président du HCE, le colonel Ali Kafi, a ainsi évoqué un projet de recensement des biens juifs en Algérie confisqués sous Vichy et devant faire l'objet d'indemnisation (Interview au quotidien arabe paraissant à Londres et à Jérusalem, al Quds al Arabi du 12/3/2000).

[34] Les préférences du premier ministre concernant le Proche-Orient ont été exprimées au dîner du CRIF le 3/11/2000: "la France est l'amie d'Israël; la France a des amis dans le Monde arabe". Avec une pareille hiérarchisation des amitiés - Israël est l'ami du premier collège, les Arabes francophiles ceux du deuxième collège - la France risque très peu de redevenir pour les Arabes la Dawla Habiba(la Nation Amie par excellence) qu'elle avait été jadis.

[35] Le Nouvel Observateur du 14-20/6/2001. Larbi Belkheir est par ailleurs soupçonné d'avoir créé les premiers escadrons de la mort, quand il était ministre de l'intérieur en 1991-1992. Interrogé sur le terrorisme algérien d'Etat, son ami Hubert Védrine répond qu' "il n'y a pas de preuves". Pour sa part, C. Pasqua, plus libre de parole quand il n'est plus aux affaires, en réponse à la même question, estime que "tout est possible". Les deux étaient les invités du Karl Zéro sur Canal Plus (cité de mémoire).

[36] Emission "Pièces à conviction" sur FR3, le 27/6/2001. Les fours crématoires avaient servi en mai 1945 à faire disparaître des milliers de corps dans la région de Guelma afin de permettre à une commission d'enquête d'arrondir par défaut le chiffre des victimes de la féroce répression contre les civils.

[37] 0n sait que les documents aux contenus embarrassants font l'objet d'une rétention et n'ont même pas été répertoriés.

[38] Pour reprendre le titre donné par O. Lecour-Grandmaison au récent livre consacré à la répression de la manifestation des Algériens à Paris le 17 octobre 1961, Ed. La Dispute, 2001.

[39] Dès le début de la guerre, la répression menée par l'armée française en Algérie était comparée à celles des nazis par des résistants comme Claude Bourdet, René Capitant, et le général Paris de la Bollardière.

[40] Le tome 2, Les Portes de la Guerre (1 946-1954) de La Guerre d'Algérie par les Documents, SHAT, Vincennes, 1998, a été publié avec cinq ans de retard. La crainte d'un débat sur le rôle actif de F. Mitterrand dans l'adoption des moyens répressifs au début de l'insurrection expliquerait ce temps perdu.

[41] La biographe de Jaurès, qui ne regrette pas son passage au PCF, ne s'intéresserait-elle à ce débat que pour montrer qu'un Livre Noir de la social-démocratie colonialiste devrait être écrit pour faire contrepoids au Livre Noir du Communisme?Tout autres sont les points de vue d'Alain Joxe et de certains hommes d'Eglise, comme le Père de la Morandais. Celui-ci, qui avait participé à la "pacification", a déclaré, le 21.4..2001, à l'émission de Thierry Ardisson sur France 2, que l'évêque de Saint-Denis, dont le rôle dans la repentance de l'Eglise pour son attitude durant la Seconde Guerre Mondiale est connu, lui a déclaré que le peuple algérien mérite un geste analogue. Cette position reflète sans doute la gêne due au souvenir de l'acceptation de la torture - au nom de l'Evangile! - par le père Delarue, qui était l'aumônier de la 10ème D.P. de Massu. La préface d'un livre en l'honneur des paras d'Algérie par Mgr Feltin (qui était évêque aux armées en 1956) demeure aussi embarrassante pour l'Eglise de France. Les préposés au dialogue islamo-chrétien, comme les pères Delorme et Gaudeul, pourront-ils continuer de faire l'économie d'un vrai débat à ce sujet ?

Déjà intrigués par le retour à la foi des Beurs (qu'ils verraient mieux à SOS-Racisme qu'aux réunions du controversé Tareq Ramadan), ces informateurs de l'Eglise - et du Haut Conseil à l'Intégration - sur la vie religieuse des musulmans en France, risqueraient d'être plus étonnés encore par le poids de la mémoire de la guerre d'Algérie chez les familles d'origine algérienne. Celles-ci avaient été sommées par J.-C. Barreau de "changer d'histoire" avant de prétendre à « l'intégration ». L'ancien prêtre devenu conseiller de Pasqua pour l'immigration n'a pas indiqué l'attitude à adopter concernant l'histoire de la guerre d'Algérie, qui est commune aux Français et aux Algériens. Quant à Alain Joxe, il avait avancé l'idée de "repentance" quatre ans plus tôt: "Repentons-nous sur l'Algérie et parlons vrai", Le Monde du 11/11/1997. Le spécialiste de stratégie parlait des deux guerres d'Algérie. Il faudrait également rappeler l'attitude, durant le procès de M. Papon, de Simone Veil qui s'est étonnée de l'acceptation des amnisties et de la prescription concernant l'Algérie par ceux-là même qui, à propos de la Deuxième Guerre Mondiale, militent contre l'impunité, par devoir de mémoire et à des fins de judiciarisation (intervention à l'émission Polémiques sur France 2, 9 novembre 1997).

Il y aurait à mentionner la netteté de la position de J. Julliard, qui tranche sur celle des historiens et moralistes sollicités par le Nouvel Observateur. Ceux qui parmi ces derniers n'arrivent pas à être au clair avec l'héritage mitterrandien sont souvent gênés aux entournures.

[42] Après avoir voté la reconnaissance du génocide arménien, le Parlement refuse la création d'une commission d'information sur la guerre d'Algérie, qui serait moins contraignante qu'une commission d'enquête. Les Turcs ont réagi par l'inauguration, en face de l'ambassade de France à Ankara, d'un "Mémorial des victimes du génocide commis par la France en Algérie". En accordant le statut d'anciens combattants aux anciens soldats d'Algérie, le vote reconnaissant qu'il y a eu guerre semble avoir eu une finalité électoraliste.

[43] J.-P. Rioux, "L'Etat coupable, mais amnistié", Libération, 11/12/2000. J-P. Rioux veut exonérer l'Etat d'un pareil geste au motif que le pouvoir politique sut mettre fin au conflit; curieuse manière d'attribuer une partie des mérites de De Gaulle (qui a dit: "Je suis le seul au Conseil des Ministres à croire à l'indépendance de l'Algérie") à G. Mollet et à Mitterrand, qui ont installé la France dans une guerre sans lois sans être en mesure de lui trouver une issue.

[44] Si Stora veut mettre le clivage droite-gauche au coeur du débat historique sur la guerre d'Algérie en insistant, à juste titre, sur la gravité de la tuerie du 17 octobre 1961, c'est pour mieux accabler la Vème République. Dans le même temps, il tente de trouver des circonstances atténuantes à la IVème République et à ses ténors de la gauche colonialiste - par exemple en voulant faire croire aux lecteurs du Nouvel Observateur(du 14-21.12.2001) que les DOP (centres de torture) n'ont pas été créés par le gouvernement G. Mollet. Alors que "ce service est créé en septembre 1956 par une décision gouvernementale, suivie d'instructions d'applications ministérielles" (Henri Le Mire, Histoire Militaire de la Guerre d'Algérie, Paris, A. Michel, 1982, p. 67). Cette attitude le range du côté d'André Rousselet pour qui la mémoire de la guerre d'Algérie semble se confondre avec celle de Mitterrand.Voir Libération du 5.5.2001.  Le biographe de Messali avait tourné le dos à ses écrits de jeunesse - comme "L'Algérie et la révolution permanente", La Vérité, octobre 1980 - après avoir rallié le courant Jospin du PS avec un groupe de lambertistes. Depuis lors, il navigue souvent dans les eaux du pouvoir, ce qui fait dire à la presse de l'OCI (où il avait été responsable de la Fédérale des Etudiants) qu'il "exprime le point de vue du Quai d'Orsay" (article signé L.G., "Qui pousse à la dislocation de l'Algérie? ", Informations Ouvrières, n0493, 27 juin-3 juillet 2001). L'acceptation de ce type de relation entre le Savant et le Politique va de pair avec une stratégie de médiatisation qui accorde plus d'importance aux journalistes généralistes qu'aux historiens spécialisés. Avec franchise, il fait état de cette stratégie qui passe "par l'entremise de bataillons d'attachés de presse qui. se chargent de faire circuler votre nom" (Aline Gérard, "Quand les experts dévoilent leurs dessous", Le Nouvel Economiste, n°1116, 26/11/1998). Cette peu révolutionnaire conception du débat d'idées a amené Stora à apporter une caution plus ou moins savante à Xavier Raufer qui a voulu, en présence de l'ambassadeur d'Algérie en France, expliquer le "terrorisme résiduel" par le goût des sociétés méditerranéennes pour la "vendetta" (La Marche du Siècle, FR3, 12 septembre 1998). Elle lui a permis aussi de diffuser la contestable thèse imputant aux partisans de l'Algérie française la montée du Front National - dont les électeurs venus du PS et du PC ont été convoités par le MDC (voir son Transfert de mémoire, Paris, La Découverte, 2000).

[45] Entretien avec un membre de l'Union Nationale des Combattants. Il est possible que l'autocensure des historiens politisés ait eu pour principale raison leur désir de faire partie de cette commission. Cela expliquerait leur absence de réaction à la demi-vérité selon laquelle le juge Bérard, qui servait d'intermédiaire entre le Garde des Sceaux de G. Mollet et les militaires d'Alger, a été sanctionné. Les lecteurs du Monde ont cru que c'était à cause de l'exécution de Ben M'hidi. En fait, la sanction du juge Bérard avait pour raison la lenteur avec laquelle il instruisait "l'affaire du bazooka", la tentative qui visait à éliminer, en 1957, le général Salan (le futur chef de l'OAS) que Mitterrand appréciait particulièrement...

[46] "Les Kabyles auraient pris les armes si le FIS était arrivé au pouvoir", disait-on après l'opération du 11/1/1992 pour vaincre les réticences suscitées par ce coup de force. Puis la menace d'"embraser la Kabylie" a été agitée durant l'été 1998. L'assassinat du chanteur Matoub Lounès, dont la famille accuse le pouvoir, semble avoir été destiné à favoriser cet embrasement. L'exagération du risque d'embrasement a servi à pousser Zéroual à la démission. En raison de la faible importance des revendications linguistiques dans les manifestations parties de Kabylie au printemps 2001, celles-ci ont surtout montré la vanité de ces supputations. En révélant l'ampleur des difficultés dont se plaignent les jeunes Algériens de toutes les régions, ce mouvement a également contribué à rendre très peu convaincante la propagande qui servait depuis dix ans à faire de l'islamisme l'unique problème de l'Algérie contemporaine, ou presque.

[47] Cette dramatisation des problèmes linguistiques utilise, à tort ou à raison, la caution d'arabisants comme M. Arkoun, qui a eu tendance à attribuer une bonne partie de la crise algérienne à la mauvaise arabisation, et D.E. Bencheikh, qui plaide la cause de la seule langue kabyle, et oublie une demi-douzaine d'autres parlers berbères assez éloignés les uns des autres. Ce dernier exprime surtout le regret de n'avoir pas été consulté pour la mise au point des programmes d'arabe en Algérie. Le berbère est mieux vu, comme le montrent les financements publics accordés à la Maison Kabyle qu'ont créée à Paris des proches du RCD déçus par Boutéflika.

[48] A la demande d'un officier de l'ambassade algérienne an Suisse, Sohéib Bencheikh, le "mufti" sans mosquée à Marseille qui, en tant que "théologien du RCD" était le favori de Motchane (alors conseiller de Chevènement pour l'Islam) pour la succession de Boubakeur à la tête de la Mosquée de Paris, a pris la parole au printemps 1998 devant la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU pour la dissuader de dépêcher des enquêteurs sur les massacres en Algérie !

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